Yoann Maestri, à Marcoussis (Essonne), le 23 novembre. / ANNE-CHRISTINE POUJOULAT / AFP

Les automnes à Marcoussis (Essonne), il connaît. Ces matins froids de novembre, ces rendez-vous avec la presse dans l’auditorium du Centre national de rugby. Et ces questions, aussi, toujours les mêmes depuis trop longtemps.

Yoann Maestri a commencé avec le XV de France en février 2012. Soit juste après les derniers grands frissons d’une équipe nationale qui vit de souvenirs : une finale du Mondial (2011) et un Grand Chelem au Tournoi des six nations (2010).

Depuis ? « Malheureusement, les adversaires se sont endurcis et l’équipe de France a traversé les années avec des résultats négatifs qui nous mènent à aujourd’hui », résume le joueur, rencontré au début de cette tournée d’automne. Samedi 24 novembre (à partir de 21 h 05), au Stade de France, et à moins d’un an de la Coupe du monde 2019 au Japon, le deuxième-ligne disputera contre les Fidji son dernier test-match du mois avec les Bleus. Ont précédé une défaite sur le fil contre l’Afrique du Sud et une victoire sur l’Argentine.

Maestri, 30 ans et déjà 64 matchs avec les Bleus, est de cette génération d’internationaux français qui attend encore son heure. Le bonheur de gagner un Tournoi des six nations ou de bien figurer en Coupe du monde, son seul souvenir en la matière se résumant à l’édition 2015 et à ce quart de finale suffocant (62-13) contre la Nouvelle-Zélande.

« Un peu comme en Bourse »

L’ancien se sait attendu. Mais à intervalles espacés, au rythme des matchs du XV de France. Sans pression au quotidien, assure-t-il, comme s’il formulait en même temps un regret :

« On ne la ressent pas au quotidien parce que le championnat de France est tellement prenant que quand il repart, malheureusement, l’équipe de France est, entre guillemets, mise de côté pendant quelque temps. Jusqu’à ce qu’elle revienne. 
C’est ce qui est dommage, dans notre façon de préparer les échéances internationales, alors que les autres nations sont constamment en train de préparer leurs joueurs et leurs clubs pour améliorer leurs équipes nationales. »

Le week-end à venir présentera un nouvel exemple de ce non-sens à la française, un tiraillement continu entre les intérêts des clubs professionnels et ceux de la sélection nationale : alors que le XV de France affrontera samedi les Fidji, le même jour, les clubs du Top 14 disputeront des matchs du championnat national.

S’il y avait une solution… Après quatorze bonnes secondes de réflexion, ce constat un rien fataliste : « Tellement de choses ont été dites… C’est un débat qui est tellement important depuis des années, mais il y a eu tellement peu de retours et de changements. »

Depuis ses débuts, Yoann Maestri a déjà subi ces cadences. Comme cette pression de résultats : d’abord à Toulon, dans son Var natal, puis à Toulouse et depuis cette saison, au Stade français. « Aujourd’hui, il y a énormément de positif à aller chercher », déclare-t-il aux plus jeunes qui voudraient se faire une place dans le XV de France. « Je vais dire une bêtise, mais c’est un peu comme en Bourse : aujourd’hui tu mises sur une action qui est basse, pas loin d’être au plus bas. Est-ce que ce ne serait pas le moment d’arriver, d’être jeune pour remonter tout en haut ? »

« Les gens sont tellement en attente d’un visage meilleur et de jours meilleurs qu’il y a peut-être une latitude plus importante que par le passé. Surtout vis-à-vis des plus jeunes. »

C’est une manière de voir les choses. Une autre consisterait à dire que, à l’inverse, le climat du moment et les effectifs surchargés des clubs pourraient aussi plomber les jeunes générations. Si talentueuses soient-elles, comme celle championne du monde des moins de 20 ans, sacrée en juin.

« On a appris à aimer des mecs que personne ne connaissait »

Seul l’un de ses joueurs, Demba Bamba, s’entraîne déjà avec le XV de France. D’autres suivront. Une bonne chose, selon Maestri, désormais l’une des voix qui comptent dans le vestiaire avec celles d’autres trentenaires (Bastareaud, Huget, Picamoles et le capitaine Guirado) :

« A nous aussi, les plus âgés, de nous remettre en question et de nous adapter à cette jeune génération et à son mode de fonctionnement. Parce que, dans un groupe, si on est une minorité de trentenaires, tu ne peux pas lutter ! »

Maestri prépare déjà la suite : il a ouvert une galerie d’art à Toulouse, il y a deux ans. Mais il aime aussi le football, au point de se fondre dans la foule et de la prendre en photo, comme ce 15 juillet, place de la République à Paris, pour fêter les Bleus champions du monde. Incognito ou presque (« à cause de ma taille », précise le joueur de deux mètres).

Ce grand supporteur de la Juventus Turin (« de par mes origines italiennes ») retient « l’allégresse, la folie de gens qui sautaient sur les voitures ou qui dansaient sur la route ». Mais aussi l’idée, forcément rassurante, que l’« engouement est venu petit à petit » pour ces footballeurs-là. « On a appris à aimer des mecs que personne ne connaissait, comme [Benjamin] Pavard et à croire de plus en plus à des prophètes comme Kylian Mbappé. Et c’est très beau. » Une raison d’espérer pour ce XV de France qui, aujourd’hui ,doit se réconcilier avec le grand public, et jouera samedi dans un Stade de France à moitié vide.