La première ministre britannique, Theresa May, le 25 novembre à Bruxelles. / Alastair Grant / AP

Bruxelles, correspondants. Ce fut solennel, grave, et expéditif. Il n’a fallu que deux heures et demie aux vingt-sept dirigeants de l’Union européenne (UE) et à leur homologue britannique, Theresa May, au matin du dimanche 25 novembre, pour entériner le traité du Brexit. Un pavé de presque 600 pages détaillant par le menu les conditions du divorce, accompagné d’une déclaration politique esquissant la « relation future » entre le Royaume-Uni et l’UE, et de quelques annexes censées ménager les sensibilités des Vingt-Sept – celle de l’Espagne à l’égard de Gibraltar ; de la France et d’autres, concernant la pêche.

Le moment était certes historique. « C’est un jour triste, ce n’est pas un moment de jubilation de voir un pays quitter l’UE. (…) C’est tragique », avait tweeté Jean-Claude Juncker, le président de la Commission, avant d’arriver au sommet dimanche. « Tristesse » était aussi le mot de la chancelière allemande Angela Merkel. « Ce n’est ni un jour pour se réjouir ni un jour de deuil, c’est un moment d’unité et de responsabilité », estimait pour sa part Emmanuel Macron.

Mais ce sommet « Brexit » très court avait surtout une valeur symbolique. Du côté des Vingt-Sept, le but était de très discrètement célébrer un « deal » préservant très largement leurs intérêts et respectant scrupuleusement leurs « lignes rouges » : intégrité du marché intérieur, préservation des droits des expatriés, respect des engagements financiers du Royaume-Uni et assurance qu’une frontière ne réapparaîtra pas en Irlande.

Il s’agissait aussi, d’une certaine manière pour les Vingt-Sept, d’aider Theresa May dans la tâche ardue qui l’attend maintenant : faire valider cet accord à la Chambre des communes mi-décembre, alors qu’il est très loin de délivrer la promesse initiale des Brexiters, « Take back control ! » (« Reprenons les commandes ! »). « Dimanche, certains dirigeants lui ont souhaité bonne chance », affirme un responsable de haut niveau.

« Le meilleur accord possible »

Les Vingt-Sept ont ainsi fait passer dimanche un message on ne peut plus clair à tous ceux qui dénigrent l’accord au Royaume-Uni et fantasment encore sur la négociation d’un autre document. « C’est le seul accord possible », a insisté M. Juncker en détachant chaque syllabe, dimanche. « Le meilleur possible étant donné les circonstances », soulignait Michel Barnier, le négociateur en chef européen. Autrement dit : il n’y a pas d’autres conditions possibles ou négociables pour ce divorce.

Lors de sa conférence de presse, Mme May, au milieu de deux drapeaux britanniques et d’une bannière européenne, a plusieurs fois repris la formule à son compte, précisant : « Si les gens pensent qu’on peut encore négocier, ce n’est pas le cas ». Pour elle, le choix est soit le vote favorable et le début d’un « avenir brillant et meilleur » pour son pays, soit un « no deal » qui signifierait « plus d’incertitudes et plus de divisions ».

« Le vote à Westminster pourrait passer à dix voix près », pronostique un officiel européen, très prudent. « Je ne parierai rien, mais on a pu constater que, ces derniers jours, Mme May contrôlait mieux la situation qu’on aurait pu penser », ajoute un autre, dans une allusion à la tentative ratée de renversement de Mme May par quelques « brexiters » ultras.

Les Européens réfléchissent-ils déjà au scénario d’un plan B si les Communes refusaient le « deal » ? « C’est aux Britanniques de réfléchir, mais personne n’a évoqué cette hypothèse lors des discussions de dimanche », dit-on du côté européen. Mise sur le gril à ce propos en conférence de presse, Mme May n’a à aucun moment évoqué l’hypothèse d’un deuxième référendum, ou son éventuelle démission.

Elle défendra l’accord « de tout [son] cœur » a t-elle insisté. Parce que, dit-elle, il limitera la liberté de circulation, favorisera l’emploi, la prospérité, la justice sociale, le logement, la politique de santé et qu’il sortira le royaume de la politique agricole commune ou de la tutelle de la justice européenne.

La relation future reste à négocier

Au-delà de l’échéance compliquée des Communes, les textes adoptés dimanche actent une étape essentielle mais absolument pas conclusive du Brexit. Les termes du divorce sont sur la table. Mais tout reste à faire, à négocier, concernant la relation future.

« La plus grande partie du travail à accomplir commence maintenant », a souligné M. Juncker dimanche, résumant le sentiment général. Dans leur déclaration politique, les Européens ont jeté les bases d’un accord de libre-échange « ambitieux » avec Londres, assorti d’une multitude de coopérations bilatérales. Mais il faudra au bas mot deux ans pour le boucler, et plus sûrement trois ou quatre ans : la période de transition peut être prolongée jusqu’à fin 2022.

« Nous pourrions aboutir à un accord avec un niveau historique de coopérations, sans précédent, même si le Royaume-Uni sera un pays tiers », précise un officiel européen. Car « nous resterons des alliés, des partenaires, des amis », estimait M. Barnier. « Amis et voisins », approuvait Mme May, soulignant que si son pays quitte l’Union, « il ne quitte pas l’Europe ».

Surtout, au vu des prises de position des dernières semaines, cette future négociation s’annonce tout aussi rude que celle du divorce. Les Vingt-Sept affirment ainsi déjà qu’ils seront intraitables sur la pêche – un enjeu explosif. La France, comme une petite dizaine d’autres pays, ont d’ores et déjà fait savoir que conserver l’accès pour leurs pêcheurs aux zones de pêche britanniques, très poissonneuses, sera une de leurs priorités. Mme May passe son temps à promettre l’inverse à ses pêcheurs – qu’ils « reprendront le contrôle » des eaux britanniques.

« Je veux rassurer les pêcheurs : leur quotidien ne changera pas d’ici fin 2020 [fin de la période de transition] et nous avons obtenu le soutien des Vingt-Sept sur ce sujet », a souligné a contrario le président Macron, faisant référence à la déclaration à vingt-sept, qui cite expressément la pêche comme une priorité européenne dans la « relation future ».

La réflexion collective sur le futur de l’UE s’est enlisée

Pas question non plus, dans la négociation à venir, de faiblir sur les « niveaux de concurrence ou les normes environnementales », entre autres. Pas question de laisser le Royaume-Uni devenir un vaste paradis fiscal, pratiquer le dumping social ou environnemental à grande échelle à quelques dizaines de miles seulement des côtes de l’UE.

Emmanuel Macron a aussi dimanche profité de ce rendez-vous bruxellois au sommet pour parler d’une « nécessaire refondation » de l’Europe. « Nous devons tirer les leçons du Brexit, qui a montré que l’UE est fragile, qu’elle n’est pas un acquis, qu’on doit la défendre. Mais elle doit aussi être refondée, pour être mieux comprise des peuples. Le Brexit nous dit qu’elle n’a pas su suffisamment rassurer nos peuples », a souligné le président français.

Le propos n’est évidemment pas dénué d’arrière-pensées : le parti de M. Macron est désormais largement devancé dans les sondages en vue des élections européennes de mai 2019. Mais il était frappant, dimanche, de constater à quel point le débat sur l’avenir commun à vingt-sept (comment faire sans les Britanniques ?) a disparu, ces derniers mois, du débat européen : Emmanuel Macron est désormais le seul à s’y risquer.

Il y avait bien eu, dans la foulée du référendum britannique, à la mi-2016, l’amorce de réflexion collective sur l’avenir européen, mais elle s’est totalement enlisée depuis la déclaration de Rome de mars 2017. Le discours de la Sorbonne du président français avait été salué, en septembre 2017, mais il n’en reste désormais plus grand-chose. Et les pays membres, s’ils ont fait montre d’une remarquable unité durant la négociation sur le Brexit, continuent à se déchirer sur des sujets fondamentaux comme l’immigration, tandis que le bras de fer entre Rome et Bruxelles sur le budget italien fait planer la menace d’une autre crise.

Quelles suites pour le Brexit ?
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