Fabien Roussel, le 16 ocotbre à l’Assemblée nationale. / PASCAL ROSSIGNOL / REUTERS

Vraie ou fausse révolution ? Après trois jours de congrès à Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne) où 736 délégués ont longuement débattu sur le texte de leur « base commune », soit la feuille de route pour les prochaines années − pouvant parfois apparaître aux profanes comme relevant de la subtilité d’un concile du Vatican − les communistes se sont dotés d’une nouvelle direction. Elle sera conduite par un nouveau secrétaire national, Fabien Roussel (il était en première position de la seule liste soumise au vote qui a été approuvée par 442 voix sur 569 exprimés, soit 77,6 %) après dix ans de gestion par Pierre Laurent, qui devient numéro 2 du parti et qui présidera le Conseil national (CN, le « parlement » des communistes). Le parti presque centenaire, s’est en outre doté d’un nouveau logo : une étoile avec une feuille, pour symboliser sa conversion écologique.

L’arrivée du député du Nord, 49 ans, à la tête du parti est la conséquence du vote du 6 octobre où le texte défendu par la direction a été mis en minorité par une contribution alternative intitulée « Pour un manifeste du Parti communiste du XXIe siècle », emmenée notamment par Fabien Roussel et André Chassaigne, le président du groupe communiste à l’Assemblée nationale. Pierre Laurent est apparu très ému lors de son discours vendredi, versant même des larmes. « Je suis un grand sensible dans la vraie vie. J’ai vécu beaucoup de choses fortes, des rapports humains, de la fraternité. Beaucoup de choses sont remontées », a-t-il expliqué ensuite.

Pierre Laurent assure, lui, que tout se passera dans la meilleure entente possible. Qu’il reste, aussi, pour transmettre son expérience au député du Nord. « Je vais l’accompagner dans sa prise de fonction. Il y a plein de choses à prendre en main. Ce ne sera pas une direction bicéphale même si on va beaucoup travailler ensemble. Nos rapports sont très bons. »

Et le sénateur de Paris, 61 ans, d’ajouter : « La présidence du CN, c’est l’animation de la direction, moins dans les tâches exécutives, mais dans le travail de fond, programmatique, l’élaboration politique. » Manière de dire que la nouvelle direction sera sous liberté surveillée quant aux propositions politiques qu’elle défendra.

Malgré cette unité affichée, aboutissant à plusieurs compromis, plusieurs problèmes restent pendants au sein du Parti communiste.

  • Un texte profondément réécrit

Plusieurs milliers d’amendements, des heures de débats interminables… Le texte du « Manifeste », adopté par 42 % des suffrages début octobre a été profondément modifié. Considérant que le texte du « Manifeste » était, au départ, rétrograde sur beaucoup de points (notamment sur le « parti d’avant-garde »), la direction sortante a passé un mois et demi à batailler. « On a réintroduit beaucoup de choses sur nos avancées des dernières années, sur le travail, le féminisme, l’écologie. Et l’on a précisé le contenu sur les élections européennes », décrypte encore M. Laurent. En clair : si lui et ses camarades ont cédé la place de secrétaire national, pas question de concéder un pouce de terrain sur le plan des idées.

  • Quelles alliances ?

Dans ces discussions, le point le plus attendu était celui sur les alliances. Dans une formulation alambiquée où ce qui est tu est aussi important − voire plus − que ce qui est écrit, les communistes semblent tourner la page du partenariat privilégié avec La France insoumise (LFI) avec qui les relations sont extrêmement tendues. Fini, donc, le Front de gauche né en 2008, il y a pile dix ans.

En revanche, le texte est plutôt clément envers le Parti socialiste. Ce qui a ravi Olivier Faure et ses amis venus en invités au Congrès. Si, pour le PCF, le PS est « entré dans un long processus d’effondrement » et est « incapable de sortir des impasses du social-libéralisme », il « conserve néanmoins un enracinement dans les territoires ». Et on peut même lire : « Une social-démocratie peut renaître dans le futur, exprimant la recherche d’un changement à petits pas de la part de certains secteurs de la société et du salariat. »

Le constat est plus dur concernant LFI : « Deux dynamiques la traversent : participer de la recomposition d’une nouvelle force social-démocrate, avançant des réponses réformistes sans prendre en compte l’enjeu de l’entreprise et les questions de classe ; s’engager jusqu’au bout dans l’aventure du populisme de gauche, au prix d’une rupture consommée avec les traditions de la gauche et du mouvement ouvrier. » Fermez le ban.

Un retour, donc, au partenariat privilégié avec le vieil allié socialiste ? Aucun communiste ne le formule aussi abruptement. Mais ces paragraphent concrétisent une rupture avec le mouvement mélenchoniste. Et dessinent les futures alliances aux élections municipales de 2020.

  • Une liste autonome aux élections européennes

C’est une belle illustration de la manière dont les communistes parviennent à ménager tout le monde, ou presque. En adoptant la formulation « nous proposons la candidature de Ian Brossat comme tête d’une liste de large rassemblement », le PCF arrive à satisfaire la nouvelle équipe dirigeante qui veut des listes autonomes communistes à chaque élection, et ceux, plus unitaires, qui pensent que le parti peut soutenir une liste unique avec une tête de liste non communiste. En revanche, le problème pour les communistes reste les très mauvais sondages qui font planer un doute sur la capacité de la liste conduite par l’adjoint au maire de Paris en charge du logement d’atteindre les 3 % des voix donnant accès au remboursement de la campagne.

Ian Brossat, dans son discours, a voulu placer les questions du « travail, pouvoir d’achat et de la vie chère » au cœur de sa campagne, pour parler des « problèmes quotidiens » dus aux « politiques d’austérité », à la « concurrence effrénée ».

  • Bientôt des départs ?

Ce travail de compromis et de consensus ne ravit pas tout le monde au PCF. Certains ont brillé par leur absence, comme l’ancienne secrétaire nationale Marie-George Buffet ou le député de Seine-Maritime, Sébastien Jumel qui a « préféré rester connecté à [son] territoire ». « Je n’ai pas un enthousiasme débordant pour ce congrès, reconnaît-il. La vraie question est de savoir si les communistes vont être connectés à la colère du peuple et s’ils vont être utiles aux gens. »

Ce mécontentement s’est surtout vu chez les tenants du texte « Pour un printemps du communisme » (11,95 % des voix). Leur ligne : « rassembler les forces antilibérales » pour bâtir un « front commun », principalement avec La France insoumise. Soit un choix stratégique aux antipodes de celui de la nouvelle équipe. Elsa Faucillon, députée des Hauts-de-Seine, estime que la « grande unité affichée est factice. On ne sait pas sur quoi elle repose. C’est le flou stratégique ».

Par ailleurs, les « printaniers » s’estiment mal servis au Conseil national. Ce dernier devrait être composé de 190 sièges. Les représentants du « Printemps » devraient en avoir une quinzaine. Peu, trop peu, selon certains.

Dans un communiqué envoyé dimanche midi, Elsa Faucillon et Frédérick Genevée « prennent acte de la réorientation stratégique » qu’ils ne « partagent pas ». « L’affirmation identitaire qui s’est exprimée dans ce congrès ne cache pas le retour à cette politique d’union de la gauche et d’alliances à géométrie variable. (…) Nous ne serons donc pas de la nouvelle direction, nous militerons autrement et serons de toutes les initiatives pour la construction d’espaces communs pour l’émancipation. »

« On ne veut pas jouer les cautions », explique encore Mme Faucillon qui assure qu’un éventuel départ « n’a pas encore été discuté ». En revanche, une réunion doit avoir lieu le 30 novembre où se retrouveront les communistes se reconnaissant dans le « Printemps » mais aussi des personnes extérieures. Comme Clémentine Autain, députée LFI de Seine-Saint-Denis, amie de Mme Faucillon avec qui elle codirige la revue Regards. L’idée est réunir « les insoumis et les communistes qui défendent des points de vue proches », selon Mme Autain, qui est venu vendredi au congrès. Elle continue : « On se parle, c’est vrai. On réfléchit à comment peser sur la situation politique. »

Le PCF soutient les « gilets jaunes »

Les communistes ont clairement soutenu le mouvement des « gilets jaunes », samedi lors de leur Congrès. Le futur numéro un, Fabien Roussel, a ainsi critiqué un gouvernement qui « joue le pourrissement ». Les quelque 800 délégués du Congrès réuni à Ivry-sur-Seine ont aussi voté une motion de soutien au « mouvement contre la vie chère et l’injustice sociale et fiscale », une formulation traduisant l’envie des communistes de faire basculer les revendications du côté gauche.

Fabien Roussel, qui remplacera dimanche Pierre Laurent comme secrétaire national, a pris la parole à la tribune du congrès : « Le gouvernement porte une importante responsabilité », a attaqué le nouvel homme fort des communistes. « Alors que des violences ont eu lieu sur les Champs-Elysées, il joue le pourrissement et fait le choix de ne pas répondre à la légitime indignation populaire. La colère ne se déclare pas en préfecture! »

Dans son intervention dimanche après-midi, Ian Brossat, tête de liste pour les élections européennes, a lui aussi soutenu « la colère, la révolte contre l’injustice fiscale ».