« Il n’y aura pas de super ligue », a affirmé Andrea Agnelli, président de la Juventus et de l’ECA, le « syndicat » des clubs européens, au cours d’une singulière conférence de presse qui l’a associé, mardi 20 novembre à Bruxelles, à Aleksander Ceferin, président de l’UEFA.

Les « Football Leaks » ont pourtant révélé que la Juventus faisait partie des conjurés de ce projet de « super ligue » privée, de même que le chantage secret (et gagnant) exercé par ses promoteurs sur l’Union des associations européennes de football (UEFA).

« Nous gérerons ensemble les compétitions, comme nous le faisons déjà aujourd’hui », a aussi assuré Andrea Agnelli. Pour autant, la future Ligue des champions, dont les deux hommes ont dévoilé quelques éléments, garantirait à partir de 2024 des places fixes à une oligarchie de grands clubs autodésignés…

Une ligue fermée dans une ligue « ouverte », saluons le coup de génie. Car une fois achevée la pantomime de la « super ligue », l’UEFA a dû concéder une nouvelle victoire aux grands clubs, jamais rassasiés très longtemps (depuis cette saison, la Ligue des champions garantit quatre places à chacun des quatre grands championnats).

Une vraie révolution, avec cette Ligue des champions semi-fermée qui accorderait à certains un statut de franchises à l’américaine, laissant les autres évoluer encore dans le système des promotions-relégations.

« Tout le monde aura une chance de disputer les compétitions européennes », a déclaré Aleksander Ceferin à la BBC. Quelques clubs élus auront 100 % de chances, tous les autres beaucoup moins. « Le rêve doit rester vivant », a assuré Andrea Agnelli. Aux uns la certitude de rester dans l’élite éternellement, aux autres le rêve d’y accéder momentanément.

Contre-attaque de la FIFA

Ceferin et Agnelli ne se sont pas étendus sur le fait que cette réforme conduirait à réduire le calendrier des championnats nationaux, voire à leur prendre les week-ends pour les reléguer en milieu de semaine. Ils n’ont pas démenti qu’elle allait affirmer la suprématie des compétitions européennes, qui impliqueront 96 clubs avec le lancement de la « troisième » coupe d’Europe.

Dans cette grande guerre des calendriers, déclenchée il y a près de vingt ans quand la FIFA avait lancé son projet d’harmonisation internationale, cette dernière ne veut pas être en reste. Après avoir adopté le passage à quarante-huit équipes pour la Coupe du monde dès 2026, elle étudie sa tenue tous les deux ans – une idée que Sepp Blatter avait soutenue dès 1999.

Cette réplique à la Ligue des nations lancée cette saison par l’UEFA n’est pas la seule. Devant l’opposition des Européens, Gianni Infantino, président de la FIFA, a renoncé in extremis, en octobre, à mettre au vote l’adoption d’une Global Nations League biennale qui étendrait… la Ligue des nations au niveau mondial.

Idem pour la refonte de la Coupe du monde des clubs, susceptible de passer à seize ou vingt-quatre équipes au lieu de sept actuellement.

L’UEFA contre la FIFA, les clubs contre les nations : ces luttes entraînent l’empilement des compétitions et la saturation des calendriers. Sans grande considération pour la santé des joueurs ni les risques de dopage, mais les « Football Leaks » ont aussi mis en doute l’intransigeance des confédérations en la matière.

Course aux armements

Les motivations des instances, elles, font peu de doutes : elles tiennent fondamentalement à la perspective d’augmenter leurs propres profits. 25 milliards de dollars, pour douze ans de Coupe du monde des clubs et de Global Nations League, auraient été proposés à la FIFA par un conglomérat comprenant le japonais SoftBank et des investisseurs saoudiens.

De son côté, Aleksander Ceferin se targue que l’UEFA ne traite pas dans l’opacité avec de tels fonds privés. Mais elle cède face à des clubs qui négociaient avec des investisseurs pour faire sécession dans une ligue privée, et elle leur offre le privilège exorbitant d’un siège à vie dans sa compétition la plus lucrative.

Les gouvernements du football ne mettent aucune limite à leur propre avidité et à celle de leurs administrés. La FIFA agit comme une autocratie qui prend soin d’enrichir ses membres. L’UEFA se met au service d’une aristocratie pour la conserver dans son giron.

Toutes deux semblent incapables de gouverner vraiment le football, c’est-à-dire d’opposer un contre-pouvoir à la seule logique économique afin de préserver des principes aussi élémentaires que l’équité et l’ouverture des compétitions.

Leur course aux armements prépare une révolution du football mondialisé dans laquelle l’intérêt du football en tant que sport ne semble pas entrer en ligne de compte.