Prothèse de hanche, implant. / IStock / stockdevil

Les « Implant Files » désignent une enquête menée par le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) et 59 médias partenaires, dont Le Monde. Nos journalistes Emeline Cazi, Stéphane Horel et Maxime Ferrer, qui ont participé à l’enquête, ont répondu aux questions des internautes lors d’un tchat lundi 26 novembre.

J’implante chaque année des milliers de stents coronaires. La communauté cardiologique, à laquelle j’appartiens, met un point d’honneur à les évaluer scientifiquement. L’obtention de la norme CE semble un peu légère au regard de nos exigences. Les pharmacies centrales de nos hôpitaux et cliniques sont en revanche très bien organisées pour la traçabilité de ces dispositifs. Qu’attendez-vous de plus de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) ou du législateur ?

Nous nous sommes entretenus avec de nombreux pharmaciens hospitaliers qui ne partagent pas votre optimisme. Une enquête de la direction générale de l’offre de soins (DGOS), menée en 2014, révèle que cette traçabilité est loin d’être assurée : il y a encore beaucoup trop d’implants dont personne ne retrouve la trace. A l’AP-HP (Assistance publique - Hôpitaux de Paris), il n’existe pas de logiciel unique, ce qui oblige, en cas de problème, à aller dans les cahiers de bloc opératoire pour retrouver les implants et les patients concernés.

L’absence de réglementation véritablement contraignante est-elle le fruit d’un travail de lobbying des grandes entreprises du secteur auprès de l’Union européenne ?

Oui, c’est en grande partie le cas. Nous consacrons d’ailleurs un long article à ce sujet qui sera en ligne en fin de journée, et publié demain dans le quotidien. Mais les Etats membres de l’Union européenne ont aussi une responsabilité politique. Une majorité d’entre eux, notamment l’Allemagne et la Grande-Bretagne, étaient opposés à une refonte du système.

Bioprothèse en péricarde bovin pour implantation percutanée (TAVI), expansion lors de l’implantation par inflation d’un ballon. / Yves Samuel pour Le Monde

Les implants contraceptifs sont-ils concernés ?

Oui. Il y a eu des drames, notamment avec le dispositif de contraception définitive Essure, qui a été retiré du marché en septembre 2017.

Les autorités semblent expliquer qu’un changement est en cours pour l’obtention de la mise sur le marché. Savez-vous quand cela sera effectif et si cela suffira à nous garantir plus de sécurité ?

Une nouvelle réglementation européenne, adoptée en 2017, sera appliquée à partir de mai 2020, mais elle ne change pas fondamentalement le système de contrôle avant la mise sur le marché, qui reposera toujours sur des sociétés commerciales, les organismes notifiés.

Pouvez-vous nous parler du rôle de l’ANSM et de la HAS en France vis-à-vis des différents dispositifs médicaux disponibles ? Et nous dire si les dispositifs disponibles en pharmacie et remboursés par la Sécurité sociale sont plus fiables que ceux disponibles en milieu hospitalier ?

En France, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) est chargée de surveiller les incidents liés aux implants médicaux et d’inspecter les fabricants. Mais seuls quinze inspecteurs peuvent procéder à ces contrôles. La Haute Autorité de santé (HAS) donne son avis sur leur prise en charge et émet des recommandations sur leur bon usage.

Toute intervention médicale a toujours des risques associés, ils doivent être mis en balance avec les bénéfices. Dans ce que j’ai vu des « Implant Files », on ne voit que les risques (nombre de morts). Ne devraient-ils pas être rapportés à une fréquence d’utilisation, ainsi qu’au risque de ne pas utiliser l’implant ?

Le problème, pour les dispositifs médicaux, c’est que cette balance bénéfice-risque n’est pas évaluée systématiquement. En France, les autorités ne s’intéressent à cette question que pour les dispositifs les plus onéreux lorsque les industriels demandent leur remboursement.

Les produits commercialisés en Europe, donc potentiellement sans véritables contrôles, peuvent-ils l’être également hors de l’Europe ?

Le contrôle des dispositifs médicaux est très différent aux Etats-Unis, où l’agence responsable, la FDA (Food and Drug Administration), exige que les fabricants présentent des résultats d’essais cliniques avant de donner son autorisation de mise sur le marché. Ce n’est pas le cas en Europe, où le système repose sur des sociétés commerciales que le fabricant paie pour certifier ses dispositifs. C’est le marquage CE (conformité européenne) que l’on voit apposé sur toutes sortes de produits de la vie courante. L’obtention de ce marquage n’est conditionnée à aucun contrôle du produit lui-même.

Comment expliquer de telles lacunes dans un système français réputé très réglementé quand il s’agit d’autorisation de mise sur le marché des médicaments ?

Ce sont des processus de mise sur le marché très différents. Alors que les premières réglementations interviennent à la fin des années 1960 pour les médicaments, pour les dispositifs médicaux, il n’y avait rien jusqu’en 1990. Les autorités françaises, quand Xavier Bertrand était ministre de la santé, ont plaidé pour un système d’autorisation comparable, mais n’ont été suivies que par cinq pays, dont le plus important était l’Autriche.

Avez-vous eu connaissance de problèmes concernant les dispositifs implantables Revil, qui surveillent le rythme cardiaque ?

Nous n’en avons pas connaissance, mais Le Monde va mettre à disposition la base internationale « Implant Files Device Database », à partir de laquelle vous pourrez regarder le nombre d’incidents qui concernent votre dispositif médical.

L’Assurance-maladie est-elle au courant quand il y a déficience d’un implant ? Si oui, puisque les pharmacies des hôpitaux ont les infos sur l’origine des implants, pourrait-on croiser les deux banques de données pour identifier les modèles à risque ?

L’Assurance-maladie dispose de données qu’elle peut théoriquement exploiter mais, à ce jour, les autorités de santé ne les utilisent pas pour détecter d’éventuels problèmes.

Bioprothèse valvulaire aortique en péricarde porcin pour implantation percutanée (TAVI), bioprothèse auto-expansive - alliage à mémoire de forme COREVALVE ™Compagnie : MEDTRONICDiamètre de 23, 26, 29, 31 mm - hauteur environ 50 mm / Yves Samuel pour Le Monde

Votre enquête dénonce l’absence de contrôle des dispositifs médicaux et sur les nombreux incidents. Mais ces dispositifs ne sont-ils pas une fois de plus une preuve de l’absence de contrôle général ?

Dans différents domaines ayant un impact sur la santé publique, les pouvoirs publics ne se donnent pas toujours les moyens de repérer d’éventuels problèmes et d’en tirer les conséquences pour protéger la population.

Est-ce que les implants cochléaires sont également concernés par cette enquête ?

Nous n’avons pas enquêté sur ce type d’implants, mais plusieurs de nos partenaires, à l’étranger, l’ont fait. Nous vous invitons à parcourir leurs sites, ou à vous rendre sur le site de l’ICIJ.

Quelles sont les conséquences de cette absence de contrôle ? Y a-t-il actuellement un risque ?

D’après les chiffres de la base américaine consolidés par l’ICIJ (l’organisation qui a coordonné cette enquête et dont Le Monde est l’un des partenaires), en dix ans (2007-2018), les dispositifs médicaux sont liés à près de 5,5 millions d’incidents, plus de 80 000 morts et 1,7 million de blessés.

Vous reportez le nombre de morts, blessés et d’incidents, mais vous ne donnez pas le nombre d’implantations total. Pourriez-vous l'indiquer, afin d’avoir une idée de la probabilité d’avoir un matériel défectueux ?

Ce sont des données que nous avons cherché à obtenir pendant des mois, en vain. Et les autorités de santé n’ont pas été en mesure de nous donner une comptabilité précise des patients concernés pour chaque implant. Comme nous n’avons pas une vision globale du nombre d’implants médicaux sur le marché, il est impossible de calculer ces probabilités.

Quels sont les risques encourus par les chirurgiens et hôpitaux ne respectant pas la traçabilité des dispositifs implantés chez leurs patients ? En cas de réintervention pour identifier l’implant, cela est-il aux frais du patient ou de l’Assurance-maladie ?

Il n’y a pas vraiment de sanction, mais la ministre de la santé nous a assuré qu’elle y travaillait avec la Haute Autorité de santé et l’ordre des médecins. Les frais de réintervention sont couverts par l’Assurance-maladie, qui peut éventuellement se retourner contre le fabricant si l’implant est mis en cause de façon certaine.

Le domaine économique de la médecine cumule les scandales. Que font les autres pays européens pour tenter de maîtriser ces dérives ?

Les pays européens sont tous soumis à une réglementation décidée au niveau communautaire. Ils ont cependant une petite marge de manœuvre au niveau national. L’Europe n’impose pas de déclarer les incidents, mais en France, par exemple, le code de santé publique l’a rendu obligatoire pour les fabricants et les professionnels de santé.

Ce qu’il faut savoir sur l’enquête « Implant Files »

Les « Implant Files » désignent une enquête menée par le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) et 59 médias partenaires, dont Le Monde. 

  • Au cœur de l’enquête : les dispositifs médicaux. Plus de 250 journalistes ont travaillé sur les incidents occasionnés par ces outils censés aider les patients (de la pompe à insuline aux implants mammaires en passant par les pacemakers ou les prothèses de hanche).
  • Une absence de contrôle. Ces dispositifs médicaux bénéficient facilement du certificat « Conformité européenne » permettant de les vendre dans toute l’Europe… Et ce, quasiment sans aucun contrôle.
  • Un bilan de victimes très opaque. Seuls les Etats-Unis recueillent de manière détaillée les incidents relatifs à ces dispositifs médicaux. La base américaine compte 82 000 morts et 1,7 million de blessés en dix ans. En Europe, ces informations sont inexistantes, faute de « remontée » systématique et de contrôle.

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