« Civilization VI », un jeu de gestion qui permet de s’intéresser à l’Histoire et à la culture de différentes civilisation. / Firaxis Games

Tokyo est situé dans l’hémisphère sud, pas très loin de la banquise (on la reconnaît facilement de loin grâce à sa célèbre tour Eiffel). L’Egypte a fondé l’hindouisme et la Pologne l’islam, ce qui leur a valu plusieurs siècles de guerres religieuses à coups de débats théologiques. Et c’est à Rome qu’a été découverte l’énergie atomique et qu’a été construit le premier spatioport, aux alentours de 1912, en plein conflit gréco-sumérien.

Tout ça, c’est l’Histoire ; en tout cas, celle qui s’est écrite sous nos yeux durant une vingtaine d’heures de jeu et beaucoup trop de nuits blanches, depuis la sortie de Civilization VI sur Switch le 16 novembre dernier.

Civilization, c’est cette vieille série de jeux de gestion et de stratégie née sur ordinateurs en 1991. Depuis près de trente ans et six opus principaux, elle propose au joueur de diriger un peuple historique de son choix (Américains, Aztèques, Egyptiens, Français, Mongols, etc.) sur une carte générée aléatoirement. A charge pour lui, tour après tour, époque après époque, de la préhistoire à l’ère atomique, de s’imposer aux autres civilisations par sa puissance militaire, ses avancées scientifiques, ou encore son rayonnement culturel. Quitte à se coucher aux aurores, les yeux rincés par la lueur bleue de son moniteur, sans avoir vu le temps passer (que celui qui n’a jamais vécu cette expérience nous envoie sa première armée de hoplites).

Le célèbre Colisée de Kyoto (utile pour remporter la victoire culturelle, des fois qu’on viserait la victoire culturelle). / Capture d'écran

Mariage de raison

Jusqu’à présent, Civilization avait presque toujours été un plaisir de joueur PC. Cette série vénérée est en effet notoirement gourmande en puissance de calcul, notamment lorsqu’en fin de partie, la mappemonde n’est plus qu’un gigantesque réseau de villes et d’unités en plein bouillonnement. Les joueurs nomades avaient dû composer avec Civilization Revolution et Civilization Revolution 2, deux versions allégées tournant sur smartphones et tablettes. Mais jamais avec un épisode canonique.

Disons-le tout de go : Civilization VI sur Switch est une réussite majeure, même amputé de ses extensions et de son mode en ligne. Sur la forme, d’abord, parce que ce jeu réputé gourmand a été parfaitement optimisé pour la console hybride de Nintendo. Et si ce n’est un très léger bruit de ventilateur, presque mignon, lorsque la Switch mouline, – c’est-à-dire en permanence – il n’affiche aucun des désagréments redoutés, tels que perte de fluidité ou temps de chargement interminables.

Si vous ne voulez pas vous convertir à « la vache qui prie », je vous préviens, je vais vous botter les fesses. / Capture d'écran

C’est aussi une réussite sur le fond, car cette conversion ne perd rien de la richesse de ce sixième opus. Ceux qui ont découvert la série avec Civilization Revolution sur appareils mobiles risquent même d’être égarés lors des premières parties face à un degré de sophistication auquel ils ne sont pas préparés. Par exemple : les unités militaires ne s’empilent plus ; la carte n’est plus un simple damier mais est constituée d’hexagones ; les villes se développent en choisissant l’emplacement de chaque nouveau quartier ; les dirigeants étrangers suivent des agendas plus clairs ; des cités-Etats neutres interfèrent dans le jeu diplomatique.

Plus étonnant encore, suivant une nouveauté de Civilization V, les temples permettent désormais de créer sa propre religion, historique ou fictive. Et à coups d’émissaires, de gourous et des combats théologiques, de chercher à l’imposer aux autres villes. La nôtre, « la vache qui prie », n’a pas eu le succès escompté. D’une manière générale, le jeu se montre plus stratégique, et accorde une importance primordiale à l’agencement des villes, l’exploitation des ressources alentour et la disposition des armées lors des assauts.

Qui que vous soyez, attendez que j’explore le monde, et je vais vous botter les fesses hors de votre capitale. / Capture d'écran

Et puis, il y a ce mariage de raison évident entre l’un des jeux de gestion les plus chronophages qui soient, et cette console hybride qui permet de débuter sa partie sur téléviseur pour la finir dans le train. Ou dans le lit, ou aux toilettes, ou au bureau – ne riez pas, toutes ces dispositions ont été expérimentées, autant par professionnalisme que par souci d’expliquer comment ça marche à Philippe II, le roi d’Espagne, qui fait la loi dans ce monde. Civilization VI est le genre de jeu qui vous permet de ne plus avoir de vie ; sa version Switch vous permet de ne plus avoir de vie n’importe où, n’importe quand.

Ok, je mange ton pecorino romano d’abord, et je te botte les fesses hors de ta capitale ensuite. / Capture d'écran

S.O.S. nuits blanches

Il y a bien, certes, quelques défauts. L’ergonomie n’est pas fort intuitive, passage de la souris à des boutons oblige, et le tutoriel aurait pu être plus clair, les icônes mieux expliquées. Rien toutefois à quoi on ne s’habitue avec quelques heures de jeu.

Autre compromis, léger : si le jeu tourne sans problème, il faut tout de même s’attendre à ce que les derniers tours soient plus lents, les menus un peu moins réactifs. Blâmons autant la Switch, qui n’est pas la plus puissante des consoles, que ce frimeur de Trajan, l’empereur romain, qui a cru malin de fonder des villes tous les trois centimètres, tout ça parce que môssieur bénéficie par défaut du bonus « Or +1 pour toutes vos routes commerciales traversant vos comptoirs commerciaux ». (Rassurez-vous, nos samouraïs ont rasé sa Rome en 1412, il fait moins le malin depuis.)

JE VOUS AI TOUS BOTTÉ LES FESSES AH ÇA FAIT MOINS LES MALINS LÀ HEIN. / Capture d'écran

Enfin, Civilization VI est un jeu éminemment ludique, mais fatalement très politique. On a un peu déchanté quand on a réalisé qu’adopter la doctrine fasciste aiderait notre Japon à terrasser plus facilement l’Espagne et la Pologne (mais il était déjà 3 heures du matin, il fallait bien accélérer les choses). La prochaine fois, promis, on visera la victoire culturelle.

En bref

On a aimé

  • La richesse, la profondeur, la AH NON ARRÊTE DE FONDER DES VILLES TRAJAN
  • Une conversion de qualiNON CLÉOPÂTRE JE NE VEUX PAS ME CONVERTIR A L’HINDOUISME TU ARRÊTES MAINTENANT
  • Idéal pour s’occuper pendant un voyaTU CROIS QUE TES HOPLITES ME FONT PEUR, PERICLÈS ? TIENS, GOÛTE À MON CHAR D’ASSAUT

On n’a pas aimé

  • Très, très légère tendance à monopoliser l’attention du cerveau
  • Rêver d’hexagones pendant une semaine
  • Le prix des produits anti-cerne
  • Ne pas y rejouer, ne pas y rejouer, ne pas y rejouer…

La note de Pixels

[suite à une envie irrépressible de relancer une nouvelle partie, l’auteur de ces lignes a laissé en plan son article]/10