Carlos Ghosn, le 21 octobre 2009, à Tokyo. / YOSHIKAZU TSUNO / AFP

Dans la soirée du 19 novembre, sur le tarmac de l’aéroport japonais d’Haneda, l’homme qui se fait arrêter par les agents du procureur de Tokyo n’est pas n’importe qui. Il s’agit de Carlos Ghosn, le tout-puissant patron du numéro un mondial de l’automobile, Renault-Nissan-Mitsubishi. Son arrestation constitue le point de départ d’un scandale aux lourdes répercussions économiques.

Où se trouve Carlos Ghosn actuellement ?

En prison, dans le centre de détention de Kosuge, au nord de Tokyo. Présenté à un juge le 21 novembre, M. Ghosn, 64 ans, a été placé sous un régime qui correspond peu ou prou à la garde à vue française. Il ne s’agit pas d’une détention provisoire, dans la mesure où il n’a pour le moment pas été inculpé.

A l’issue de sa garde à vue – qui peut théoriquement durer jusqu’à vingt-trois jours, mais pourrait être prolongée si d’autres chefs d’inculpation sont retenus à son encontre –, il reviendra au juge de décider d’une éventuelle mise en examen. Si tel était le cas, il pourrait être incarcéré ou libéré sous caution, moyennant quelques restrictions de liberté. En général, les étrangers restent détenus car les autorités japonaises redoutent leur départ du pays.

Que lui est-il reproché ?

Il y a eu beaucoup de confusion sur les faits qui valent à Carlos Ghosn d’être poursuivi. Contrairement aux premières informations de presse et au communiqué diffusé par le patron exécutif de Nissan, Hiroto Saikawa, les chefs d’accusation ne concernent pas, pour l’heure du moins, une fraude fiscale ou un abus de bien social.

Officiellement, Carlos Ghosn est soupçonné d’avoir certifié, de 2011 à 2015, en tant que PDG de Nissan, des rapports financiers sur l’état de l’entreprise, tout en sachant qu’ils comportaient des inexactitudes concernant ses propres revenus. Il les aurait minimisés d’un milliard de yens par an (7,7 millions d’euros) durant cinq années, selon le bureau du procureur qui n’a pas donné de plus amples informations. Des accusations que rejette en bloc Carlos Ghosn, qui n’a pas fait usage de son droit au silence.

Que risque Carlos Ghosn pour ces faits ?

Si les soupçons sont avérés, M. Ghosn serait alors pénalement responsable. La peine peut être en théorie sévère. Le procureur général adjoint, Shin Kukimoto, a ainsi déclaré que l’affaire Ghosn était « l’un des types de crime les plus sérieux » compris dans le spectre de la loi financière japonaise de 2006, et que le suspect encourrait jusqu’à dix ans de prison.

Mais Nissan, qui est à l’origine de l’enquête, avait alerté le parquet en recourant à la nouvelle procédure dite « du plaider coupable », entrée en vigueur à l’été 2018. Cette dernière permet d’obtenir des sanctions réduites quand un accusé reconnaît les faits. Sans compter qu’une sanction forte contre un grand patron étranger, à la tête de Renault depuis treize ans, pourrait être compliquée à gérer pour le Japon, d’un point de vue diplomatique. Un enjeu qui pourrait aussi peser dans la balance de la justice nippone.

Pourrait-il y avoir d’autres poursuites ?

Les ennuis de Carlos Ghosn pourraient ne pas s’arrêter là. Depuis l’annonce de son arrestation, la presse japonaise fait état de nombreux comportements illégaux de l’ancien numéro un. La source n’est jamais mentionnée, mais il s’agit probablement de fuites émanant de l’enquête interne conduite par Nissan et transmise à la justice japonaise.

La presse japonaise affirme ainsi que Carlos Ghosn aurait continué, après 2015, de sous-évaluer ses revenus dans les documents remis aux autorités boursières. Ces revenus seraient placés et il ne les aurait pas matériellement encaissés. M. Ghosn aurait, par ailleurs, eu l’usage exclusif de quatre résidences de luxe dans quatre pays, maisons payées par la même filiale créée en 2010 et dont le but initial était d’investir dans des start-up.

L’agence de presse Kyodo News a par ailleurs affirmé que Nissan avait payé la sœur de Carlos Ghosn 100 000 dollars (88 185 euros) par an depuis 2002 pour une mission fictive de conseil. Le patron de l’alliance automobile franco-japonaise aurait aussi payé avec des fonds de Nissan plusieurs voyages en famille. Des soupçons de destruction de preuves pèseraient également sur M. Ghosn, selon des sources citées par Kyodo News. Tous ces faits, s’ils étaient avérés, pourraient faire l’objet d’autres poursuites.

Quelles sont les conséquences immédiates de ce scandale ?

Cette arrestation surprise a ébranlé l’alliance automobile franco-japonaise Renault-Nissan-Mitsubishi, dont M. Ghosn constituait l’un des principaux ciments. Les marchés ont d’ailleurs fortement accusé le coup, l’action de Renault perdant jusqu’à 8 % le jour de l’arrestation de son patron.

Les réactions officielles n’ont pas tardé pour tenter de circonscrire l’incendie. Chez Nissan, le Franco-Libano-Brésilien a été très rapidement limogé de la présidence du conseil d’administration. Ce dernier a tranché jeudi à l’unanimité, « en se fondant sur l’abondance et la nature convaincante des preuves », selon les propos d’un porte-parole. Même les deux anciens de Renault, Jean-Baptiste Duzan et Bernard Rey, désormais à la retraite, ont opté pour la révocation de l’ancien homme fort de la compagnie japonaise.

Mitsubishi Motors, le plus petit groupe du trio, avec 1,2 million de voitures vendues par an, a fait le même choix : Carlos Ghosn a été déchu lundi de son titre de président du conseil d’administration. Son limogeage, qualifié de « décision déchirante » par le groupe, a été voté à l’unanimité des sept administrateurs, dont le patron exécutif de Mitsubishi Motors, Osamu Masuko, qui va prendre la présidence.

Chez Renault, la stratégie est différente : l’intérim a été confié au numéro deux, Thierry Bolloré, mais Carlos Ghosn reste, pour l’heure, formellement PDG. Le groupe automobile français a par ailleurs lancé un audit pour vérifier ses rémunérations, selon le gouvernement français. L’enquête interne va être conduite par Claude Baland, ancien préfet et directeur général de la police nationale. « Tant qu’il n’y a pas de charges tangibles », M. Ghosn ne sera pas démis de sa fonction, a précisé le ministre de l’économie français, Bruno Le Maire.

Quelles sont les conséquences à moyen terme ?

Cette arrestation intervient alors que Carlos Ghosn devait présenter, dans les mois qui viennent, un projet de rapprochement plus étroit de Renault et Nissan. Le scandale marque un coup d’arrêt à ce processus. Et redessine, de fait, l’avenir du groupe automobile.

Si l’alliance automobile franco-japonaise résiste au départ de son créateur, de nombreuses questions se posent sur l’équilibre actuel entre les deux sociétés. De longue date, certains au sein du groupe japonais, et notamment Hiroto Saikawa, déplorent le « déséquilibre » historique au sein de l’alliance entre Nissan et Renault. Le groupe japonais, sauvé en 1999, ne détient que 15 % de Renault, sans droit de vote, tandis que Renault détient 43 % de Nissan.

Certains n’hésitent pas à voir dans la chute de Carlos Ghosn une manière pour le groupe nippon d’accélérer sa montée en puissance au sein de Renault. Mais M. Le Maire a rejeté l’hypothèse que la crise soit un coup monté de dirigeants de Nissan ou d’autres acteurs pour faire éclater l’alliance ou pour provoquer un rééquilibrage en faveur du constructeur japonais. Le ministre de l’économie français a ainsi assuré que la présidence du géant, forte de 450 000 salariés, allait rester à un français malgré la crise.

Des sujets qui devraient être largement abordés cette semaine aux Pays-Bas, où des hauts responsables de l’alliance franco-japonaise doivent se retrouver.

Quand Carlos Ghosn défendait son salaire
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