L’avis du « Monde » – à ne pas manquer

Pour jouer au portrait chinois : si c’était un chien, A Bread Factory serait le croisement harmonieux et attachant de races a priori incompatibles, berger allemand et lévrier, caniche et pitbull… Patrick Wang, cinéaste indépendant américain, propose un film fleuve de quatre heures, à la fois comédie de manières, œuvre militante et assemblage d’expériences esthétiques. A Bread Factory est divisé en deux parties ; les deux premières heures (A Bread Factory, Part 1 : Ce qui nous unit), dont il sera question ici, sortent dans les salles françaises, mercredi 28 novembre, on attend le deuxième volet pour le 2 janvier.

Ce grand spectacle est aussi ambitieux (dans son propos) que modeste (par ses moyens)

Au long de ce grand spectacle aussi ambitieux (dans son propos) que modeste (par ses moyens), on assistera à la lutte à mort entre la culture qui unit les citoyens et l’art qui divise les classes, aux manigances qui font le quotidien d’un conseil municipal, aux débuts dans la presse d’un adolescent qui se laisse distraire par sa première passion amoureuse. Entre manifeste et sitcom, Patrick Wang s’est ménagé un espace dans lequel on s’installe avec délice.

A Checkford, ville moyenne fictive du nord-est des Etats-Unis, la boulangerie industrielle du titre a depuis longtemps cessé de produire du pain. Elle abrite un centre culturel dirigé par un couple, Dorothea (Tyne Daly) et Greta (Elisabeth Henry-Macari). Désormais sexagénaires, les deux femmes tiennent à bout de bras leur petite institution, où l’on monte l’Hécube d’Euripide, où l’on invite une cinéaste grincheuse (Janeane Garofalo) à confier son œuvre à un projectionniste pas encore pubère. Mais, à l’autre bout de la ville, s’est ouvert un centre d’art contemporain qui baigne dans les dollars de mystérieuses corporations. Les figures de proue en sont un duo chinois qui pratique une forme de performance (se promener en scaphandre spatial dont les antennes sont ornées de figurines reproduisant les cosmonautes) qui se prête bien à la moquerie.

Une foule d’intrigues secondaires

La satire de l’art contemporain ne s’arrête pas à ces travers apparents, Patrick Wang évoque, en quelques séquences (un pastiche de vidéo virale, une conférence de presse…), les séquelles de l’alliance de l’argent, du spectacle et de l’élitisme. Il y oppose la petite troupe des acteurs culturels, souvent non professionnels, enthousiaste et discrètement compétente. L’imposant capital de sympathie qu’accumulent les personnages de Dorothea et Greta, énergiques, lumineux, permet au metteur en scène de faire monter le suspense. On devrait se moquer du sort d’une espèce de MJC à l’américaine, mais on tremble pour elle.

Les comédiens ne sont pas forcément excellents, mais cette disparité finit par servir le film

Autour de ce combat principal, le film déploie une foule d’intrigues secondaires qui mettent en jeu aussi bien le sort du journal local que l’avenir d’une famille afro-américaine dont la fille, actrice prometteuse, envisage d’abandonner les productions de la Bread Factory pour Hollywood.

Les comédiens ne sont pas forcément excellents (certains le sont, comme Brian Murray qui incarne un vieil acteur shakespearien), mais cette disparité finit par servir le film, elle est comme le reflet du travail qu’accomplissent Dorothea et Greta auprès de leurs concitoyens. Ce foisonnement d’histoires est bien sûr distrayant ; surtout, il ancre le film de Patrick Wang dans une communauté fictive qui prend tous les atours d’une réalité ressemblant beaucoup à la nôtre.

Bande-annonce A Bread Factory, Part1 : Ce qui nous unit
Durée : 02:00

Film américain de Patrick Wang. Avec Tyne Daly, Elisabeth Henry-Macari, Janeane Garofalo, Brian Murray (2 h 02).Sur le Web : www.eddistribution.com/a-bread-factory-part-1-2