L’avis du « Monde » – à ne pas manquer

Dans la ville chinoise de Chongqing se trouve le quartier très pauvre de Shibati. C’est là que le documentariste français Hendrick Dusollier pose sa caméra, ou plutôt se glisse, caméra en main, dans ses ruelles sinueuses et délabrées. Comme le dira plus tard son interprète, « il s’intéresse à tout ce qui va disparaître » : car le quartier s’apprête à être détruit, et ses habitants relogés.

Ce qui fait tout le prix de Derniers jours à Shibati, multi-primé dans plusieurs festivals internationaux, c’est que Dusollier ne se donne aucun air de documentariste français venu filmer la misère à l’autre bout du monde. Son dispositif est tel qu’il échappe à tous les écueils qui auraient pu miner un tel projet, à commencer par une position de surplomb.

Les « sujets » regardent le filmeur

Pour y échapper, Dusollier fait d’abord le choix de débarquer en Chine sans interprète et, visiblement, sans comprendre un mot de ce qu’on lui raconte. Les derniers habitants du quartier se moquent tendrement de lui – « S’il vient ici, c’est que ça doit être un paumé dans son pays » –, se demandent quel est l’intérêt de venir filmer ici et se préoccupent finalement de savoir s’il a mangé. Des boutades et des attentions qui le font d’emblée descendre de son rôle de documentariste tout-puissant.

La méthodologie documentaire de Dusollier évoquerait les allers et venues d’un chien

Ces adresses à celui qui filme rappellent cette évidence trop souvent absente de bon nombre de documentaires : les « sujets » regardent et pensent aussi le filmeur. Si l’on devait comparer la méthodologie documentaire de Dusollier, elle évoquerait les allers et venues d’un chien : mutique, errant dans les rues, attirant l’attention et l’affection des habitants, s’attachant à un personnage qu’il finit par ne plus quitter, disparaissant pour revenir quelques mois après.

Un pays imaginaire

Loin de se cacher derrière sa caméra pour devenir un pur œil ethnologique, Dusollier préfère compter avec son corps, se laisser guider par les habitants, suivre un enfant, une vieille dame qui s’est construit la « maison de ses pensées » en entassant des objets trouvés dans les poubelles du quartier. Des personnages qui, bien loin de se plaindre de vivre dans de telles conditions, regrettent de devoir aller habiter dans des appartements modernes.

En ce sens, Derniers jours à Shibati ne filme pas tragiquement la pauvreté, mais donne le sentiment d’avoir trouvé, dans une grande ville urbaine, un passage secret qui donne sur un pays imaginaire bientôt voué à la destruction.

Documentaire français de Hendrick Dusollier (59 minutes). Sur le Web : www.meteore-films.fr/distribution-films/Shibati