L’avis du « Monde » – à voir

Jusqu’ici, la carrière de cinéaste de Steve McQueen, ci-devant étoile de l’art ­contemporain, était tout entière consacrée au martyre – désiré dans Hunger, auto-infligé dans Shame, subi dans Twelve Years a Slave. Son cinéma était empreint de gravité, par sa ­thématique, par la manière de la traiter. D’où la surprise, parfois proche du désarroi, de le voir s’aventurer sur le terrain du heist movie, le « film de casse », généralement associé aux plaisirs éphémères. Sur un scénario de Gillian Flynn (Gone Girl, Sharp Objects), le Britannique négocie une trajectoire périlleuse, entre la fidélité à ses obsessions et le désir d’embarquer les spectateurs dans une histoire aussi excitante qu’invraisemblable. S’il parvient, malgré quelques faux pas, à ses fins, c’est grâce à un ensemble inédit au cinéma, où les femmes – emmenées par Viola Davis – se tiennent au premier rang, où les hommes, et non des moindres (Liam Neeson, Colin Farrell, Robert Duvall, Daniel Kaluuya, découvert dans Get Out…), restent un peu en retrait.

Au début des Veuves, Veronica (Viola Davis) est encore mariée à Harry (Liam Neeson). Ils vivent très haut, dans une tour des beaux quartiers de Chicago. Elle est professeure, responsable syndicale. Il est truand et embrasse amoureusement sa conjointe avant de partir au travail. Mais ce job sera le dernier. Avec ses trois collègues, Harry disparaît lors d’un sanglant affrontement avec la police.

Comme dans tout film du genre, Veronica doit réunir une équipe, et elle se tourne vers les veuves des collègues morts en même temps qu’Harry

Pour Veronica, le temps du deuil est bref. Elle apprend qu’avec son époux des millions de dollars se sont envolés en fumée, des millions destinés à un politicien de la ville, Jamal Manning (Brian Tyree Henry), qui a pour recouvreur de dettes son frère, tueur et tortionnaire au regard vide (Daniel Kaluuya). Un carnet laissé par Harry donne à Veronica les renseignements nécessaires pour réussir un casse qui permettra de rembourser la somme due.

Il lui faut – comme dans tout film du genre – réunir une équipe, et elle se tourne vers les veuves des collègues morts en même temps qu’Harry. Alice (Elizabeth Debicki), femme entretenue, écrasée entre sa mère et l’ombre du disparu, Linda (Michelle Rodriguez), commerçante acculée à la faillite. La troisième (Carrie Coon) refuse l’offre d’emploi, sa place est bientôt occupée par la baby-sitter de Linda, Belle (Cynthia Erivo). A cette cohorte aux effectifs impressionnants, il faut ajouter la dynastie Mulligan (Robert Duvall et Colin Farrell), élus corrompus, adversaires de Jamal Manning.

Beaucoup de balles à maintenir dans les airs

Ce qui fait beaucoup de balles à maintenir dans les airs, même pour un jongleur aussi habile que Steve McQueen. C’est finalement la mécanique du casse qui cède sous la pression. Malgré l’engagement physique des actrices, les détails parfois flous, souvent incohérents, émoussent l’intérêt des scènes d’action.

Ce n’est pas si grave puisque l’on croit aux personnages. A chacun d’entre eux, de Veronica, aux dehors impériaux, aux entrailles tordues de douleur, à Robert Duvall, patriarche confit dans la haine, en passant par Belle, qui (et elle est bien la seule) se lance dans la délinquance avec le mélange d’ascétisme et d’hédonisme d’une sportive de haut niveau.

Toutes ces entreprises, criminelles ou politiques, sont bornées par le même horizon : la mort

Steve McQueen, qui a pourtant longtemps pratiqué les galeries, ne se contente pas d’aligner les portraits. Il réussit à installer un système complexe de dynamiques, aussi bien à l’intérieur du groupe des femmes qu’entre les familles politiques rivales. Il ne s’agit pas vraiment de faire le portrait d’une grande ville américaine. McQueen se sert plutôt de la mythologie de Chicago (d’Al Capone au maire, Richard Daley) pour mettre en scène les rapports humains les plus primitifs : paternité et maternité, amour conjugal, subordination économique. La façon dont Veronica transforme sa bande de hors-la-loi en petite entreprise pourrait servir d’élément pédagogique dans les écoles de commerce.

Toutes ces entreprises, criminelles ou politiques, toutes ses aspirations, à la richesse, à la tranquillité, sont bornées par le même horizon – et c’est là qu’on est sûr d’être dans un film de Steve McQueen : la mort. Plus qu’un moyen de faire avancer le scénario (même si Gillian Flynn a recours à certains de ses tours de passe-passe favoris lorsqu’il s’agit de lancer le spectateur sur une fausse piste), la mort est ici l’adversaire invincible, qu’il faut essayer de tromper ou de vaincre, sans croire qu’on y parviendra. Parfois masqué par le bruit des armes à feu, par la férocité des dialogues, ce désespoir baigne le film d’une mélancolie singulière.

Les Veuves | Nouvelle Bande-Annonce [Officielle] VOST HD | 2018
Durée : 02:24

Film américain de Steve McQueen. Avec Viola Davis, Elizabeth Debicki, Michelle Rodriguez (2 h 09). Sur le Web : www.foxfrance.com/lesveuves et www.foxmovies.com/movies/widows

Les sorties cinéma de la semaine (mercredi 28 novembre)

A l’affiche également :

  • Casse-Noisette et les quatre royaumes, film américain de Lasse Hallström et Joe Johnston
  • Les Contes merveilleux, programme de courts-métrages américain de Ray Harryhausen
  • Frig, film français d’Antony Hickling
  • Lola et ses frères, film français de Jean-Paul Rouve
  • Sauver ou périr, film français de Frédéric Tellier (pourquoi pas)
  • Portrait d’une jeune femme, film français de Stéphane Arnoux
  • Robin des bois, film américain d’Otto Bathurst