Arte, jeudi 29 novembre à 20 h 55, série

Tout en ancrant sa série dans la sphère politique, Adam Price, dans Borgen, mettait en scène l’accession d’une femme au pouvoir dans la société danoise. Comment concilier vie privée et parcours professionnel, comment allier le choix de l’intégrité et les compromis de la gouvernance ? « On ne peut pas tout avoir, il faut faire des choix et en payer le prix, commentait Adam Price lors de sa venue au festival Séries Mania, en 2017, à Paris. Et le prix en sera nécessairement votre famille. » C’est ainsi que le couple harmonieux que formait la première ministre Birgitte Nyborg avec son mari se désagrégeait dès la fin de la saison 1. Doublant la solitude du pouvoir de la déshérence du cœur.

Pour sa nouvelle création, Au nom du père, le scénariste danois prend à nouveau appui sur une histoire familiale.

« Je suis un homme, j’ai un fils, j’ai un frère, et j’avais un père, ce qui explique que, cette fois-ci, je désirais aborder le versant masculin d’une famille, le rapport père-fils, nous a expliqué Adam Price. Je souhaitais montrer notre terrifiante habitude de détruire ceux que nous aimons le plus : nos enfants. Comment les protéger au mieux, sans les enfermer derrière un mur d’amour ou d’attentes ? Nous voulons le meilleur pour eux et finissons souvent, faute de les comprendre, par leur faire du mal. Pourquoi ? Tel est le thème de cette série, au travers d’une interrogation sur les différentes formes de croyance. »

Un héritage inconscient

La scène d’ouverture d’Au nom du père voit deux jeunes garçons s’amusant sur une plage. Leur jeu, étrange à première vue, se révélera vite faire miroir avec un héritage inconscient. Car pèse sur eux le poids des dix générations de pasteurs qui ont fondé l’identité de la famille, une tradition tissant attentes et désirs à leur égard qu’ils incarnent jusque dans leurs loisirs. L’un, August, petite caméra au poing, s’allonge dans un trou faisant office de cercueil, et filme son aîné, Christian, debout au-dessus de lui. Ce dernier, torse nu et collerette de pasteur luthérien au cou, cite les Ecritures à mesure qu’il recouvre son frère du sable balancé avec sa pelle de plage. Jusqu’à ce que le petit gisant en ait assez et s’enfuie sans attendre la fin de la cérémonie.

Johannes Krogh apparaît autant pétri de croyance religieuse que de sens politique

Lorsque la scène suivante réunit ces mêmes deux frères vingt ans plus tard, le jeu a fait place à une crise existentielle. Tout au moins chez l’aîné, Christian, qui, après s’être solidement formé au pastorat, a tourné le dos à la théologie, s’est engagé vers la libre entreprise, et grésille d’une sourde colère contre son père. Son frère, August, lui, assume le fardeau de l’héritage familial qui veut que, chez les Krogh, l’on embrasse la carrière ecclésiale de père en fils depuis plus de deux cent cinquante ans : quoique non exempt de doutes, il est devenu pasteur comme son père, Johannes Krogh. Ce dernier est magistralement interprété par Lars Mikkelsen (Borgen,Sherlock, House of Cards), qui s’est vu attribuer, le 19 novembre à New York, l’International Emmy Award de la meilleure interprétation masculine pour son rôle dans cette série.

Bipolarité et alcoolisme

Est-ce véritablement la foi qui a amené les deux fils de Johannes Krogh à s’orienter vers des études théologiques ? Est-ce la même foi qui entraîne Johannes Krogh à vouloir se faire élire évêque de Copenhague ? Ce père, charismatique et autoritaire, brillant orateur et grand pécheur (en lutte contre ses démons, dont la bipolarité et l’alcoolisme), souffre de n’avoir pu suivre son inclination pour le dessin et la peinture. Mais n’a-t-il pas reproduit auprès de ses fils la même exigence de sacrifier ses goûts à la religion ? Et, surtout, à une lignée qu’il ne veut pas voir s’éteindre ? Membre influent de l’Eglise luthérienne, pater familias exigeant, Johannes Krogh apparaît autant pétri de croyance religieuse que de sens politique, mû tour à tour par d’authentiques désirs mystiques et de violents élans de domination ou de dépression.

« C’est cette humanité-là, ce fait humain plein de contradictions que je souhaitais explorer, conclut Adam Price. Plus que la foi ou la religion, ce sont nos croyances, notre quête d’une réponse, quelle qu’elle soit, qui m’intéressent. Nous avons tous, religieux ou laïcs, un système de croyance personnel. Nous sommes constitués d’éléments, fondus entre eux, faits de foi, de superstition, de spiritualité, d’une once de bouddhisme, de recherche en développement personnel. La série est née de cette ­curiosité-là, de cette sourde attente, de cette grande quête spirituelle que nous n’arrivons pas à définir ou à appréhender. »

Au nom du père (saison 1), série créée par Adam Price. Avec Lars Mikkelsen, Ann Eleonora Jorgensen, Simon Sears, Morten Hee Andersen, Fanny Louise Bernth (Danemark, 2017, 10 × 58 min). Deux épisodes par soirée, chaque jeudi. La série est disponible en intégralité, jusqu’au 29 décembre, sur le site arte.tv