Faut-il interdire les fessées, tapes ou gifles aux enfants ? La question, sensible et récurrente, fera débat jeudi 29 novembre à l’Assemblée nationale entre les opposants aux « violences éducatives ordinaires » et ceux qui voient dans leur interdiction une atteinte à la liberté des parents.

Le MoDem, soutenu par le gouvernement, La République en marche et des élus d’autres groupes, présente dans la soirée une proposition de loi de portée largement symbolique, mais qui relance une controverse toujours vive sur les châtiments corporels en France, où le proverbe « qui aime bien châtie bien » a toujours ses partisans.

Selon la Fondation pour l’Enfance, 85 % des parents français ont recours à des violences dites éducatives. La proposition MoDem réclame au gouvernement un « état des lieux » sur le sujet avant septembre 2019.

Visée pédagogique

Les tenants de l’interdiction mettent notamment en avant, études à l’appui, les conséquences sur la santé physique et mentale des enfants. Examiné en première lecture, le texte ne prévoit pas de nouvelles sanctions pénales car elles existent déjà, et a une « visée pédagogique », de l’aveu même de la rapporteure centriste Maud Petit.

Il s’agit d’inscrire dans le Code civil, à l’article lu lors des mariages, que « les titulaires de l’autorité parentale l’exercent sans violence » et qu’« ils ne doivent pas user à l’encontre de l’enfant de moyens tels que la violence physique, verbale ou psychologique, les châtiments corporels ou l’humiliation ». Il s’agit, a expliqué la rapporteure, de « mettre un terme définitif à la possibilité pour les juges de reconnaître un droit de correction hérité du XIXe siècle qui n’a pourtant aucune existence en droit pénal ».

L’interdiction formelle permettrait également à la France d’être « en conformité avec les traités internationaux », alors que le pays a été épinglé à plusieurs reprises sur ce sujet, par le Conseil de l’Europe en 2015 ou le comité des enfants de l’ONU l’année suivante.

La France deviendrait ainsi le 55e Etat à interdire totalement les châtiments corporels, selon l’« Initiative mondiale pour mettre un terme à tous les châtiments corporels sur les enfants », une ONG basée à Londres. La Suède avait légiféré sur le sujet dès 1979.

« Sourires narquois »

Ce n’est pas la première tentative : après plusieurs textes inaboutis, la mesure avait été inscrite dans la loi égalité et citoyenneté, mais avait été censurée en janvier 2017 au motif qu’il s’agissait d’un « cavalier législatif », c’est-à-dire d’une disposition sans rapport avec l’objet du projet de loi.

Outre le soutien du gouvernement, le texte MoDem a l’appui de différentes organisations (Fondation pour l’enfance, Association STOP VEO…) ou du Défenseur des droits, Jacques Toubon, qui a défendu « un signal politique fort » afin de changer les mentalités. Mais dès les débats en commission, des élus de droite et d’extrême droite ont dénoncé une « ingérence » dans la vie des familles et l’« ineptie », voire le « ridicule » de la proposition. Julien Dive (Les Républicains) a aussi pointé « l’ironie de l’histoire » de voir ce texte porté par un parti dont le président, François Bayrou, avait giflé un enfant pendant la campagne présidentielle de 2002.

La rapporteure lui a rétorqué que cet enfant, qui avait tenté de faire les poches du leader centriste, était « devenu délinquant ». « Donc CQFD, au MoDem nous avons testé la gifle, nous avons constaté que ça ne marche pas ! », avait-elle lancé dans un « clin d’œil ».

Reste que pour Jean-Christophe Lagarde (UDI-Agir), la proposition sera « vide d’effet, sinon vide de sens ». Elle sera « très médiatiquement ressentie et sur le terrain et dans la vie sans effets réels ». En face, le patron du groupe MoDem Patrick Mignola se dit « stupéfait que ce sujet soit aujourd’hui encore à ce point caricaturé » : « A tous ceux qui voudraient ironiser sur le sujet, je les renvoie à ce qu’étaient les violences faites aux femmes il y a une décennie qui étaient accueillies avec les mêmes sourires narquois. »

Le défenseur des droits s’inquiète des « violences » subies par les enfants de moins de sept ans

Un homme donnant la fessée à son enfant. / Philippe Turpin / Photononstop / Philippe Turpin / Photononstop

Demander aux pouvoirs publics d’interdire la fessée, s’interroger sur les effets des écrans ou du placement en rétention : le défenseur des droits appelle, lundi 19 novembre, à mieux garantir les droits des plus petits avec vingt-six recommandations. Dans son rapport annuel consacré aux droits de l’enfant, réalisé avec son adjointe Geneviève Avenard, défenseure des enfants, Jacques Toubon s’intéresse aux 5,2 millions d’enfants âgés de moins de sept ans, estimant qu’il est nécessaire de se mobiliser pour la petite enfance, « en tout premier lieu, dans la protection contre toute forme de violence ».

« Il faut voter une disposition qui dit que la fessée, la correction, la gifle, c’est une violence et que c’est interdit, comme toutes les formes de violence », a plaidé M. Toubon lors de la présentation de ce rapport qui sera remis mardi à Emmanuel Macron. Il a apporté son soutien à la proposition de loi contre les « violences éducatives ordinaires », portée par la députée MoDem Maud Petit, qui sera examinée dans les prochains jours à l’Assemblée.

Le défenseur des droits, qui s’est dit régulièrement saisi de situations de bambins en centres de rétention, a réitéré sa recommandation de « proscrire dans toutes circonstances » le placement de familles. « L’enfermement, même pour une brève période, entraîne chez eux des troubles anxieux, du sommeil, du langage et du développement, de l’alimentation… Ces effets dramatiques sont souvent ignorés par les préfectures », a-t-il pointé. En 2017, selon l’institution, quelque 275 mineurs ont été placés en rétention en métropole avec leurs parents.

Pour Geneviève Avenard, « les écrans et leur impact sur les enfants sont un sujet d’inquiétudes à partir de 6-7 ans. Avant, on considère que c’est pédagogique, ludique, et les parents ne se rendent pas compte du danger» L’institution demande au gouvernement de « diligenter des recherches pour mieux appréhender les risques » et de faire prévaloir « le strict principe de précaution en interdisant les écrans aux enfants de moins de trois ans dans les lieux les accueillant », ou alors de « façon très limitée et dans une approche pédagogique ».