Bernard Laporte est un homme heureux. « Je dois vous l’affirmer sans aucune réserve, l’équipe fédérale est très fière de ces comptes », écrit le président de la Fédération française de rugby (FFR), dans une lettre à tous les dirigeants de clubs, de comités départementaux et de ligues. Avant ce léger rappel, deux paragraphes plus bas : à l’issue de la première année de plein exercice sous la présidence de M. Laporte, la « fédé » accuse un déficit de 7,35 millions d’euros…

Samedi 1er décembre, les dirigeants de tout le pays pourront voter pour approuver ou non ces comptes annuels de la saison passée, du 1er juillet 2017 au 30 juin 2018. A condition cependant de se rendre jusqu’à Agen (Lot-et-Garonne), le lieu choisi pour cette assemblée générale financière, d’ordinaire organisée en région parisienne.

Mais il y a un point important que Bernard Laporte a oublié de leur préciser. D’après les calculs du Monde, si l’on se fie aux conventions réglementées de la FFR, envoyées aux clubs avec les comptes annuels, les rémunérations de Serge Simon en tant que vice-président de la FFR posent problème. Leur montant dépasse le plafonnement autorisé par la loi française pour une association d’utilité publique. Selon le document, certifié par un commissaire aux comptes, le dirigeant perçoit une somme annuelle brute de 123 267,53 euros, dont un avantage en nature, le prêt d’un véhicule de fonction, valorisé à 4 827,53 euros.

La loi française est pourtant claire, quand on connaît le code général des impôts. Ce montant dépasse de 4 % le plafond légal de 118 440 euros bruts sur cette même période, qui correspond à trois fois la première tranche de la sécurité sociale. Si la FFR veut rémunérer trois de ses dirigeants au titre de leurs mandats électifs, elle doit s’y tenir. Ce qui est le cas pour ses deux autres dirigeants rémunérés, le trésorier, Alexandre Martinez (40 168,28 euros), et le secrétaire général, Christian Dullin (40 102,16 euros), tous deux également dotés d’un véhicule de fonction.

Contacté par Le Monde, Serge Simon n’a pas répondu à nos sollicitations. Pas plus que Pierre Ancely, commissaire aux comptes auprès de l’Union fiduciaire de Paris, qui a certifié « sans réserves » la comptabilité dans son rapport annuel.

« Vraiment une erreur bête »

Sur le papier, pourtant, même un petit dépassement comme celui-ci pourrait avoir de grandes conséquences. Au regard de l’administration fiscale, tout plafond excédé menace de remettre en cause le caractère désintéressé de la gestion d’une association. Voire sa reconnaissance d’utilité publique, qui lui permet de recevoir des legs et des dons – celle de la FFR datant, tout de même, d’un décret de 1922.

Une telle remise en cause transformerait la FFR en simple société à but lucratif, assujettie à toutes les taxes. La « fédé  », certes, paie déjà des impôts commerciaux comme l’impôt sur les sociétés (IS) ou la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). Mais quid d’autres taxes, comme celles sur les véhicules ou sur les bureaux, par exemple ? Question forcément embarrassante dans le contexte, déjà déficitaire, de la FFR.

Alexandre Martinez reconnaît « le problème » du dépassement et assure l’avoir repéré seulement cet automne. Juste avant la présentation des comptes aux membres du comité directeur, le 9 noveambre, à Marcoussis (Essonne). Depuis, le trésorier de la FFR dit avoir entrepris les démarches pour que la « fédé » redevienne en règle sans se faire épingler par l’administration fiscale, et sans mettre en péril son statut : sur sa fiche de paie de la fin du mois de novembre, la rémunération de Serge Simon a été « amputée du dépassement correspondant », déclare le trésorier. Soit une somme correspondant à près de 50 % de sa rémunération mensuelle, estime-t-il sans en donner le montant précis.

M. Martinez, pourtant rémunéré toute l’année pour veiller à la trésorerie, attribue le dépassement à « une erreur des services ». Et en particulier « les services RH », ajoute-t-il pour désigner le pôle des ressources humaines. « Vraiment une erreur bête », insiste-t-il. En cause, selon lui : l’avantage en nature de Serge Simon ne figurait pas dans les rémunérations de celui-ci entre les mois de janvier et octobre 2017. Ce qu’il a fallu réintégrer par la suite, tout avantage en nature étant compris comme une rémunération.

« On a tout rattrapé »

« Je pense que les services n’étaient pas familiarisés avec cette gestion des avantages en nature, suppose le trésorier, qui parle au nom de la direction. Ils se sont plantés, mais on a tout rattrapé. » Curieuse interprétation de sa part, puisque l’avantage en nature de MM. Dullin et Martinez apparaissait bien dans les conventions réglementées de l’exercice 2016-2017, à l’inverse de celui de Serge Simon.

De surcroît, la présence de ces dirigeants dans les institutions internationales permet aussi potentiellement d’autres rémunérations, non indiquées dans les conventions réglementées. En qualité de vice-président de la FFR, Serge Simon siège notamment au conseil du Tournoi des six nations, aux côtés du prestataire Claude Atcher, qui, lui, a déjà expliqué au quotidien L’Equipe toucher sur son compte personnel un défraiement. « Les jetons de présence de Serge Simon vont directement sur le compte de la FFR, pas sur son compte personnel », assure cependant le comité des Six Nations.

Reste un autre élément à éclaircir. Celui-ci, défaut originel, semble encore plus difficile à rattraper. Selon le Bulletin officiel des finances publiques, « la délibération et vote de l’instance délibérative statutairement compétente (…) fixent le niveau et les
conditions de rémunération hors de la présence du dirigeant concerné. »
S’agissant de la FFR, non seulement les intéressés ont assisté au vote du 14 décembre 2016, mais ils y ont pris part.

A Marcoussis, les 34 membres présents au comité directeur ont voté un principe de rémunération pour Serge Simon, Christian Dullin et Alexandre Martinez (32 voix pour, 2 abstentions), sans d’ailleurs prendre la peine d’en préciser le montant exact. Or, les statuts et règlements de la FFR disent que seules comptent les voix des membres présents. Parmi eux ce jour-là, onze jours à peine après l’élection de Bernard Laporte : MM. Simon, Dullin et Martinez.