Dans la petite cour de la maison familiale, Doris se laisse natter les cheveux pendant qu’elle fait défiler sa page d’actualité Facebook. Cette Béninoise de 19 ans étudie le droit et a passé deux ans aux Etats-Unis. Pourtant, elle n’a jamais entendu parler de la collecte d’œuvres africaines sous la colonisation. Et elle n’est pas la seule au Bénin.

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C’est sans doute la raison pour laquelle le retour de 26 œuvres d’art, annoncé par Emmanuel Macron, n’a pas enflammé le pays. La première chaîne publique a consacré un reportage à ce sujet et la presse écrite quelques articles, La Nouvelle Tribune évoquant « une grande victoire pour le Bénin », La Nation, « une grande victoire pour le président Patrice Talon ».

Peu de Béninois ont conscience d’avoir été dépossédés

Si le sujet n’est pas sans intérêt pour les Béninois, il est loin de leurs préoccupations. Peu ont conscience d’avoir été dépossédés, dans ce pays où les programmes scolaires d’histoire n’en font aucune mention. Le gouvernement de Patrice Talon a pourtant fait de cette restitution un des points forts de son programme. Même si chacun y trouve un intérêt différent… Le ministre des affaires étrangères, Aurélien Agbénonci, a insisté sur RFI sur le fait que « le grand programme touristique » du gouvernement sortait renforcé par cette restitution. Eric Gbèha, producteur et président de l’Association des promoteurs artistiques et culturels du Bénin, a même le sentiment que « l’aspect touristique prime dans cette affaire sur le travail de mémoire ».

Une puissante charge spirituelle

Pour d’autres Béninois, l’importance de ce retour est ailleurs, et notamment dans cette « force » qu’on rend au pays. Beaucoup d’œuvres sont en effet considérées comme sacrées et portent une puissante charge spirituelle. « Ce sont plus que des objets, ils sont l’incarnation d’esprits ! », affirme Jah Baba, musicien et entrepreneur culturel béninois. Pour lui, l’intérêt de leur restitution est « d’abord spirituel avant d’être artistique ». Il est de ceux qui pensent que leur disparition aurait appauvri en énergie ce pays pétri de culture vaudoue.

Aujourd’hui, avec ce retour, revient dans le débat la question de leur conservation. Un faux problème pour le ministre des affaires étrangères, qui estime avoir fait son travail pour garantir des « conditions idéales de réception, mais aussi de conservation et de gestion » des œuvres.

Un nouveau musée d’ici deux ans

C’est l’Agence nationale de promotion des patrimoines et de développement du tourisme qui est chargée du projet et son directeur, José Pliya, fait état de trois chantiers majeurs. Un nouveau musée sera construit sur le modèle des palais du Dahomey, mieux équipé et respectant les normes internationales. Ce « Musée de l’épopée des amazones et des rois du Dahomey », qui ouvrira d’ici deux ans, devrait accueillir les 26 pièces que la France s’apprête à renvoyer. Le Musée des arts et civilisations vaudous/orishas sera, lui, bâti à Porto-Novo, et le fort portugais de Ouidah sera transformé en musée d’ici à 2020 et pourra accueillir d’autres objets restitués.

Cependant, rien ne garantit que les Béninois iront voir ces œuvres. « Les Béninois n’ont pas encore la culture des musées, mais c’est une question d’éducation, défend M. Pliya. Ma conviction est que le retour de ces objets fondateurs de notre histoire va déclencher une émotion collective. » D’autres considèrent que le modèle occidental du musée n’est pas universel, et qu’il faudrait adapter la transmission du patrimoine à la culture africaine, entre art et spiritualité.