Près d’un Français sur deux a déjà fumé du cannabis dans sa vie, selon le « Baromètre santé 2017 sur les usages de substances psychoactives illicites en France », publié lundi 26 novembre. Mais parmi les Français usagers de drogue, combien compte-t-on de femmes ? Les données de l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) montrent qu’elles seraient bien moins nombreuses à en consommer. Marie Jauffret-Roustide, sociologue et chercheuse à l’Inserm, analyse les raisons de cet écart de consommations.

Peut-on dire que la consommation de drogues est plutôt masculine ?

Ce sont des tendances qu’on observe depuis longtemps. Mais les écarts sont plus ou moins importants selon les produits consommés. Pour l’alcool, comme pour la cocaïne ou l’héroïne, par exemple, on note un usage plus élevé chez les hommes.

Au contraire, on observe une augmentation du tabagisme chez les femmes. Elles rattrapent ainsi les hommes. Le fait de fumer est, pour elles, beaucoup moins stigmatisant que de prendre d’autres drogues. Le marketing a son importance : la publicité a longtemps donné une image glamour de la cigarette, en particulier dans les années 1950. On a vu naître une génération de fumeuses.

Comment explique-t-on de telles différences entre hommes et femmes dans l’expérimentation et l’usage régulier de drogues illicites ?

Dans l’imaginaire social, les drogues sont associées à des représentations d’ordre viril : la puissance, l’affirmation de soi, la performance… Cela va avoir un impact sur les comportements d’usage, mais également sur la manière dont les personnes vont répondre aux enquêtes. On peut imaginer qu’il est un peu plus compliqué pour une femme d’évoquer ses expérimentations.

Encore aujourd’hui, on attribue aux femmes des rôles sociaux fortement liés à la maternité, au fait de prendre soin de soi et de sa famille, etc. Des représentations à l’opposé de celles véhiculées par les drogues comme l’excès ou la démesure.

Malgré un potentiel biais dans les réponses aux enquêtes, il est clair qu’il existe une réelle différence de consommation et de rapport aux drogues entre les sexes. L’écart est important, et on le retrouve d’ailleurs dans les structures de soins pour usagers de drogues, où sont accueillis 80 % d’hommes et seulement 20 % de femmes. Cela s’explique par une consommation moins élevée chez les femmes mais aussi par des réticences à être repérées comme usagères de drogues. Certaines ont, par exemple, peur d’être vues comme de mauvaises mères et de se faire retirer la garde de leur enfant par les services sociaux.

Ces écarts évoluent-ils avec le temps ?

Les études internationales montrent une réduction des inégalités en termes de consommation de produits entre hommes et femmes. II y a une convergence des comportements, en particulier dans les pays scandinaves, moins inégalitaires en termes de genre.

On voit bien l’importance des normes de genre : les femmes ayant des responsabilités professionnelles élevées ont tendance à adopter des comportements dits « masculins » vis-à-vis des drogues. Plus la société sera égalitaire plus les différences de consommations se réduiront.

Sur le cannabis, la différence semble un peu moins marquée. Pourquoi ?

C’est un peu comme pour le tabac. Le cannabis n’étant pas perçu comme « drogue dure » dans la population générale – un terme qui a peu de sens –, son usage sera moins stigmatisant pour les femmes que la cocaïne ou l’alcool (l’ivresse chez les femmes étant très mal perçue socialement).

On remarque, cependant, que les jeunes hommes sont largement plus concernés par les usages régulier et problématique. Ils vont avoir des conduites à risques beaucoup plus importantes, très liées aux attentes sociales vis-à-vis de la masculinité : l’idée de « tenir » les produits et de dépasser leurs limites. La culture du risque est beaucoup moins développée chez les femmes, donc même si elles expérimentent, elles vont plus facilement arrêter.

Mais le genre n’est pas la seule caractéristique à intégrer dans l’étude de la consommation de drogues.

La question des drogues est complexe, il faut aussi prendre en compte le niveau d’études, la profession, la catégorie sociale… Des études menées à Paris, il y a quelques années, montraient, par exemple, un usage de cannabis plus important chez les jeunes issus de milieux favorisés. Au contraire, la consommation problématique concernait plutôt les jeunes issus de milieux défavorisés.

La question du genre vient donc se superposer à d’autres facteurs. On n’est pas qu’une femme, on est une femme avec un certain niveau d’études, qui appartient à un certain milieu social : c’est ce qu’on appelle l’intersectionnalité.

Notre rubrique Substances et dépendances

Chaque jour, des millions de personnes de tous les milieux, de tous les âges, prennent des milliers de substances, aux origines et aux fabrications multiples, dont certaines sont illégales. Mais les drogues interdites aujourd’hui ne l’étaient pas hier, et ne le seront peut-être plus demain. Cette rubrique explorera ces modes de consommation, les plaisirs qu’ils procurent, les problèmes qu’ils provoquent.