Hubert Védrine, ancien secrétaire général de l’Elysée (1991-1995) et ex-ministre des affaires étrangères français (1997-2002), en 2013. / BERTRAND LANGLOIS / AFP

Tribune. Après les attentats de janvier 2015, la Fondation Maison des sciences de l’homme (FMSH) a pris l’initiative de mettre en place une plateforme scientifique comportant deux observatoires, l’un consacré aux radicalisations, l’autre à la sortie de la violence. Un séminaire commun à ces deux observatoires a été créé, à l’intention d’un public de chercheurs, d’étudiants et d’acteurs (puissance publique, ONG, travailleurs sociaux, etc.) désireux de coproduire et de partager des connaissances en participant à une vie intellectuelle collective exigeante et ouverte.

Ce séminaire est animé par une équipe qui compte trois directeurs d’études de l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS) – d’où son inscription dans le programme des enseignements et séminaires de cette école. Pour l’année en cours, il a été décidé de réfléchir à une question rarement abordée : quel est l’apport éventuel de la recherche et de l’expertise dans les processus décisionnels, la négociation, notamment dans la gestion de crises politiques et/ou humanitaires ?

Fortes pressions

Nous avons reçu le 22 novembre Hubert Védrine (secrétaire général de l’Elysée sous la présidence de François Mitterrand, puis ministre des affaires étrangères sous celle de Jacques Chirac durant la cohabitation, de 1997 à 2002), invité à s’exprimer et échanger non pas uniquement sur le Rwanda, mais plus généralement à partir de son expérience des situations de crise internationale.

Pour cette séance du séminaire, annoncée comme à l’accoutumée, nous avons été soumis à de fortes pressions et intimidations, les plus visibles circulant sur le réseau interne de l’EHESS, TLM (pour « tout le monde »). Les étudiants de l’Ecole ont été appelés à la boycotter par des historiens tenant à faire part de leur « honte » et de leur indignation, comme s’ils détenaient la vérité absolue à propos du génocide au Rwanda en 1994, et alors même que l’objet de la rencontre avec Hubert Védrine portait sur les processus de décision en général, mais sans éluder évidemment ce terrible dossier. Quiconque ne pense pas de la sorte semble relever du négationnisme ou, comme il est dit dans une tribune publiée sur « Le Monde Afrique » le 23 novembre, du « révisionnisme d’Etat ».

Pour certains, il s’est donc agi d’intimider les participants à notre séminaire, afin que ceux-ci le boycottent. Pour d’autres, l’idée a été d’en profiter pour venir manifester et, ainsi qu’il est dit dans la tribune du 23 novembre, pour distribuer des tracts, en vertu d’une conception de la recherche qui se voudrait éthique.

Questionnement libre et informé

Nous n’avons pas cédé, au nom précisément de la liberté de penser, de s’exprimer et de débattre. Evidemment, dans ce cadre, le génocide de 1994 mérite examen, y compris sur le rôle de l’Etat français. C’est pourquoi la FMSH développe des outils et des espaces pour un questionnement libre et informé. Son objectif n’est pas de procéder à une censure morale ou idéologique, ni de se substituer à la justice, mais d’inviter des acteurs de premier plan, même controversés. Elle donne la parole pour ouvrir des échanges et des débats de qualité. Rien que sur le Rwanda, nous avons ainsi invité une pluralité d’intervenants (comme le montrent les programmes du séminaire).

Le séminaire s’est donc tenu, non pas dans un lieu secret mais, comme pour plusieurs autres intervenants, dans les locaux de la FMSH rue Suger, plus communément appelés « maison Suger ». Largement annoncé, et se déroulant dans ce haut lieu de la recherche internationale en sciences humaines et sociales, bien connu des chercheurs et de nombreux étudiants, le séminaire n’était en aucune façon « semi-confidentiel ». Comme pour toutes nos séances, une inscription préalable a été exigée, car la loi fixe des limites très strictes au nombre de places, et nous nous devions d’éviter une trop grande affluence. La sécurité personnelle de notre invité étant en cause, nous avons fait appel à une entreprise spécialisée, qui nous a fourni des vigiles.

Près de cinquante personnes ont participé, sans avoir été le moins du monde « triées sur le volet », la plupart suivant régulièrement le séminaire, comme le veut une vie universitaire quelque peu sérieuse. Parmi elles : des chercheurs très respectés et reconnus, y compris des spécialistes du Rwanda plus ou moins critiques vis-à-vis de la politique française ou d’Hubert Védrine, des responsables d’ONG humanitaires, qui ont apporté de précieux témoignages, des étudiants. La parole a circulé normalement, et la « règle de Chatham House » [qui interdit de citer les propos tenus par les conférenciers] a permis des échanges souvent passionnants.

Le directoire de la Fondation Maison des sciences de l’homme