Des « gilets jaunes » ont manifesté à Lille, samedi 1er décembre. / FRANCOIS LO PRESTI / AFP

Jean-Marc Baruzier s’est armé de son grand drapeau français. Ce retraité de 66 ans ne décolère pas. « Ils nous ont mis la réforme de la SNCF, le droit du travail, le 80 km/h sur les routes… Ils veulent nous laminer mais on a été tellement étouffés qu’aujourd’hui, toute cette colère ressort, avec, pour chacun, ses griefs », lâche-t-il, alors qu’autour de lui les manifestants scandent « Macron, démission ! ».

Le crachin et le froid ne les ont pas arrêtés. En début d’après-midi, samedi 1er décembre à Lille, la foule est nombreuse, et plus en colère que jamais. Un bon millier de personnes, des jeunes, des retraités, venus parfois en famille.

70 euros à la fin du mois

Masque sur le visage « au cas où » et bonnet sur la tête, Sylvie Bauchemin, 58 ans et en pré-retraite, manifeste dans les rues de Lille après avoir crié sa colère à Englos et Faches-Thumesnil, dans la métropole lilloise, les deux samedis précédents. « C’était très bon enfant, très pacifiste, raconte-t-elle. Aujourd’hui, en venant à Lille, j’ai peur mais je suis là ». Peur des débordements, de la violence de certains « gilets jaunes » ou de la présence de casseurs, mais jusqu’ici, tout va bien. « Paris était le pire endroit pour aller manifester ! Pas question de se prendre un coup de matraque », ajoute-t-elle. Dans la capitale, des violences ont en effet secoué de nombreux quartiers, faisant au moins 110 blessés.

Si Sylvie Bauchemin est dans la rue, c’est parce qu’à la fin du mois, il ne reste que 70 euros dans son porte-monnaie. « On est dans un système financier qui ne laisse plus de place à l’humain et ça engendre tous les maux actuels », dit-elle. A ses côtés, son compagnon, qu’elle a convaincu de venir manifester. André Locoge a une formation d’ingénieur d’affaires. Le système financier, il connaît. Il avoue d’ailleurs qu’à 60 ans, il vit de ses économies placées en bourse. « Je n’ai pas de mal à finir mes fins de mois mais on est quand même avec tous ces gens, dit-il. Ça fait 40 ans que je ne suis pas d’accord avec les gouvernements en place et pourtant, c’est la première fois que je participe à une manifestation. »

Le peuple a été « endormi » pendant des décennies tandis que « les riches, en minorité, se serrent les coudes ». Lui rêve de plus d’équité, dès la perception de l’impôt et jusqu’à la redistribution. L’évasion fiscale lui reste en travers de la gorge. « Le moteur de Macron, c’est l’argent, ajoute-t-il. Donc il faut tout bloquer. Vous pouvez manifester des années, tant que l’argent continue de circuler et que vous ne gênez personne, il a tout le pouvoir ».

Problème, tout le monde, parmi les « gilets jaunes », n’est pas d’accord sur les moyens d’action. Jetant un coup d’œil autour de lui, André Locoge lance : « Je ne suis pas sûr que la moitié des manifestants ici soit d’accord avec l’autre moitié. Tant que l’on n’est pas tous solidaire, on ne pourra pas avancer. Bloquons l’économie française et en face, ce sont les puissants qui iront demander des comptes à Macron. Là, il devra bouger ».

Les « gilets jaunes » rejoints par les syndicats

Colette Leduc, 68 ans, est elle venue d’Orchies, dans le Nord. Fonctionnaire à la retraite, elle en a « assez d’être ponctionnée ». Les 70 euros de CSG en moins tous les mois, « ras-le-bol » : « Moi, je veux qu’ils remettent l’ISF ! Ca calmerait déjà bien les “gilets jaunes” ». Derrière elle, Martine Riviere, 66 ans, confirme que la colère des retraités ne faiblit pas. Ses revendications, elle les a écrites dans le dos de son gilet jaune. « Monsieur Macron, il est temps de regarder la pauvreté dans les yeux rapidement ! » Martine a travaillé 42 ans et a fini cadre, mais veuve, elle n’arrive pas à vivre « correctement ». « On stagne à un certain niveau de vie, explique-t-elle, et je ne peux pas le concevoir ».

A Lille, aucun incident n’a été déploré en marge du défilé qui a rassemblé près de 2 500 personnes, selon les organisateurs. Ici, les « gilets jaunes » ont été rejoints par les syndicats réunis devant l’Opéra, en plein centre-ville. « On a reçu un bon accueil des gilets jaunes, estime Christine Carlier, secrétaire général de l’Union locale CGT Lille. Ça faisait trois jours qu’on était en relation avec eux pour faire converger les deux cortèges. Après tout, nous avons les mêmes revendications. Pour nous, l’essentiel ce sont des mesures concrètes autour du pouvoir d’achat, car ce n’est pas avec des mesurettes que l’on va s’en sortir ».

A la fin de la manifestation, un jeune homme vient tout de même interpeller des militants de la CGT : « On avait dit sans étiquette ! Pourquoi avez-vous mis vos chasubles rouges de la CGT et pas des gilets jaunes ? » Secrétaire général de l’Union locale CGT de Roubaix, Abdelkrim Abdesselam lui répond : « On n’est pas là pour récupérer le mouvement des gilets jaunes. Mais c’est la même lutte. Ça fait 20 ans que je suis syndiqué et j’assume. S’il n’y avait pas eu des syndicats comme le CGT, on ne serait pas en train de manifester librement dans la rue ! »

« Gilets jaunes » : les images des violences au cœur de Paris
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