Manifestation contre la hausse des prix des carburants, à Ouagadougou, le 29 novembre 2018. / OLYMPIA DE MAISMONT / AFP

Ablassé, 28 ans, a toujours eu l’habitude de compter. Mais, aujourd’hui, les résultats de ses additions l’inquiètent vraiment. Ses fins de mois deviennent impossibles. Pas étonnant dans ces conditions que la décision du gouvernement burkinabé, le 8 novembre, d’augmenter le prix du litre d’essence et du gasoil de 12 % ait été perçue comme « la taxe de trop ». Le cheminot, gilet orange de chantier sur le dos, avoue gagner 30 000 francs CFA par mois (45 euros). « La moitié part dans l’essence, le reste dans la nourriture. A la fin du mois, il ne me reste plus rien. Je survis plus que je vis », déplore ce jeune homme, qui loge pourtant chez ses parents à Ouagadougou.

Avec lui, les sifflets et les vuvuzelas hurlent et les cris de colère se font entendre dans les rues de la capitale burkinabée. Jeudi 29 novembre, la colère latente s’est cristallisée en manifestation. « La hausse des prix des carburants, c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase ! », tonne un manifestant, amer. Les quelques milliers de personnes qui marchent à ses côtés ce jour-là veulent dénoncer cette « mesure impopulaire et antisociale ». Réunie à l’appel de la Coalition nationale de lutte contre la vie chère (CCVC), la population scande les mêmes slogans : « Non à la vie chère ! Non à la dégradation de la vie des populations ! Pain et liberté pour le peuple ! »

« Les casseroles sont vides »

Dans le cortège dominé par une vague de chemises rouges, chacun craint les conséquences de ces hausses en chaîne. « Si on augmente le prix à la pompe, ça va impacter le prix des biens de consommation. Le pays va mal. Pourquoi est-ce que ce sont les pauvres qui doivent se serrer la ceinture ? », questionne Sylvain Kaboré, un ouvrier de 34 ans, militant de la Confédération générale du travail du Burkina (CGTB).

« Les casseroles sont vides. Il n’y a pas d’argent, il n’y a rien à manger ! », lui répond comme en écho Mariam Yra, une ménagère divorcée de 60 ans, qui tente vaille que vaille de subvenir aux besoins de ses quatre enfants avec ses 35 000 francs CFA mensuels (53 euros) que lui rapporte son petit commerce d’attiéké. « On est fatigué, on souffre. J’ai pris un prêt de 7 millions de francs CFA [10 600 euros] il y a deux ans pour payer mon logement et je n’arrive pas à rembourser. Il faut payer l’essence, les factures d’eau et d’électricité, la nourriture, les frais de scolarité. Il ne reste pas grand-chose à la fin du mois », détaille pour sa part Ludovic Karfo, un fonctionnaire père de deux enfants.

« Personne n’accepte de bon cœur de payer plus cher quelque chose, c’est normal », reconnaît le ministre de la communication Remis Fulgance Dandjinou. « Mais il faut tenir compte de la vérité des prix. C’était une nécessité. (…) Il fallait ramener la subvention de l’Etat à un niveau acceptable », explique-t-il, assurant qu’il n’y aura pas d’impact sur le coût des transports. Le gouvernement burkinabé baisse ainsi sa contribution de 14 à 6 milliards de francs CFA mensuels sur l’achat des hydrocarbures, invoquant la hausse des cours du pétrole sur le marché international du brut, l’endettement de la Société nationale burkinabée des hydrocarbures (Sonabhy) et la nécessité de soutenir « l’effort de guerre » contre les groupes terroristes qui touchent le pays. Un argument qui passe mal auprès de la population, dont près de 40 % vivent sous le seuil de pauvreté.

« Le gouvernement appelle à un effort de guerre. Il oublie que notre peuple est déjà en guerre contre la faim, le chômage, l’impunité et la corruption ! », rétorque Chrysogone Zougmoré, le vice-président de la CCVC. « Les populations croulent sous le poids de la misère et de la vie chère, aussi bien en ville qu’à la campagne. La vie devient extrêmement difficile pour les couches les plus vulnérables qui seront directement frappées par cette mesure », ajoute-t-il.

« Abandonné par l’Etat »

La hausse des prix des carburants devrait en effet se répercuter, par effet de contagion, sur les coûts de production, et donc sur celui des biens de consommation. « Les prix augmentent, mais les salaires restent stables. La baisse du pouvoir d’achat des consommateurs risque de jouer sur la demande et de générer la frustration des populations. D’autant plus qu’elles ne comprennent pas qu’on leur dise que les ressources sont limitées et qu’il faut faire des économies, quand on voit le train de vie du gouvernement… »¸analyse l’économiste Idrissa M. Ouédraogo.

En mai, l’achat d’une trentaine de nouveaux véhicules de luxe pour des membres du gouvernement, estimé à près de 3 milliards de francs CFA (4,5 millions d’euros) d’après les médias locaux, avait déjà suscité la polémique au Burkina Faso, où le salaire mensuel minimum est de 32 218 francs CFA (49 euros) et où le pays se classe parmi les moins développés, arrivant 183e selon son indice de développement humain (IDH).

Jeudi 29 novembre, lorsque les manifestants ont remis leur plate-forme revendicative au ministère du commerce burkinabé, sur l’avenue de l’indépendance, Ludovic Karfo n’a pas pu retenir sa rancœur devant le grand bâtiment ocre. « Regardez leurs grosses voitures, ça me fait mal de voir ça, ça a coûté des millions. Nous, on trime, on n’a pas d’eau ni d’électricité et le panier de la ménagère est vide », lâche-t-il, totalement désabusé.

Jean-Christophe Niekiema, un étudiant de 30 ans, qui vend des cartes téléphoniques au bord de la route pour 25 000 francs CFA par mois (38 euros), lui répond comme en écho ne faire plus « qu’un seul repas par jour pour économiser ». Lui se dit « abandonné par l’Etat ». Un sentiment partagé.