Automne 2013. Marraine d’un festival de littérature fantastique dans sa région lilloise natale, Cassandra O’Donnell se trouve bien embêtée lorsqu’elle doit, à cette occasion, intervenir face à des élèves de primaire d’Hallenes-lez-Haubourdins. La saga qui l’a rendue populaire, Rebecca Kean, n’est pas à mettre entre les mains des enfants. Une série d’urban fantasy avec une certaine tension érotique où l’héroïne sorcière côtoie loups-garous et vampires dans la Nouvelle-Angleterre d’aujourd’hui. « Du coup, je leur ai raconté comment on écrivait un livre », entonne la romancière, « et puis, assez vite, j’en suis venue à leur demander ce qu’ils aimeraient lire comme genre d’histoires. Ils m’ont répondu : on veut des enfants aux pouvoirs magiques, une forêt qui ravage tout et mange les gens, des dragons… »

Cassandra O'Donnell à Paris en 2012. / Philippe Matsas

Autant d’éléments que ces jeunes lecteurs de huit à dix ans retrouvent quelques mois plus tard lors de la parution de Malenfer, une série d’heroic fantasy où les humains cohabitent avec des êtres fantastiques, conçue pour eux, et en suivant leurs idées. L’histoire de Gabriel et Zoé, frère et sœur, qui vivent et se débrouillent seuls depuis que leurs parents ont dû quitter le foyer pour chercher de l’aide face à la menace que fait peser une forêt maléfique sur leur maison.

« La suite logique des contes »

Ce qui ne devait être qu’une nouvelle pour conclure la rencontre avec ces élèves est devenue une petite somme publiée chez Flammarion Jeunesse. Quatre ans plus tard, avec ses cinq tomes et des BD vendus à 130 000 exemplaires, son style littéraire et ses héros qui ont grandi, Malenfer est une véritable saga. Une chose n’a pas changé : Cassandra O’Donnell retourne chaque année dans des classes, pour échanger sur la tournure à donner à chaque épisode. L’auteure, qui vit désormais près d’Evreux en Normandie, remarque :

« Les enfants sont très rationnels, très construits, ils savent où ils veulent aller dans l’histoire, même s’ils réclament du fantastique, qui n’est autre que la suite logique des contes. Mais il existe finalement peu de fantasy pour les 8-11 ans. »

Et pour combler ce vide, elle en appelle aux maîtres du genre : quelques références à Tolkien par-ci, un hommage à Robin Hobb par-là, ainsi qu’une galerie de créatures classiques « pour transmettre les codes, les initier à ce registre ».

Couverture du Tome 1 de « Malenfer ». / Flammarion Jeunesse

Bien plus qu’un « tuto du fantastique », Malenfer se veut une première entrée dans la lecture, moderne et proche de son public, de ses attentes. « Sous ses abords fantastiques, cela parle à la fois du quotidien des enfants, de l’école, de la famille. Et puis il y a aussi un message fort. C’est l’histoire d’un peuple [les créatures magiques et fantastiques] forcé de fuir sa terre », rappelle Céline Vial, directrice littéraire des romans jeunesse de l’éditeur Flammarion. « Huit, neuf ans est un âge charnière pour donner le goût de la lecture. Il ne faut pas oublier que s’il n’y a pas de bons romans jeunesse, il n’y aura plus de lecteurs », lance spontanément l’écrivaine.

Des romans qui grandissent avec les lecteurs

Couverture du Tome 1 de « La Légende des quatre ». / Flammarion Jeunesse

Ils n’ont en tout cas pas disparu les lecteurs de Cassandra O’Donnell, si l’on en croit la petite nuée constante d’enfants devant son stand de dédicaces, jeudi 29 novembre au Salon du livre et de la presse jeunesse de Montreuil (Seine-Saint-Denis). « Cassandra ne s’est pas contentée de broder autour de quelques-unes de leurs idées. Tout est pensé, réfléchi, à hauteur d’enfant. Elle est aussi dans l’oralité quand elle écrit : c’est une excellente dialoguiste et elle veille à ce que la rythmique du texte sonne bien parce qu’à cet âge-là, les enfants lisent souvent à voix haute dans leur tête », défend Céline Vial, son éditrice. Sans se départir de son enthousiasme, Cassandra O’Donnell reconnaît :

« Il est beaucoup plus dur d’écrire pour les enfants que pour les adultes. Ils ont encore du mal à saisir les discours implicites. Alors il faut bien entendu leur faire une histoire mature, mais écrite de manière à ce qu’ils puissent tout comprendre. »

Après Malenfer, les lecteurs ont passé d’autres « commandes » que Cassandra O’Donnell a tenu à honorer : des collégiens belges lui ont réclamé « une histoire à la Stephen King » à laquelle elle ne va par tarder à s’atteler, et les deux premiers tomes de La Légende des quatre, récit post-apocalyptique pour collégiens, ont dépassé les 30 000 exemplaires vendus. « Mes lecteurs de Malenfer ont grandi et ils venaient me voir sur le salon en me demandant de faire une histoire pour eux », explique l’autrice qui place sa tétralogie sur une terre détruite par le gaspillage, la pollution et les guerres, où survivent quelques dizaines de milliers d’humains entourés de clans de ­Yokaïs, des hommes et femmes qui se transforment en animaux et en prédateurs géants : loups, tigres, serpents et aigles. Les clans vivent séparés, jusqu’au jour où les quatre héritiers à leur tête vont devoir s’associer pour se défendre face aux humains.

Pessimistes quant au futur

Dans La Légende des quatre, il y a de la traque et du sang. Mais aussi beaucoup d’instinct et de réflexion dans cette fable écologique. Les personnages, dont l’humanité est questionnée à la lumière de leur bestialité, ne sont pas manichéens. Certains héros s’avèrent froids et pragmatiques. « A 12 ans commence l’époque de l’instinct et de la transformation chez les ados. Et ils sont assez pessimistes quant au futur. Cette histoire met en cause la responsabilité des hommes, le plus grand prédateur de la planète. C’est une critique de la nature humaine », résume-t-elle.

Une noirceur que Cassandra O’Donnell entend casser dans l’un de ses futurs projets pour les enfants : un court roman sur une jeune réfugiée qui va débarquer dans une classe bretonne, une histoire contemporaine proche de ce qu’ils pourraient vivre, à contre-courant de la violence et de l’intolérance qui peut parfois régner dans les débats. « Mais l’idée vient de moi cette fois, pas d’eux », annonce-t-elle dans un grand sourire.