Le canal de l’Ourcq, à Pantin (Seine-Saint-Denis). / Est- Ensemble

Pour comprendre les mémamorphoses de la plaine de l’Ourcq, il faut se rendre à Pantin. Depuis dix ans, cette ville populaire est le théâtre de changements saisissants, concentrés autour des berges du canal. On y trouve un immense entrepôt industriel devenu le siège de l’agence de publicité BETC. Plusieurs bars branchés éphémères ou permanents, comme le Dock B, qui sert des bols de quinoa et des bières locales artisanales. Un théâtre installé dans une ancienne usine au bord de l’eau. Les ateliers de Chanel ont pris leurs quartiers en face – ceux d’Hermès un peu plus loin.

Un port de plaisance, des serres, des lofts... loin du Pantin populaire

A ce décor s’ajoutent plusieurs nouveaux immeubles construits le long du canal, avec, pour certains, des lofts d’artiste. L’année prochaine, un port de plaisance sera créé avec 50 arceaux, et des places pour des péniches événementielles. Bientôt, les halles Pouchard, immense espace de 78 000 mètres carrés, occupé jusqu’à l’année dernière par un fabricant de tubes, seront transformées en «  grandes serres », avec, au milieu des plantes, des bureaux, des restaurants, un hôtel.

Le taux de pauvreté dépasse les 30 % dans la ville, dans l’un des départements les plus démunis de France.

Le contraste est stupéfiant avec un autre Pantin, incarné à quelques mètres par une poignée d’immeubles de faubourg aux façades délabrées. Pantin, une ville où le taux de pauvreté dépasse les 30 %, selon les critères de l’Insee, située dans l’un des départements les plus démunis de France.

Les bords du canal de l’Ourcq, en voie de gentrification rapide, peuvent-il réussir leur reconversion sans créer des effets d’éviction d’une partie de la population ? Tel est l’un des défis de ce territoire du Grand Paris. Ces 200 hectares à cheval sur plusieurs communes de Seine-Saint-Denis font l’objet d’une vaste opération d’aménagement divisée en plusieurs ZAC, pilotée par l’établissement public territorial Est Ensemble, avec plusieurs aménageurs (Sequano et la Semip).

A Pantin, on se balade déjà le dimanche au bord de l’eau, entre les herbes sauvages et les murs couverts de street art.

Dans cette zone étroite qui comptait jusqu’ici des usines, des friches et des entrepôts – mais très peu d’habitat –, l’objectif est, d’ici à 2030, de construire 8 000 logements. Près de 1 000 sont déjà sortis de terre. A cela, il faut ajouter deux nouveaux ports d’activité, 450 000 mètres carrés de bureaux, de nouveaux espaces verts et équipements publics, plusieurs passerelles…

La première étape de cette opération est déjà bien visible à Pantin, où l’on se balade désormais le dimanche au bord de l’eau, entre les herbes sauvages et les murs des usines couverts de street art. Les prochaines phases commencent à métamorphoser les bords du canal à Bondy, Noisy-le-Sec… A Bobigny, l’immense friche du fabricant de mobylettes MBK, un site qui figure dans l’appel à projets Reinventing Cities, a été transformée de manière transitoire en « prairie » d’agriculture urbaine.

Plus loin, un site industriel de Romainville accueillera des commerces et une fondation d’art contemporain de la société foncière Fiminco, qui exposera les œuvres du fonds régional d’art contemporain d’Ile-de-France.

Pour réussir cette reconversion, ce territoire a un immense atout : le canal. « C’est un des rares endroit de la métropole où l’on peut vivre au bord de l’eau sans être séparé par une route. Du coup, c’est beau, et c’est calme », note Dominique Alba, directrice de l’Atelier parisien d’urbanisme. Commandé par Napoléon pour alimenter Paris en eau potable, le canal de l’Ourcq, qui court jusqu’en Picardie, a longtemps été une voie de transport de marchandises, avant de voir son usage décliner pendant la seconde moitié du XXe siècle. Aujourd’hui, il retrouve une jeunesse, notamment pour le transport de déchets : un projet est à l’étude avec l’opérateur de traitement des déchets ménagers Syctom, installé à Romainville.

« La version française de Williamsburg », à Brooklyn

Surtout, ses rives sont utilisées pour développer une offre de loisirs, des bars, des animations estivales. Le charme du canal et l’esthétique industrielle : une journaliste du New York Times a décrit ce territoire comme « la version française de Williamsburg », à Brooklyn. L’ambition d’Est Ensemble : faire du canal un lieu de vie, une « destination touristique », promouvoir la piste cyclable, l’accès à la nature... Et continuer d’attirer « des Franciliens qui ne venaient jamais avant », explique le chef du projet de la plaine de l’Ourcq à Est Ensemble.

Dans cette bataille pour conserver la mixité, la diversité des logements sera la clé.

Une ambition à double tranchant. « Donner l’envie de venir, et de pouvoir y rester » : le slogan du président d’Est Ensemble, Gérard Cosme, résume les enjeux de ce territoire. Dans cette bataille pour conserver la mixité, la diversité des logements sera clé. A Noisy, les anciens entrepôts de l’entreprise de métaux Engelhard accueilleront un mélange d’habitat social, de logements en accès direct à la propriété et une résidence intergénérationnelle. Avec une originalité : ce quartier de 600 logements, en bordure d’eau, sera piéton : les voitures devront se garer dans un « parking silo » à quelques centaines de mètres.

La culture et le sport, pour rendre inclusif le développement

La culture et le sport sont d’autres moyens de rendre inclusif ce développement. A Noisy, une piscine olympique devrait voir le jour au bord du canal. La transformation de la halle des Salins en équipement culturel est également au programme. « Mais le gros pari, c’est d’arriver à garder des zones d’activité. Ne pas chasser toutes les PME, au risque de tuer la diversité », poursuit Dominique Alba.

La réussite de ce grand projet dépendra de sa capacité à absorber les flux de transport des nouveaux habitants.

Autre enjeu : ne pas « privatiser » les bords du canal, le long de la promenade piétonne et de la piste cyclable. « A Est Ensemble, notre cœur de bataille avec les promoteurs, c’est de faire en sorte que les rez-de-chaussée des nouveaux immeubles soient actifs. C’est-à-dire que ce ne soient pas des logements protégés derrière des barrières. Qu’ils puissent abriter des activités, des équipements publics, des boutiques, pour qu’il y ait de la vie, et créer un sentiment de sécurité », explique le chef de projet plaine de l’Ourcq. Ce n’est pas encore gagné. Le nouvel immeuble de la Mutuelle sociale agricole, inauguré en 2017 au bord de l’eau, abrite son rez-de-chaussée derrière des grilles.

La réussite de ce grand projet dépendra enfin de sa capacité à absorber les flux de transport des nouveaux habitants. Sont annoncés l’extension d’une ligne de tramway et une nouvelle station de métro. Et, surtout, deux gares du Grand Paris Express… Qui tarderont plus que prévu, et fonctionneront finalement après la construction de la plupart des logements.

Cet article fait partie d’un dossier réalisé en partenariat avec l’établissement public foncier d’Ile-de-France.