Francisco Serrano, candidat de Vox en Andalousie, lors d’un conférence de presse, à Séville, lundi 3 décembre. / JON NAZCA/REUTERS

Editorial du « Monde ». L’Espagne est devenue un pays « normal » au sein de l’Union européenne et c’est une mauvaise nouvelle. Ce pays à peine remis d’une sévère crise économique, en butte au chômage de masse, à l’augmentation des inégalités et aux flux migratoires, semblait immunisé contre l’extrême droite, en raison de son passé franquiste. Quarante-trois ans après la mort de Franco et le retour de la démocratie, l’exception est terminée. Dimanche 2 décembre, le parti Vox a fait une entrée fracassante au Parlement andalou en y faisant élire douze députés régionaux, avec 11 % des voix, contre 0,5 % trois ans plus tôt.

La formation d’extrême droite, fondée en 2013 par d’anciens militants du Parti populaire (PP) qui considéraient le parti alors dirigé par l’ex-premier ministre Mariano Rajoy comme trop tiède, défend la suppression de l’autonomie régionale catalane et l’interdiction des partis indépendantistes, comme prélude au rétablissement d’un Etat centralisé. Vox exige aussi de reprendre Gibraltar, territoire britannique ébranlé par le Brexit, et de construire un mur entre les villes de Ceuta et Melilla et le Maroc, pour bloquer les arrivées de migrants. Ces dernières ont repris cette année, faisant de l’Espagne la principale porte d’entrée de l’Union européenne.

Anti-immigration, antiféministe et eurosceptique

La formation s’oppose encore aux lois qui sanctionnent les violences machistes, qui, selon elle, « criminalisent les hommes » et à celles, de mémoire historique, interdisant l’apologie du franquisme, ainsi qu’à celles qui autorisent le mariage homosexuel ou l’avortement. Elle défend enfin d’importantes baisses d’impôts financées par une réduction « radicale » du nombre de fonctionnaires.

Face à cette percée inédite, la défaite de Susana Diaz dans le fief andalou de la gauche augure mal des chances de succès du premier ministre socialiste espagnol, Pedro Sanchez, dont le gouvernement est minoritaire au Parlement, six mois après qu’il a poussé M. Rajoy à la démission, au printemps. Son parti a demandé en vain, lundi 3 décembre, de former une « digue de contention » entre les « partis constitutionnalistes » et l’extrême droite.

Le PP semble au contraire disposé à sceller un accord en vue de former le gouvernement régional andalou avec cette formation anti-immigration, antiféministe et eurosceptique. Certes, après trente-six ans de gouvernement socialiste quasi ininterrompu dans la région et alors que l’Andalousie reste à la traîne de l’Espagne et de l’Europe, avec un taux de chômage record de 21 %, une alternance politique est visiblement demandée par les électeurs.

Risque de normalisation

Le PP est pendant longtemps parvenu à rassembler une droite large, du centre droit aux nostalgiques du franquisme, ce qui lui a valu de nombreuses critiques, mais a eu le mérite d’éviter jusqu’à présent qu’émerge en Espagne un discours public xénophobe. Dévier de cette ligne est dangereux. Quant au parti libéral Ciudadanos, s’il est prêt à gouverner avec un parti aux idées contraires aux valeurs européennes, il devra l’expliquer à ses partenaires continentaux, dont La République en marche, avec qui il négocie en vue des élections européennes de mai 2019.

L’alternance politique en Andalousie ne doit pas passer par la banalisation de l’extrême droite. Moins encore par une forme d’adhésion à son programme. Or les prises de position récentes du jeune président du PP, Pablo Casado, associant immigration et délinquance, semblent témoigner d’un tournant qui, à défaut d’affaiblir Vox, risque au contraire de justifier et de normaliser son discours.