Des soldats mauritaniens montent la garde à un poste de commandement de la force conjointe du G5 Sahel, le 22 novembre 2018, dans le sud-est du pays, près de la frontière avec le Mali. / THOMAS SAMSON / AFP

L’envoyé spécial pour le Sahel Jean-Marc Châtaigner effectuait sa première visite à Ouagadougou (Burkina Faso), le 14 novembre, depuis sa nomination par le président Emmanuel Macron en août 2017. Venu préparer le prochain sommet de la force conjointe du G5 Sahel le 6 décembre à Nouakchott, le diplomate français, qui se définit comme « l’avocat du Sahel en France », appelle à accélérer les efforts en matière de sécurité et de développement dans la région, en proie à une menace terroriste accrue.

La situation sécuritaire continue de se dégrader au Burkina Faso. La force française « Barkhane », sur demande des autorités burkinabées, a déjà mené deux opérations militaires début octobre dans le nord et l’est du pays. La France va-t-elle renforcer son appui logistique sur le terrain ?

Jean-Marc Châtaigner La propagation de l’insécurité et la circulation des mouvements terroristes venus du Mali vers le nord et l’est du Burkina Faso sont préoccupantes. Nous sommes prêts à appuyer les forces burkinabées, à leur demande bien sûr, comme cela a déjà été fait au mois d’octobre. L’accord cadre intergouvernemental doit être enrichi afin de définir encore plus précisément les modalités d’intervention et le recours à la force « Barkhane ».

Les dirigeants français rappellent souvent le caractère limité dans le temps de l’opération « Barkhane ». Miser sur la force régionale du G5 Sahel, composée de la Mauritanie, du Mali, du Burkina Faso, du Niger et du Tchad, est-il stratégique ?

Pour être précis, le président de la République et notre ministre des armées Florence Parly ont toujours rappelé que « Barkhane » restera aussi longtemps au Sahel que nécessaire. C’est une opération de longue durée qui s’inscrit aussi en appui à la montée en puissance de la force conjointe du G5 Sahel et à la prise en charge de leur sécurité par les forces armées des pays du Sahel. La construction par les pays du G5 Sahel d’une réponse sécuritaire de long terme pour faire face au terrorisme dans la sous-région est vitale. La sécurité en Afrique a vocation à être assurée par les pays africains eux-mêmes. L’opération « Barkhane » a une action efficace et apporte un soutien immédiat face à la menace terroriste, mais elle reste une force française qui n’a pas vocation à intervenir éternellement.

Quatre ans après la création du G5 Sahel, la force conjointe tarde pourtant à se mettre en place. Aujourd’hui, moins d’un quart des financements promis a été déboursé. Comment expliquer ce retard ?

Nous sommes dans un calendrier très rapide si on l’examine de plus près : le lancement de la force conjointe du G5 Sahel a été décidé en février 2017. Un an plus tard, le 23 février 2018, à la conférence de Bruxelles, 414 millions d’euros de promesses de dons ont été récoltés. De nouveaux financements arrivent toujours. Les Etats-Unis par exemple ont augmenté leur contribution à hauteur de 110 millions de dollars [96 millions d’euros]. Certains fonds engagés ont déjà été décaissés et mis en place, comme ceux de la France et d’une partie de l’Union européenne.

Mais il ne s’agit pas uniquement de financements. Nous sommes en pleine phase d’acquisition de matériels. Il faut des équipements blindés, individuels, adaptés au contexte sahélien. Tout cela ne se commande pas en un jour. Toutes les promesses de dons faites à la conférence de Bruxelles doivent être mises en œuvre en 2018 et 2019. Donc, tout cela prend du temps. C’est frustrant bien sûr, mais il y a de lourdes contraintes logistiques, des temps de négociation incompressibles. Le plus important à regarder est le mouvement, imprimé par le dynamisme et la volonté des cinq Etats du G5 Sahel et de leurs partenaires d’avancer ensemble. L’engagement international ne doit pas faiblir. De son côté, la force conjointe doit aussi poursuivre ses opérations sur le terrain.

Dans un rapport remis au Conseil de sécurité le 12 novembre, l’ONU a exprimé son inquiétude face à la détérioration des conditions de sécurité dans la zone et au manque de moyens du G5 Sahel. La situation devient urgente…

Il est urgent de poursuivre l’action, il n’y a pas de temps à perdre, comme l’ont souligné les Nations unies. Ce rapport, publié tous les six mois, permet de faire le point sur le dossier et de maintenir la pression internationale pour que le dossier avance bien. Il ne faut pas faiblir, il faut que tous ceux qui ont annoncé des ressources les délivrent, que les commandes soient faites et que la force conjointe poursuive ses opérations.

Quelque 9 milliards d’euros de projets seront investis dans l’Alliance Sahel, une initiative lancée par la France et l’Allemagne en juillet 2017. En quoi cela consiste-t-il concrètement ?

Ce chiffre n’est pas pour moi le plus significatif. L’Alliance Sahel c’est avant tout près de 600 projets dans six secteurs prioritaires d’intervention : l’agriculture, l’emploi des jeunes, l’énergie, la décentralisation, la gouvernance et la sécurité intérieure. C’est un travail sur les zones fragiles, en guerre ou menacées par le terrorisme : la région des Hodh en Mauritanie, de Konna au centre du Mali, du Sahel au Burkina Faso – et puis peut-être à l’est si les autorités le demandent –, de la région de Tillabéri au Niger et celle du lac au Tchad. Ce sont des projets et des programmes très concrets, tels que la construction de puits, d’écoles, le retour des services de base.

Trop souvent, on se focalise sur le court terme, sur l’aspect sécuritaire, mais aucune solution ne sera trouvée si on ne s’attaque pas en même temps aux causes profondes qui conduisent certaines personnes à embrasser la cause terroriste. Elles prennent racine sur le sentiment d’injustice, d’abandon social, de misère économique et sur l’absence de légitimité de l’Etat. Ce sont ces enjeux-là de long terme auxquels nous devons répondre collectivement, pays du G5 Sahel et communauté internationale. Les groupes prolifèrent à la faveur du recul de l’Etat dans certaines zones, en instrumentalisant des tensions ethniques ou la question pastorale. La première chose que font les terroristes lorsqu’ils arrivent dans un endroit est de menacer les autorités locales, politiques, religieuses et coutumières, et de fermer les écoles. Le vrai combat du développement est là. Par exemple, au Burkina Faso, tant que les 500 établissements scolaires fermés dans le pays n’auront pas rouvert et que de nouveaux n’auront pas été construits, nous n’aurons pas gagné la guerre.