De nombreux bâtiments du centre de Johannesburg, à l’abandon et souvent squattés, pourraient devenir des logements sociaux. / Cyril Le Tourneur D’Ison/AFD

Dans sa studette de 16 m2 tiennent tout juste une armoire, un lit double, un canapé et une télé écran plat. Mais Susan Thembe ne s’en plaint pas. « On se sent très bien ici, parce qu’on est en ­sécurité, affirme cette Sud-Africaine de 32 ans, qui vit avec son mari et son bébé de 15 mois. Il y a aussi une aire de jeux pour les enfants, un terrain de foot, une salle de gym et une épicerie. On n’a presque plus besoin de sortir du bâtiment ! »

Pour entrer à l’intérieur de l’immeuble, le ­Platinum Palace, il faut poser son doigt sur un lecteur d’empreintes digitales et passer un tourniquet en fer. Comme partout dans le centre-ville de Johannesburg, la sécurité est la première des préoccupations. Coincé par deux autoroutes, à l’est et au sud, et une voie de chemin de fer au nord-est, le cœur de la mégapole économique sud-africaine a depuis longtemps la réputation d’une no-go zone. Tombé en décrépitude dans les années 1990, avec la fin du régime de l’apartheid, il connaît aujourd’hui des niveaux de ­criminalité parmi les plus élevés du pays.

Second souffle

Mais à l’instar du Platinium, certains bâtiments sont peu à peu rénovés et, doucement, les habitants reviennent. Le centre-ville, symbole de l’opulence de la ruée vers l’or qui a vu naître Johannesburg à la fin du XIXe siècle, connaît un second souffle. « Dans cette rue, la situation est nettement meilleure qu’à la réouverture en 2014 », glisse le manageur de l’immeuble, Lazarus Phanguphangu. Ce quinquagénaire, fort apprécié des locataires, veille sur les 572 studettes de cette ancienne usine reconditionnée. Eclairé aux néons et repeint en gris, l’intérieur du bâtiment n’est pas particulièrement chaleureux, mais l’ensemble est globalement propre.

L’organisation spatiale de Johannesburg reste très largement marquée par les politiques raciales du régime d’apartheid.

Celui-ci accueille essentiellement des couples avec enfants. « La plupart des gens ont quitté les townships pour se rapprocher de leur lieu de travail, c’est un gros plus », précise Lazarus Phangu­phangu. Vingt-quatre ans après la fin de l’apartheid, l’organisation spatiale de Johannesburg reste très largement marquée par les politiques raciales du régime ségrégationniste et brutal imposé par la minorité blanche. Dans les années 1950, les populations noires ont été massivement relogées dans des townships en bordure des villes, comme celui de Soweto, à plus de 30 km du centre, les éloignant d’autant des principaux intérêts économiques. En 1994, la transition a vu l’abolition des lois limitant la ­liberté de mouvement et d’installation des Noirs. A la suite de l’afflux de sans-logis et d’immigrés africains dans le centre, les Blancs ont préféré fuir dans les banlieues nord, opulentes et verdoyantes. Les grandes entreprises se sont installées à Sandton, le nouveau centre d’affaires ultramoderne.

« Immeuble pirate »

Sis face au Platinium, un bâtiment passablement délabré, aux vitres cassées et colmatées par du carton. Il s’agit d’un « immeuble pirate », abandonné par son propriétaire originel et habité de manière illégale. Les « squatteurs » sont souvent des familles qui ne peuvent pas s’offrir un logement plus décent et qui payent un loyer au chef de gang qui s’est attribué le bâtiment. D’après la mairie de Johannesburg, le centre-ville en compterait plus de cinq cents. « Le Platinium aussi était un immeuble pirate. Nous avons dû attendre sept ans avant de pouvoir y entrer », explique Nomfundo Mwelase, directrice marketing d’Afhco, le groupe immobilier privé qui administre le bâtiment. Il a fallu l’intervention de différents services de police, et des « Fourmis rouges », une entreprise spécialisée, parfois décriée pour la brutalité de ces méthodes d’éviction.

D’après la Banque mondiale, l’Afrique du Sud est depuis 2017 le pays le plus inégalitaire du monde, alors que le revenu moyen des Blancs reste 3,5 fois plus élevé que celui des Noirs.

Afhco possède une trentaine de bâtiments dans le centre et propose des logements à des prix « abordables », explique la responsable. Mais, au vu du marché, le groupe s’est aussi lancé dans le logement social avec l’appui de l’Agence française de développement (AFD). En 2012, l’AFD lui a octroyé un prêt de 14 millions d’euros pour rénover deux bâtiments, dont le Platinium. Résultat, les locataires payent 2 500 rands (159 euros) par mois en moyenne. Soit deux tiers du salaire minimum (à 3 500 rands par mois) que le gouvernement vient tout juste d’adopter. D’après la Banque mondiale, l’Afrique du Sud est depuis 2017 le pays le plus inégalitaire du monde, alors que le revenu moyen des Blancs reste 3,5 fois plus élevé que celui des Noirs. « Afhco est certes une entreprise privée à but lucratif, mais ils cherchent aussi à développer un modèle de logement qui permet de la mixité et l’inclusion des familles pauvres et marginalisées », explique Carl Bernadac, le directeur adjoint de l’AFD en Afrique du Sud. Le prêt AFD, octroyé à un taux plus bas qu’un prêt bancaire classique, permet au promoteur d’abaisser les prix des loyers. « Il est conditionné à des critères, notamment le niveau de revenus des ménages, afin de cibler en premier les plus défavorisés », précise-t-il.

« Régénération urbaine »

A Johannesburg, au moins 300 000 familles sont en attente de logement. Compte tenu d’un contexte économique morose et de restrictions budgétaires, la mairie a clairement fait le pari des opérateurs privés pour répondre à la crise du logement. Elu en 2016 à la tête d’une coalition hétéroclite de centre droit et de l’extrême gauche, le nouveau maire, Herman Mashaba, est lui-même un homme d’affaires. Parmi ses premières mesures, il a recruté 1 500 policiers, et mis en vente 84 bâtiments de la ville ou saisis à des propriétaires qui ont disparu de la circulation. « Je veux faire de la régénération urbaine la deuxième ruée vers l’or », ­a-t-il récemment déclaré.

Un langage qui plaît aux promoteurs, comme Adriaan Reyneke, le directeur d’Ithemba Property, dont le groupe vient d’annoncer un méga-projet de 1 200 logements à 1,2 milliard de rands. « C’est le plus gros investissement privé à Johannesburg depuis vingt ans », avance-t-il, dans ses bureaux du centre. Sur 40 000 m2, le projet vise à restaurer Jewel City, l’ancienne bourse aux diamants, et à créer un nouveau quartier avec école, clinique, commerces et, bien sûr, sécurité renforcée. « L’idée est de réhabiliter la ville quartier par quartier, s’enthousiasme-t-il. Et désormais, la mairie nous déroule le tapis rouge, c’est un grand changement ! »

« Les nouveaux propriétaires sont blancs et ils veulent faire partir tous les commerces tenus par des Noirs d’ici. »

Cette effervescence fait aussi des mécontents. Noluthando Sithebe, 25 ans, tient une boutique d’artisanat en plein Maboneng, l’un des premiers quartiers à avoir été revitalisés. A l’origine, un jeune milliardaire a racheté des entrepôts désaffectés pour une bouchée de pain, qu’il a transformés en immeubles résidentiels. Mais son entreprise, Propertuity, est depuis peu en ­liquidation. « Les nouveaux propriétaires sont blancs et ils veulent faire partir tous les commerces tenus par des Noirs d’ici », accuse la jeune femme, qui regrette la gentrification d’un quartier jusque-là consacré aux artistes et à la créativité. « Moi, je vends des objets à 30 ou 50 rands, et visiblement ça ne convient pas à leurs standards », souligne-t-elle.

Alors que les inégalités raciales compliquent toujours plus un paysage social éclaté, qu’ils soient promoteurs ou habitants, tous s’accordent à dire que la transformation de Johannesburg sera un travail de longue haleine. « Il ne suffit pas de décréter : revivez tous ensemble joyeusement dans le centre-ville, résume Carl Bernadac, de l’AFD. C’est de l’horlogerie fine, une alchimie particulière qui faut trouver, et il y a parfois des échecs qu’il faut surmonter. »

Cet article appartient à un supplément réalisé dans le cadre d’un partenariat avec l’Agence française de développement.