Hall de l'université de Paris -II Panthéon-Assas. / Alice Raybaud via Campus

Impossible de rester indifférent face au gigantesque hall d’Assas. Au-dessus des têtes, sur un immense écran à leds, un message en grandes lettres blanches défile à la manière des prologues de Star Wars : « Bienvenue à l’université Paris-II Panthéon-Assas ».

En plein cœur du quartier latin, cette université à dominante juridique, considérée comme l’une des plus prestigieuses de France, affiche tous les fastes de la modernité : écrans connectés à tous les coins de couloirs, bibliothèque et cafétéria lounge avec lampes signées Philippe Starck. Et l’un des plus grands amphithéâtres de Paris, pouvant accueillir jusqu’à 1 800 personnes. Dehors, les rues du sixième arrondissement foisonnent de restaurants chics et de boutiques de luxe. Nous sommes dans l’un des quartiers les plus chers de France.

On trouve beaucoup plus de sobriété sur le campus Saint-Serge de l’université d’Angers, établissement de taille moyenne de la région des Pays de la Loire. Dans l’ancienne cité médiévale, pas d’amphi gigantesques – 500 personnes maximum peuvent s’asseoir dans le plus grand – mais un large espace vert aménagé devant la faculté et une grande bibliothèque qui donne sur la Maine.

Deux campus, deux réalités, pour ces établissements qui forment pourtant au même diplôme : une licence de droit.

La faculté de droit d'Angers, en plein cœur de l'ancienne cité médiévale, en novembre. / Alice Raybaud via Campus

Du petit bassin au grand bain

A Angers, on joue la carte de la « famille ». « Nos étudiants sont choyés, ils savent qu’ils seront suivis », affirme Félicien Lemaire, professeur de droit public. Il en est persuadé : la proximité que permet la taille moyenne de son université (8 800 étudiants toutes licences confondues, dont 1 000 en droit) « fait la différence ». Elle est la marque de fabrique de l’établissement angevin, reconnu pour sa réussite en licence : toutes matières confondues, l’université se classe, cette année encore, première dans la réussite en trois ans, selon une note ministérielle de 2018. Elle affiche un taux de réussite en trois ans de 63,2 % contre une moyenne nationale de 42 % (et 42,2 % pour Paris-II Panthéon-Assas).

A Angers, l’université fait réussir ceux qu’elle a gardés : le taux de validation de la L3 atteint 90 %

En droit, néanmoins, la route n’est pas si facile. A Angers, les jeunes bacheliers ne sont que 42 % à passer en deuxième année de droit sans redoubler (proche des 41 % au niveau national, toutes disciplines confondues). Mais l’université fait réussir ceux qu’elle a gardés : le taux de validation de la L3 atteint 90 %. Un score impressionnant qui s’explique en partie par le faible nombre d’étudiants inscrits en troisième année de licence (191 élèves) mais aussi par une politique d’accompagnement dont l’université fait son cheval de bataille.

« Notre objectif n’est pas de talonner les universités en tête de classement, mais de donner sa chance à tous de réussir », assure Sabine Mallet, vice-présidente en charge des études et de la vie universitaire, qui cite notamment le dispositif DARE (accompagnement à la réussite des étudiants) qui propose un soutien méthodologique aux étudiants en difficulté (notamment les bacheliers professionnels et technologiques).

Le service InfoCampus a aussi été ouvert en 2014 : un lieu unique où les étudiants, notamment de première année, peuvent venir s’informer et faire toutes leurs démarches administratives liées à la vie étudiante (loisirs, logements, déplacements, etc.). Depuis la rentrée 2018, suite à la réforme d’accès à l’université, une première année de licence étalée sur deux ans a été mise en place pour les bacheliers qui ont obtenu la réponse « oui si » sur la plate-forme Parcoursup.

Avec ses 900 places assises et ouverte le dimanche, la bibliothèque de l’université d’Angers met à la disposition des étudiants de nombreux services (dont du matériel). / Alice Raybaud via Campus

Avec ses importants effectifs – 5 000 étudiants en licence pour la seule mention droit (dont plus de 2 000 en première année) –, étudier à Assas, c’est plonger tout de suite dans le grand bain. Quand elle est arrivée en deuxième année de licence, Anna s’est sentie comme « jetée dans un immense bassin, où personne ne venait [l]’aider ». Elle y a découvert une distance avec le corps enseignant bien différente de l’université nantaise, où elle avait passé sa première année et où les professeurs étaient « plus accessibles en amphi » : « Ici, ils donnent leur cours puis repartent. Pour la plupart, j’ai l’impression de les embêter quand je leur pose une question », regrette la jeune étudiante originaire de Russie.

Depuis neuf ans, un « parcours progressif » accompagne trois cents étudiants sur un an

Malgré tout, l’université a pris la mesure de l’important taux d’échec national en première année de licence. Depuis neuf ans, un « parcours progressif » accompagne trois cents étudiants sur un an. Objectif, « mettre le pied à l’étrier à ceux qui sont susceptibles d’avoir des difficultés », titulaires de bacs technologiques ou de bacs généraux sans mention, explique Pierre Crocq, professeur en droit privé à Assas. « Avec le parcours progressif, nous avons fait passer le taux de réussite en première année de licence de 1 % à 25 % pour les étudiants ayant un bac technologique », assure cet enseignant, qui est aussi directeur du collège de droit (parcours destiné, lui, aux meilleurs étudiants, sélectionnés sur dossier et après un examen).

« L’impression d’être en première année de médecine »

« Beaucoup trop de pression », c’est ainsi que Joana et Alexandra, étudiantes de 19 ans qui ont passé leur bac à Orsay, dans l’Essonne, décrivent spontanément la licence à Assas. « L’esprit de compétition y est vraiment dur, raconte Joana. En amphi, quand je n’ai pas eu le temps de noter une phrase, je jette un œil devant et si la personne devant moi se rend compte que je regarde son ordinateur, elle diminue la police de son document ou la luminosité de l’écran pour que je ne puisse pas lire. » Face à ce mode de fonctionnement très individualiste, « j’avais l’impression d’être en première année de médecine, avec un concours à la fin », souffle-t-elle, effarée.

Dans l’un des grands amphithéâtres de l’université d’Assas, en septembre 2016. / Paris II Panthéon-Assas

A Angers, même s’il y a moins de monde, on est loin de la « famille » évoquée par l’université. Presque tous les étudiants en droit rencontrés expriment une certaine « solitude ». « On a tous beaucoup de travail et on est dans notre bulle », explique Yousra, en deuxième année. Mais ils ne ressentent pas de véritable compétition intrapromo. Sur le campus, on loue au contraire la « douceur angevine » et le cadre de vie. Marc Bouvet, professeur d’histoire du droit, rappelle avec fierté – citant un récent palmarès – qu’« Angers est classée meilleure ville où il fait bon vivre de France. Cela participe forcément de la réussite de nos étudiants ».

Parmi les étudiants rencontrés, aucun n’a envisagé de quitter Angers pour faire sa licence dans une université plus cotée. « On est bien dans notre petite ville », sourit Mariam. « Ce serait trop de stress ! », enchaîne Carl.

« Saisir ses opportunités »

« Autour de moi beaucoup portaient du Yves Saint Laurent, parlaient de leur week-end en Suisse ou de leurs quatre jours en Guadeloupe… », Sonia

Le stress, ce n’est pas ce qui faisait peur à Sonia (son prénom a été changé), jeune étudiante d’origine indienne, avant d’arriver à Assas. L’image d’une « fac prisée par certains étudiants d’extrême droite », héritée des années 1970, a vite été démentie par son expérience : elle n’y a pas trouvé le racisme qu’on lui avait prédit. « Mais au début j’étais complexée, parce qu’autour de moi beaucoup portaient du Yves Saint Laurent, parlaient de leur week-end en Suisse ou de leurs quatre jours en Guadeloupe, souffle-t-elle. Est-ce que ça veut dire que je vais moins bien réussir ? Je me suis vite rendue compte que non. Mais à Assas, quand on ne vient pas de ce milieu, il faut savoir saisir ses opportunités pour ne pas être noyée. »

Son opportunité, Sonia l’a trouvée dans une association de débats en anglais. Elle qui n’avait jamais voyagé en Europe a pu se rendre au Portugal, aux Pays-Bas et en Allemagne, à moindre coût, et y rencontrer des étudiants du monde entier.

Espace de travail et de repos à l’université d’Assas. / Alice Raybaud via Campus

Les opportunités de ce type sont légion à Assas et participent de la renommée de l’université parisienne : possibilité de suivre des doubles diplômes avec des facs internationales, comme le King’s College à Londres, les liens avec les plus grands cabinets d’avocats parisiens et la plupart des travaux dirigés (TD) dispensés par des professionnels – quand habituellement ils le sont par des doctorants.

Des ambitions différentes

« Quand j’étais à Lille, en première année, on travaillait sur les manuels écrits par de grands professeurs, ici ce sont eux qui nous donnent nos cours », pointe Adrien, 20 ans, qui a aussi observé une différence dans « les ambitions des élèves » par rapport à son ancienne fac. A Assas, on rêve plus souvent d’un parcours à l’Ecole nationale d’administration (ENA) ou au sein des plus grands cabinets d’avocats parisiens.

« Parmi mes camarades de la fac de Lille, j’étais un des seuls à avoir comme objectif d’intégrer Science Po Paris en master. Quand je suis arrivé à Paris-II, je me suis rendu compte que tout le monde ici y pensait », se souvient Adrien. Beaucoup d’étudiants rêvent aussi d’intégrer l’Ecole nationale de la magistrature (ENM), pour devenir juge. A Assas, ils mettent toutes les chances de leur côté. « Un tiers des admis à l’ENM [qui propose 250 postes par an] proviennent de nos masters », ne manque pas de rappeler Pierre Crocq, de Paris-II Panthéon-Assas.

A la fac d’Angers, on ne décompte pas plus d’un admissible par an à l’ENM. Marc Bouvet le reconnaît : « On ne va pas se mentir, les universités de taille moyenne comme la nôtre ne peuvent pas espérer un score plus élevé. Mais qu’importe ! Le droit est un domaine extrêmement vaste qui ne mène pas qu’à l’ENM. » Malgré tout, pour le professeur Félicien Lemaire, l’autocensure des étudiants angevins n’a pas forcément lieu d’être. Les meilleurs élèves diplômés d’une licence de droit à Angers sont régulièrement admis dans les très bons masters en droit… notamment à Paris-II. « Et ils sont, assure-t-il, souvent ceux qui y excellent. »