A Chemnitz, le 16 novembre. / Jens Meyer / AP

Chemnitz fait à nouveau les gros titres de l’actualité en Allemagne. Trois mois après les violences qui ont suivi la mort d’un homme de 35 ans, poignardé lors d’une altercation avec des demandeurs d’asile, le 25 août, le nom de cette ville de Saxe est réapparu dans les médias et sur les réseaux sociaux à la faveur d’une « action » artistico-politique qui suscite une vive controverse.

A l’origine de cette « action », baptisée Soko-Chemnitz, le Centre pour la beauté politique (Zentrum für politische Schönheit, ZPS), une association fondée en 2009 par deux étudiants en science politique et dont les membres ne se présentent « ni comme des artistes, ni comme des caricaturistes, ni comme des activistes, mais comme des humanistes agressifs ». Lundi 3 décembre, le ZPS a ouvert un site Internet rassemblant des dizaines de photos de participants aux manifestations d’extrême droite organisées à Chemnitz fin août-début septembre. A l’adresse des visiteurs, cet appel : « Dénoncez vos collègues de travail, vos voisins ou vos connaissances, et recevez immédiatement de l’argent en récompense ! Aidez-nous à éloigner de notre économie et de nos services publics ces Allemands qui posent problème ! »

Les réactions ont été immédiates. La déléguée à la protection des données personnelles du Land de Berlin – où le ZPS est domicilié – s’est ainsi inquiétée de la légalité de l’initiative, même si ses initiateurs avaient pris la précaution de barrer la plupart des 2 000 visages affichés d’un trait noir au niveau des yeux. De son côté, le gouvernement saxon a porté plainte pour usurpation après la reprise, sur le site, du slogan « Ainsi va la Saxe », utilisé par les autorités régionales à des fins de communication.

« Persécution de la race allemande »

Cet appel à la dénonciation a également choqué des associations pourtant engagées, elles aussi, contre l’extrême droite. C’est le cas du Forum juif pour la démocratie et contre l’antisémitisme, pour qui le ZPS « discrédite » et « complique » le travail de l’ensemble des acteurs engagés dans la lutte contre l’extrême droite. Un avis partagé par le Conseil culturel allemand, qui représente près de 300 associations auprès des autorités. Cette initiative « ne contribue pas à éclairer, mais ne conduit qu’à diviser encore davantage notre société », a affirmé son directeur dans un communiqué publié sous le titre : « L’art est libre, mais il a des responsabilités ».

Sans surprise, enfin, l’affaire a provoqué des commentaires extrêmement virulents de la part de militants ou de groupes d’extrême droite, les uns dénonçant un « appel à la persécution de la race allemande », les autres se qualifiant de « nouveaux juifs » victimes de méthodes comparables à celles du IIIe Reich. En novembre 2017, une autre initiative du ZPS avait déjà suscité des réactions similaires : l’installation d’une réplique du Mémorial aux juifs assassinés d’Europe, construit à Berlin, devant la maison de Björn Höcke, figure de l’aile droite du parti d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne (AfD), lequel s’était indigné que la capitale allemande ait en son cœur un « monument de la honte ».

Une réplique du Mémorial aux juifs assassinés d’Europe de Berlin, installée par le Centre pour la beauté politique (Zentrum für politische Schönheit, ZPS) devant la maison de Björn Höcke, un responsables de l’AfD, à Bornhagen (Hesse), en novembre 2017. / SWEN PFORTNER / AFP

Mercredi, quarante-huit heures après le lancement de cette action, le ZPS a fait disparaître les avis de recherche controversés, et les a remplacés par un pot de miel… Le sens de ce symbole ? Selon le collectif, plusieurs centaines de participants aux manifestations se seraient eux-mêmes dénoncés en entrant leur propre nom ou ceux d’amis dans le moteur de recherche du site afin de vérifier s’ils avaient été identifiés. Une façon, pour le ZPS, de constituer sa propre base de données à partir des noms recherchés… Depuis, on peut lire en bas de la page d’accueil : « Merci pour ce cadeau de Noël avant l’heure. »