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Ils se retrouvaient au siège parisien de leur syndicat, le Groupement interprofessionnel des fabricants d’appareils d’équipement ménager (Gifam), ou dans les restaurants alentour, comme le très chic salon de thé Ladurée. Il y avait là des dirigeants de six firmes pesant près de 70 % du marché : BSH (Bosch, Siemens, Viva, Neff), Candy Hoover, Eberhardt Frères (Liebherr), Electrolux (AEG, Arthur Martin), Indesit (Ariston, Scholtès) et Whirlpool, deux groupes qui ont fusionné depuis. Lors de ces réunions tenues entre septembre 2006 et avril 2009, ils s’entendaient pour relever de concert le prix de vente conseillé aux distributeurs et accroître ainsi leurs marges au détriment des consommateurs.

Alertée par la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) du ministère de l’économie, l’Autorité de la concurrence a mené une enquête de quatre ans avant d’annoncer, jeudi 6 décembre, des sanctions pour un montant de 189 millions d’euros.

Les entreprises concurrentes s’étaient entendues sur des prix planchers en dessous desquels elles ne pouvaient descendre et sur un barème des majorations : 20 euros sur les appareils vendus moins de 200 euros ; 30 euros pour les produits entre 200 et 400 euros ; et 50 euros au-delà. Il ne s’agit pas de dérapages de seconds couteaux, mais d’une politique décidée « au plus haut niveau des entreprises lors de réunions secrètes », indique l’autorité administrative présidée par Isabelle de Silva.

Transiger pour bénéficier d’une « réduction de sanction »

« La concertation sur les hausses de prix se déroulait en trois étapes. Dans un premier temps, les dirigeants des entreprises se réunissaient pour définir les grandes lignes des hausses des prix avant que les responsables marketing ne discutent de leur mise en œuvre, détaille l’Autorité de la concurrence. Enfin, les dirigeants se réunissaient à nouveau pour finaliser les modalités de la hausse de prix discutée et garantir ainsi un meilleur suivi. Des échanges téléphoniques complétaient ces discussions. »

En outre, les fabricants (sauf Electrolux) se sont concertés entre mai et septembre 2009 sur les conditions commerciales appliquées aux cuisinistes afin de réduire le coût des contrats d’exposition de leurs produits chez ces derniers.

Les preuves de l’entorse à la loi étaient évidentes et ces grands noms des « produits blancs » (réfrigérateurs, lave-linge, sèche-linge, lave-vaisselle, tables de cuisson, cuisinières…) vendus en magasins ou en ligne ont préféré transiger pour bénéficier d’une « réduction de sanction », indique l’autorité indépendante. BSH a même sollicité la « procédure de clémence ». En échange d’une collaboration plus étroite avec les enquêteurs, le groupe allemand, qui est détenu par une fondation, a eu droit à une réduction supplémentaire.

Les amendes vont de 1 million d’euros pour Eberhardt Frères, le moins impliqué, à 46 millions pour Indesit, 48 millions pour Electrolux et 56 millions pour Whirlpool.

Reste à connaître l’ampleur de l’impact de ces ententes sur les prix facturés aux consommateurs. Durant ces quatre années, le marché n’était pas florissant. Les industriels incriminés ont expliqué que leurs coûts augmentaient alors que leurs prix de vente stagnaient, voire baissaient.

Dommage relativement limité pour le consommateur

Pour l’Autorité de la concurrence, « le dommage pour le consommateur final a pu être relativement limité ». Les grands distributeurs (Darty, Boulanger, enseignes de la grande distribution) conservent, en effet, un certain pouvoir de négociation des prix. En outre, la concurrence dans les « produits blancs » des géants asiatiques, comme les coréens Samsung et LG, ont sans doute atténué les effets de l’entente sur le porte-monnaie des ménages.

Le gendarme du commerce et des services traque les entorses à la concurrence dans tous les domaines. Sur les vingt-six plus grosses sanctions financières prononcées depuis 2000, seize concernent des ententes sur les prix, neuf des abus de position dominante et une la réalisation d’un achat anticipé, en l’occurrence l’acquisition de SFR et Virgin Mobile par Numericable, sanctionnée en 2016.

Le bilan financier de l’Autorité de la concurrence est très variable d’une année sur l’autre. Il dépend largement d’un ou deux dossiers où ses enquêtes ont abouti. Ainsi, le milliard d’euros d’amendes infligées en 2014 est dû, pour l’essentiel, aux 951 millions réclamés à des géants des produits d’hygiène et d’entretien (L’Oréal, Procter & Gamble, Henkel…). Au total, le Trésor public a récupéré 6,5 milliards depuis 2004.

Les plus grosses amendes infligées pour entente

A ce jour, c’est Orange qui a été sanctionnée de la plus lourde amende (350 millions d’euros en 2015), suivie d’Engie, pour la fourniture de gaz (100 millions en 2017). Pour le reste, il s’agit de cartels. Les géants des lessives (Colgate-Palmolive, Henkel, Unilever, Procter & Gamble…) ont été condamnés à 368 millions d’euros en 2011, ceux des produits d’hygiène et d’entretien (L’Oréal…), à 951 millions, en 2014. Une dizaine de grandes messageries ont été sanctionnées (672 millions), en 2015, et les trois opérateurs de téléphonie mobile, en 2005 (534 millions). Il y a également eu des sanctions pour entente sur les prix de la farine (242 millions), en 2012, et la production de lino (302 millions), en 2017.