L’Association des maraîchers de Jobari, dans la périphérie ouest de Juba, en réunion avec les soeurs de Daughters of Mary Immaculate et la FAO, le 19 novembre 2018. / FM/LE MONDE

Après avoir fui les combats dans sa ville natale de Yei, fin 2016, Jenti Juan a débarqué à Jobari, dans la périphérie ouest de Juba, la capitale du Soudan du Sud, avec ses six enfants et son mari, partiellement paralysé. Après qu’elle s’est présentée aux autres résidents, un dimanche, à l’église, le chef du village lui a alloué un terrain de 1 000 mètres carrés pour qu’elle puisse cultiver. Grâce au sorgho, à l’hibiscus ou encore au niébé qu’elle fait pousser, Jenti peut nourrir sa famille, qui dépend entièrement d’elle pour ses besoins de base.

« S’il y a la paix dans quelques années, peut-être que je rentrerai à Yei, mais, pour l’instant, je vais rester ici », dit Jenti

« S’il y a la paix dans quelques années, peut-être que je rentrerai à Yei, mais, pour l’instant, je vais rester ici », dit Jenti sans hésiter, pas encore convaincue que l’accord de paix, signé en septembre, entre le président, Salva Kiir, et son principal opposant, Riek Machar, ramènera la stabilité dans le jeune pays. Devenu indépendant du Soudan en 2011, le Soudan du Sud a replongé dans la guerre civile fin 2013, un conflit qui a coûté la vie à près de 390 000 personnes et déplacé un tiers de la population du pays, estimée à 11,4 millions.

Jenti fait partie de l’Association des agriculteurs de Jobari, créée en 2016 avec le soutien des Daughters of Mary Immaculate (DMI), une organi­sation religieuse elle-même soutenue par l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). Autour de Juba, ce sont vingt villages qui bénéficient de cette initiative ayant pour but de promouvoir, sinon l’autosuffisance, en tout cas l’autonomie des personnes les plus vulnérables, sans accès à l’emploi, souvent déplacées de leurs régions d’origine et frappées de plein fouet par la crise économique que le ­conflit a créée. « Nous négocions avec les chefs de village, qui sont propriétaires de la terre, pour qu’ils autorisent des personnes venues de l’extérieur à cultiver », explique sœur Jeni Maila, directrice des programmes de DMI au Soudan du Sud.

Un programme modèle

Depuis 2016, soixante-sept associations d’agriculteurs ont été créées. DMI leur fournit outils, semences et pompes à eau manuelles. Des formations sont organisées pour améliorer la technique agricole et la capacité des maraîchers à commercialiser leur production. « Nous constatons un grand changement. Les revenus ont augmenté, les gens se sont construit leurs propres maisons et arrivent à faire trois repas par jour. Ils mangent, mais mettent aussi de côté », affirme Jeni Maila, persuadée que ce programme pourrait être étendu au-delà des villages en lisière de la capitale et fournir un modèle pour le retour des réfugiés et la reconstruction du pays.

Représentant intérimaire de la FAO au Soudan du Sud, Pierre Vauthier explique que ces programmes « créent de la résilience, c’est-à-dire une capacité pour les foyers à absorber les chocs ». Les chiffres sont parlants : au début du projet, 55 % des agriculteurs soutenus pouvaient vendre une partie de leur production après avoir assuré leur consommation personnelle. En 2018, cette proportion est de 92,3 %, alors que la surface moyenne des exploitations a stagné à 2 100 mètres carrés, « ce qui montre que la productivité a augmenté », ajoute-t-il.

Dans un pays où 49 % des habitants sont en situation d’insécurité alimentaire, la FAO et ses partenaires, tel DMI, ont distribué 4 500 tonnes de semences en 2018, qui ont permis aux agriculteurs sud-soudanais de produire « au moins 200 000 tonnes » de céréales en plus, comblant le déficit du pays et évitant ainsi l’irruption d’une famine. « Et, au-delà, ce qui importe, c’est aussi de remettre les Sud-Soudanais au cœur des solutions, et de créer des ambitions », conclut M. Vauthier.

Effet fédérateur

« Nous avons mis en place des règles et, maintenant, même les voleurs se sont mis au travail ! » dit John Yanga, le directeur de l’association.

Les 5 000 habitants de Jobari, excroissance semi-rurale de la capitale sud-soudanaise, sont originaires de régions et de groupes linguistiques et ethniques variés. John Yanga, le directeur de l’association des agriculteurs de Jobari, est arrivé dans le village en 2015. Il se souvient qu’y régnait un certain chaos, avant le début du projet agricole. « Il n’y avait pas de lois, on se faisait voler nos légumes, et on ne se rencontrait pas entre voisins », raconte-t-il. La création de l’association des agriculteurs a eu un effet fédérateur sur la communauté. « Nous travaillons ensemble, et même ceux qui ne sont pas dans l’association, nous les aidons », explique John Yanga. « Nous avons mis en place des règles et, maintenant, même les voleurs se sont mis au travail ! Vos voisins sont devenus comme vos frères, et lorsque nous avons des événements comme des mariages ou des funérailles, toute la communauté participe, les gens sont unis », ajoute-t-il.

John Yanga se vante d’être « le meilleur agriculteur de Jobari, celui qui travaille le plus dur ». Grâce à l’argent mis de côté, il a acheté un terrain d’une valeur de 600 euros, sur lequel il a construit une petite maison en dur. A l’avenir, il aimerait créer une exploitation agricole de plus grande envergure. « Mais on attend que la situation se stabilise dans le pays », admet-il, déplorant le manque de soutien du gouvernement.

Le climat est aussi un facteur d’incertitude. De mauvaises pluies ont détruit une partie des récoltes en cette fin d’année, à Jobari comme dans les villages autour de Juba. La faim aussi menace et les enfants risquent de dormir le ventre vide quand viendra la saison dite « de soudure » entre les récoltes, entre janvier et avril. « En luttant, on pourra s’en sortir », dit pourtant Jenti Juan avec conviction, avant de retourner cueillir son niébé et d’aller le vendre sur le marché.

Cet article appartient à un supplément réalisé dans le cadre d’un partenariat avec l’Agence française de développement.