Johannesburg, Afrique du Sud, décembre 2013. Hillbrow est l’un des quartiers les plus dangereux du pays. Avant la fin de l’apartheid, il était un quartier blanc. Aujourd’hui, de nombreux Noirs tentent d’y vivre avec une certaine dignité. / Lorenzo MOSCIA/ARCHIVOLATINO-REA / Lorenzo MOSCIA/ARCHIVOLATINO-REA

Du nord au sud, d’est en ouest de la planète, les sociétés se fissurent pour cause d’inégalités encore plus inacceptables que par le passé, parce que plus apparentes, avec l’essor d’Internet et d’autres technologies de la communication. D’autant que, comme l’explique Gaël Giraud, économiste en chef de l’Agence française du développement (AFD), « si l’extrême pauvreté a diminué en Chine, en Inde et au Brésil, réduisant les inégalités entre pays, les inégalités intrapays s’aggravent en revanche, et donc leur perception. Plus de 8 habitants sur 10 vivent dans un pays où les inégalités ont augmenté depuis vingt ans. » Le mouvement des « gilets jaunes » est l’une des multiples expressions de ce séisme social.

Un écart de richesse préocuppant

Ce thème, « Inégalités et lien social », est celui choisi par l’AFD pour sa 13e conférence internationale du développement, organisée le 7 décembre, à l’Institut du monde arabe, à Paris, et dont Le Monde est partenaire. L’écart de richesse entre les classes les plus fortunées et les classes moyennes est particulièrement préoccupant. « Aux Etats-Unis, il est deux fois plus important que celui existant entre la classe moyenne et les plus pauvres », selon Daniel Markovits, professeur de droit à l’université de Yale (Etats-Unis). En France, « il faudrait aujourd’hui 166 années à un ouvrier pour rattraper le niveau de vie d’un cadre supérieur, contre 36 en 1975 », rappelle Elise Barthet, dans Le Monde du 17 novembre.

Inégalités de revenus, d’accès à l’éducation, à la santé, inégalités dues au genre, à l’âge, à l’origine sociale ou ethnique...

Les inégalités sont multiples : inégalités de revenus, d’accès à l’éducation, à la santé, inégalités dues au genre, à l’âge, à l’origine sociale ou ethnique. Ces inégalités se renforcent les unes les autres. Ainsi, plus les écarts de revenus sont importants dans un pays, moins ses habitants sont diplômés de l’enseignement supérieur, selon l’édition 2018 du rapport de l’OCDE, Regards sur l’éducation, paru en septembre. Un cercle vicieux s’enclenche donc, les inégalités de revenus renforçant les inégalités scolaires, et vice versa.

« Repli des catégories supérieures »

Aux Etats-Unis, « en 2000, l’écart de réussite scolaire entre riches et pauvres était supérieur à l’écart existant entre les Noirs et les Blancs en 1954. Les inégalités économiques d’aujourd’hui ont des conséquences pires que l’apartheid en matière d’inégalités scolaires », observe Daniel Markovits. En France, « l’école est minée par les inégalités territoriales » selon le Conseil national d’évaluation du système scolaire, cité par La Lettre de l’éducation du 12 novembre. « La mixité sociale régresse, conduisant de facto à un repli, voire à un séparatisme des catégories supérieures », analyse Jérôme Fourquet, directeur à l’IFOP, dans une note passionnante sur « la sécession » des classes favorisées entre 1985 et 2017, publiée par la Fondation Jean Jaurès.

Ces écarts provoquent incompréhension et, à terme, fracture sociale, conflits meurtriers. « L’humiliation qui naît lorsque les gens se sentent méprisés est l’une des causes les plus fréquentes de la violence », affirment Richard Wilkinson et Kate Pickett dans leur livre Pourquoi l’égalité est meilleure pour tous (éd. Les Petits Matins, 2013). ­Selon Gaël Giraud, « l’explosion des inégalités déchire le lien social ». Son « indicateur de capacité relationnelle », conçu avec la philosophe Cécile Renouard, ­en apporte la preuve scientifique.

Braquer les projecteurs sur quelques projets et mesures mis en place pour réduire certaines inégalités

Au-delà de ce constat, nous avons voulu, dans ce supplément, braquer les projecteurs sur quelques projets et mesures mis en place pour réduire certaines inégalités. Dans les pays développés, comme dans ceux en développement. Qu’il s’agisse des moyens déployés, en France, dans la sphère éducative, pour accroître les chances de réussite des jeunes issus des quartiers défavorisés. Ou des investissements, dans des pays en développement – Afrique du Sud, Soudan du Sud, Inde –, financés pour améliorer les transports, réhabiliter des logements, aider à l’exploitation de terres agricoles.

Autant d’exemples qui mettent en évidence la complexité de mise en œuvre de ce genre de solutions pour qu’elles répondent positivement aux enjeux et contribuent à réduire la fracture sociale, en limitant les effets pervers dont elles sont potentiellement menacées. Comme ce métro de Cochin, en Inde, qui certes permet à tout un chacun de se déplacer plus facilement, mais renchérit le prix des terrains alentour, reléguant les anciens habitants en périphérie. Ou cette réhabilitation du centre de Johannesburg, porteuse du même type de risque.

« Sans lien social, il ne peut y avoir de développement économique et social. »

Car, si l’augmentation des inégalités détruit le lien social, à l’inverse, gare aux investissements qui font plus de mal que de bien, prévient ainsi Olivier Kayser, président du cabinet de conseil Hystra. « Ce type de projets peut provoquer le même type d’effets que ceux observés lors de l’arrivée d’un héritage dans une famille ! Sans lien social, il ne peut y avoir de développement économique et social. » La conférence de l’AFD devrait ainsi accroître les connaissances de tous sur ces sujets controversés. En renforçant les liens entre chercheurs du monde entier, pour un meilleur partage de leur savoir et à terme une utilisation plus équitable et durable des ressources de la planète.

Cet article est l’introduction d’un supplément réalisé dans le cadre d’un partenariat avec l’Agence française de développement.