Editorial du « Monde ». Les images des dizaines de lycéens de Mantes-la-Jolie placés dans une posture humiliante, sous des commentaires goguenards, sont injustifiables, quels qu’aient été les faits, répréhensibles, commis, jeudi 6 décembre, lors des incidents qui ont eu lieu près de leur établissement. Cette faute morale ne risque pas seulement d’enflammer davantage les lycéens et d’accroître ainsi le danger d’un engrenage sans fin d’agressions et de répression brutale. Comme les images des émeutes de Paris, elle répand dans les esprits une malsaine imagerie de guerre. C’est cette accoutumance mortifère qu’il convient de briser, avant que la haine ne s’enracine dans le pays, en réaffirmant sans se lasser que la violence ne profitera à personne, et que sa condamnation ne saurait tolérer aucune exception.

De fait, le pouvoir ne peut à la fois inciter au calme et montrer la moindre complaisance envers ces dévoiements du maintien de l’ordre. Or, pour l’heure, ni le président de la République ni le premier ministre n’ont donné l’impression de savoir faire autrement qu’alimenter la tension générale. Ces derniers jours, à force d’errements et de contradictions, ils ont tout à la fois annihilé les effets de leurs propres concessions et renforcé les doutes sur leurs capacités à traverser une crise majeure.

Cette semaine terrible s’inscrit ainsi dans le prolongement d’une première année et demie de quinquennat où Emmanuel Macron ne s’est jamais donné les moyens d’enrayer le mécanisme qui l’a porté au pouvoir – le « dégagisme » –, de mesurer l’ampleur de la crise qui nourrit ce phénomène, la remise en cause de la démocratie représentative, ou de s’adapter réellement aux priorités de l’heure : montée du sentiment d’injustice et urgence climatique.

Savoir dire non à ceux qui vous ont porté au pouvoir

Une décision a symbolisé d’emblée cette cécité : la suppression partielle de l’impôt sur la fortune. Nullement démagogique, a fortiori à une époque où l’essor des plus grandes fortunes a largement creusé l’écart avec les plus modestes, cette contribution assurait une équité des efforts qui sont demandés à chacun en période de transformation profonde de la société. Pour Emmanuel Macron, son maintien aurait fait la preuve d’une capacité de résister à la pression et au chantage à l’exil fiscal d’une infime partie de la population, et surtout démontré que le vrai courage en politique n’est pas d’imposer des sacrifices à des catégories très lointaines, mais de savoir dire non à ses proches, à ceux qui vous ont porté au pouvoir.

Las, l’ISF n’a pas survécu au premier été du quinquennat, parce que le président n’a rien voulu changer au programme du candidat. Dix-huit mois plus tard, au plus fort d’une crise qui ébranle tout le pays, le seul geste du président est de fermer la porte aux interrogations de sa majorité se demandant si rien ne pourrait remettre en cause son choix initial. Nouvelle occasion perdue de convaincre les « gilets jaunes » de ne pas renverser la table sur laquelle ils ont posé, depuis leur émergence sur la scène publique, de vrais sujets de discussion.

Il reste maintenant à espérer que le mouvement ne se laissera pas emporter par les passions tristes qui le parcourent, et par les manipulateurs qui tentent de l’orienter dans le sens de leur intérêt. Avec tous ses défauts, et ceux de notre République peuvent être largement corrigés, la démocratie représentative reste le système le plus apte pour prendre en compte une revendication de justice sociale. Et la violence le pire des moyens pour l’exprimer.

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