Entraînement de l’équipe centrafricaine de cyclisme près de Bangui, le 25 novembre 2018. / Gaël Grilhot

A la sortie de Bangui, côté marché de Bégoua, une trentaine de coureurs cyclistes se fraient un chemin, dimanche 25 novembre, pour rejoindre la route de Damara, l’une des seules voies praticables et sécurisées de cette région de Centrafrique. Chaque dimanche, avec leurs drôles de casques profilés et leurs dossards multicolores, les « Fauves » (le surnom de l’équipe nationale) l’empruntent pour leur entraînement collectif.

Composé d’athlètes de tous âges, le peloton est emmené par Jean-Pierre Feuillassier. C’est lui qui est à l’origine de la renaissance du cyclisme centrafricain. « Nous avons un noyau de six à huit jeunes coureurs vraiment bons, qui peuvent participer aux courses internationales », explique cet ancien cyclotouriste amateur, directeur général de Bolloré Logistics en Centrafrique.

Vélos de seconde main

L’équipe revient de loin, car avec la crise politique et sécuritaire qui s’est installée depuis 2013, le cyclisme est loin d’être une priorité pour les autorités. A l’époque, les locaux de la fédération ont même été pillés à l’arrivée de la Seleka à Bangui. Jean-Pierre Feuillassier, qui venait de prendre ses fonctions dans le pays, a commencé à s’intéresser à ces coureurs. D’abord tout seul, puis avec son employeur, spécialisé dans le transport de fret, il a entrepris de remettre sur pied une vraie équipe.

Dès 2014, il recrée un embryon de groupe avec une dizaine de sportifs et pallie peu à peu le manque de matériel. Des vélos « de seconde main, mais haut de gamme et intégralement révisés en Europe », sont importés puis distribués « aux plus motivés et méritants », explique-t-il. Des chambres à air et des pompes sont également fournies.

Avec un budget « de 8 000 à 10 000 euros par an », Bolloré Logistics réveille la fédération. Jean-Pierre Feuillassier apure également les retards de cotisation auprès de l’Union cycliste internationale (UCI), qui empêchent les coureurs de participer à des compétitions extérieures, et sponsorise au passage quelques courses nationales.

Des filles dans le peloton

L’équipe roule sous un soleil de plomb sur la petite route bordée de champs de manioc et de bananiers. La température monte à plus de 35°C à l’ombre. Sur les bas-côtés, des enfants crient au passage du peloton. Les coureurs se jaugent, se provoquent, tentent des accélérations.

Dans la voiture suiveuse, Innocente Gandao prépare les gourdes et distribue des barres de céréales. Grande et longiligne, c’est une ancienne championne cycliste. Elle est heureuse de voir aujourd’hui des filles dans le peloton, mais sa vraie fierté, c’est son fils, Gustave Dendo, une valeur montante. « Il a été champion de Centrafrique en 2017 », affirme-t-elle tout sourire. A tout juste 18 ans, Gustave Dendo s’est aussi illustré lors de la dernière édition de la Transrégionale camerounaise.

Le garçon, qui craint les nids-de-poule comme la peste, est ambitieux. Il veut gagner des courses pour être repéré et participer à des stages à l’étranger. « Ici, ils se connaissent par cœur, explique Jean-Pierre Feuillassier. L’objectif est de les confronter à des coureurs d’un autre niveau et sur des terrains différents. » Ce passionné de vélo n’en est pas à son premier coup de pédale pour faire avancer le cyclisme africain : avant les Fauves, il avait déjà aidé une équipe camerounaise.

Une discipline en vogue

Envisage-t-il pour autant une équipe Bolloré africaine ? « C’est peut-être un peu lourd à mettre en place », reconnaît-il. Le groupe français s’intéresse de près à cette discipline très en vogue sur le continent. Sa filiale Vivendi Sports a créé récemment le Tour de l’espoir au Cameroun, première des six épreuves comptant pour la Coupe des nations de cyclisme des moins de 23 ans, et les droits de courses africaines importantes ont été achetés par Canal+ Afrique.

Quelques pays, déjà, sortent du lot, comme le Rwanda, l’Erythrée ou l’Afrique du Sud, mais, dans l’attente d’une équipe continentale, « c’est surtout lors de courses comme le Tour du Faso ou la Tropicale Amissa Bongo, au Gabon, que nos coureurs peuvent être repérés par des équipes européennes », rappelle M. Feuillassier.

De retour à Bangui, le peloton retrouve les mauvaises routes et la circulation, croise des blindés de la Minusca (la mission de l’ONU) près de l’université, puis se dirige en sprintant vers le rond-point du PK0, où prend fin l’entraînement. L’équipe semble complice. Mais chacun sait que c’est seulement pour l’entraînement. Car lors de la prochaine course, fini les cadeaux. Les « Fauves » seront alors réellement lâchés.