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Ils étaient de bons lycéens, des élèves pour lesquels les épreuves du baccalauréat n’ont peut-être été qu’une formalité. Ce premier diplôme décroché, ils ont attaqué leur première année de vie étudiante la fleur au bout du stylo. Deux mois plus tard, ils déchantent quand arrivent les résultats des premiers examens. Noël à l’horizon, des centaines d’étudiants décrochent.

Certains tentent alors de sauver une année d’études grâce à une réorientation, en profitant des « rentrées décalées » de janvier ou février proposées dans nombre d’écoles privées. Ce samedi 8 décembre, 45 établissements présenteront leurs services à ces étudiants en quête d’une nouvelle voie, dans les allées du Salon de la rentrée décalée, porte de Champerret, à Paris.

Un « produit » pour les égarés du premier trimestre

« Il y a un marché », note sans ambages Corinne Rougeau-Mauger, directrice de programme à l’ISC Paris Business School. « Un vrai besoin », corrobore plus prosaïquement Nelly Rouyrès, directrice générale adjointe du groupe d’écoles Léonard-de-Vinci, à Paris - La Défense. Ecoles de commerce, d’ingénieurs et autres l’ont bien compris et se pressent pour harponner les égarés du premier trimestre en proposant des rentrées décalées en janvier ou février.

« La rentrée décalée est un produit que j’ai créé pour les trois écoles [EMLV, ESILV, IIM] du groupe Léonard-de-Vinci en 2014 », se souvient Nelly Rouyrès. Ils étaient alors 45 étudiants à rejoindre le groupe en cours d’année. Quatre ans plus tard, pour la « rentrée d’hiver » 2019, ils seront 125. Un succès équivalent, à l’Ecole supérieure des techniques aéronautiques et de construction automobile (Estaca) qui a lancé en mars 2013 « Spid’Estaca », un semestre préparatoire intensif pour intégrer la deuxième année : 70 candidatures pour un maximum de 28 places. En 2018, les étudiants étaient 200 sur les rangs.

Plus de 2 % des étudiants ont changé d’orientation au cours de l’année écoulée

Le marché a un fort potentiel de croissance. Alors que, à la rentrée 2017, 347 375 étudiants se sont inscrits en première année de licence, plus de 2 % ont changé d’orientation en cours d’année, selon le ministère de l’enseignement supérieur. La rentrée de rattrapage est aujourd’hui une session bien installée dans de nombreuses écoles. Elle va jusqu’à peser plus de 20 % de l’effectif d’une promotion comme pour le Bachelor in Business Administration de Skema Business School. Une source de revenus importante pour les établissements, les frais de scolarité coûtant de 5 590 euros par an au sein de l’Efrei, école d’ingénieurs en informatique parisienne, à 9 950 euros pour Skema.

Etudiants inconstants ou excellents ?

Faut-il en conclure que les élèves qui intègrent une école en cours d’année sont des élèves faibles ou des inconstants, incapables de suivre le cursus qu’ils ont choisi quelques mois plus tôt ? « Ces étudiants sont bons », affirme Didier Degny, directeur des études de l’Ecole supérieure d’ingénieurs en électrotechnique et électronique (ESIEE) ; et même « excellents », surenchérit Nelly Rouyrès. En ce qui concerne les candidats à l’ESIEE, il s’agit souvent d’étudiants qui ont fait le choix d’une première année commune aux études de santé (PACES) ou d’une classe préparatoire. Des habitués à la course en tête de classe au lycée, qui, lors de leur choix d’orientation « ont mis la barre trop haut en choisissant médecine », constate Fabrice Bardèche, vice-président du groupe Ionis (Epita, Epitech, ESME-Sudria, IPSA, ISG…).

« Ils ont du mal à tenir moralement dans un système basé sur la compétition entre pairs » Laurent Leboucher

Ce sont également des lycéens qui ont hésité entre une école accueillant ses élèves après le bac et une classe préparatoire, pour finalement, « sous pression parentale », opter pour la prépa, témoigne Nelly Rouyrès. « Très rapidement, ils ont du mal à tenir moralement dans un système basé sur la compétition entre pairs, ils se font mâcher par le système et doivent trouver une porte de sortie », avance Laurent Leboucher, directeur marketing de L’Efrei.

Quant aux écoles de management, elles recrutent de nombreux déçus de l’université,. « Etudiants en droit, en économie… Ils n’ont pas su gérer l’autonomie que leur laisse la faculté et les conditions d’études qui ne sont pas toujours optimums », explique Corinne Rougeau-Mauger. « Des jeunes qui ont eu d’excellents résultats scolaires dans le cadre serré du lycée mais qui se retrouvent noyés dans un amphi de 1 000 personnes. Ils se disent qu’il faut rebondir ailleurs et sans attendre », poursuit Patrice Houdayer. Enfin, le fait d’avoir entamé des études difficiles, « pris conscience de s’être trompé de voie, forge des élèves hypermotivés bien décidés à ne pas perdre de temps », observe Didier Degny.

En finir avec 60 % d’échecs à l’issue de la première année

La montée en puissance des onéreuses rentrées décalées est également un symptôme de l’échec du système d’orientation postbac. En 2017, Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, insistait, dans Le Monde, sur « l’urgence de mettre fin au taux insupportable de 60 % d’échecs à l’issue de la première année universitaire ». La loi orientation et réussite des étudiants (ORE) a été adoptée par le Parlement en février 2018. La réforme de l’enseignement supérieur a fait sa première rentrée cet automne, les « mesures pragmatiques » annoncées par la ministre pour une meilleure orientation vont-elles freiner la montée en puissance des rentrées décalées ?

Les avis sont partagés. « Dans la mesure où le nouveau système d’orientation Parcoursup a instauré une sélection, les étudiants sont forcés de se poser des questions sur leur orientation, élaborer des choix », estime Fabrice Bardèche.

Cette obligation de se projeter pourrait réduire le nombre de fausses routes et « in fine, le taux de réussite en première année va s’améliorer », pense le responsable de Ionis. A l’Efrei, Laurent Leboucher s’attend, pour sa part, à une « explosion de la demande ». Début juillet, le nombre de bacheliers en liste d’attente sur Parcoursup était de 137 135. « De nombreux étudiants ont alors fait un choix par défaut, dans la crainte de n’avoir rien », estime-t-il.

Toutefois, l’ensemble des acteurs s’accordent pour dire que la réforme des études de santé (la fin du numerus clausus et du concours en fin de première année) devrait freiner la fuite des recalés en médecine vers les écoles d’ingénieurs.