Des heurts ont éclaté à Bordeaux, en marge de la manifestation des « gilets jaunes », le 8 décembre. / Ugo Amez pour «Le Monde»

La plupart des manifestants interrogés en amont du rassemblement prévu avaient été clairs, « samedi, à Bordeaux, ce sera dur » « équipez-vous ! ». Pourtant, la manifestation de ce 8 décembre avait débuté dans le calme place de la Bourse, comme chaque semaine. Slogans et banderoles accompagnaient un cortège motivé.

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A la différence près que la plupart des « gilets jaunes » mobilisés avaient prévu le coup, équipés de masques et lunettes pour prévenir des gaz lacrymogènes, qui ont laissé de vives traces la semaine passée. « On sait que cette fois-ci, ils ne vont pas y aller de main morte ! » s’exclame Vincent, jeune « gilet jaune » engagé, équipé d’un masque de ski et d’un casque de vélo accrochés à son jean. « On a même du sérum physiologique pour nos yeux, car les lacrymos, ça brûle vraiment ».

Des groupes de bénévoles – non engagés dans la lutte des « gilets jaunes » – du secteur médical s’étaient organisés, casques et t-shirts blancs, trousse de secours sur le dos, pour venir en aide aux blessés. Tout le monde le savait, la journée risquait d’être chargée.

« En une heure, tout a basculé »

La ville était teintée de jaune, et les commerçants du centre-ville avaient fermé boutique par crainte des dégâts. Une première pour la rue Sainte-Catherine, la plus grande artère de Bordeaux et ses 1 250 mètres de magasins.

Comme la semaine dernière, le cortège a terminé sa course sur la place Pey Berlan qui abrite l’Hôtel de ville, théâtre des derniers affrontements. Quelques minutes seulement ont suffi pour que la tension monte, les CRS postés ont immédiatement voulu repousser les manifestants qui ne montraient pas de signe d’affrontements, à haute dose de grenades lacrymogènes et de flash-ball.

Pendant plus de deux heures, les manifestants se sont opposés dans un face à face interminable aux forces de l’ordre qui ont lancé en masse lacrymogènes, grenades de désencerclement et flash-ball. Les « gilets jaunes » présents revenaient à leur poste à chaque accalmie, avant de repartir en courant devant les épaisses fumées.

En fin de journée, un manifestant a été gravement blessé en ramassant une grenade de désencerclement lancée par les forces de l’ordre. Il aurait perdu une main. Acculé devant la mairie, le mouvement s’est déplacé du côté du Cours Alsace Lorraine, où des feux ont été allumés, provenant de plusieurs poubelles.

« A 18 h 30, on s’est enfermé dans la boutique avec les clients, lumière éteinte. Les affrontements ont commencé entre les CRS et les casseurs. C’était apocalyptique, on a eu peur » raconte Emilie, conseillère de vente de la Garçonnière, magasin branché du quartier. Ils n’avaient pas fermé leurs portes, n’imaginant pas que la situation dégénérerait autant : « on ne pensait pas qu’ils viendraient jusqu’ici. En une heure, tout a basculé. »

Une atmosphère moribonde

En fin de soirée, les rues de Bordeaux se sont embrasées. Dans les rangs des fauteurs de troubles, plus de « gilets jaunes » mais clairement des casseurs venus profiter de la tension. A quelques mètres de là, place du palais, les bars et restaurants d’habitude fréquentés le samedi soir se sont empressés de replier leur terrasse et de fermer. Personne ne s’attendait à un tel niveau de violences pour une ville qui a la réputation d’être calme, où les incidents sont rares.

« Je vis ici depuis 10 ans, je n’ai jamais vu un tel niveau de violence, c’est effrayant » raconte Claire, 25 ans, habitante de Saint-Michel. C’est dans ce quartier que les violences ont été à leur apogée. De violents feux ont été allumés, et de graves détériorations ont été commises : deux banques cassées, un camion incendié et des affrontements entre casseurs et forces de l’ordre ont créé une situation de chaos dans ce quartier populaire et familial de Bordeaux. « J’adore ce quartier, c’est honteux d’en arriver là », déplore Claire, effarée.

Vers 20 heures, le cours Victor Hugo a été au cœur d’affrontements, tandis que les pompiers tentaient d’éteindre les nombreux feux qui embrasaient l’avenue. Repoussés sur la place Saint-Michel, c’est finalement aux alentours de 21 heures que les forces de l’ordre sont parvenues à repousser les derniers réfractaires. Mais le centre-ville est désormais plongé dans une atmosphère moribonde sous une pluie fine, mêlée de fumée, de barrières jetées sur la route, d’éclats de verre. Les sirènes de pompier continuent de retentir et demain, Bordeaux se réveillera sous le choc de cette quatrième journée de mobilisation.

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