Arte - Dimanche 9 décembre - 23 h 55. Documentaire

Le 9 août 2014, l’ancien président américain, Barack Obama, accuse l’Etat islamique (EI) de viser la destruction systématique des yézidis. L’organisation djihadiste vient de prendre Sinjar, dans le nord-ouest de l’Irak, l’un des fiefs de ce peuple de bergers et d’agriculteurs, attaché à ses traditions et à ses croyances ancestrales, héritage de l’antique civilisation de la Mésopotamie. Des dizaines de milliers de yézidis fuient. Malgré les frappes aériennes américaines, des centaines de civils sont massacrés par les terroristes, des centaines de femmes sont enlevées, battues, violées et réduites à l’esclavage sexuel.

Parmi elles, Nadia Murad, 21 ans au moment des faits. Sous ses yeux, dix-huit membres de sa famille sont tués ou faits prisonniers. Humiliée, avilie, insultée, violée, torturée, elle passera entre les mains de treize différents « propriétaires ». Après avoir réussi à s’enfuir, elle parvient à gagner le Kurdistan irakien, puis en septembre 2015, l’Allemagne, où une organisation d’aide aux yézidis lui permet de retrouver sa sœur.

Nadia Murad jure alors de témoigner du sort des milliers de jeunes filles encore aux mains de l’EI. Elle n’aura de cesse d’alerter la communauté internationale sur les crimes de l’EI, organisation génocidaire qui a décidé d’éliminer le demi-million de yézidis présents au Moyen-Orient.

C’est cette campagne médiatique, politique et diplomatique menée pendant plusieurs mois entre Berlin, Athènes, Ottawa et New York que raconte le film d’Alexandria Bombach, sorti début 2018 – donc avant que Nadia Murad reçoive le prix Nobel de la paix cette année, partagé avec le docteur Denis Mukwege.

Sa mission, un fardeau

Ce film est une réussite parce qu’il ne fait pas raconter à Nadia Murad les horreurs qu’elle a vécues et vues. Les atrocités se disent autrement : par des larmes abondantes, mais chargées de dignité et de courage. Ce qui intéresse la réalisatrice, c’est moins le témoignage de la victime que le combat de l’activiste. Son documentaire montre bien que ce combat n’a rien de donné : avant de devenir la voix d’un peuple meurtri, Nadia Murad était une simple villageoise dont le rêve était d’ouvrir un salon de coiffure.

Ce qui intéresse la réalisatrice Alexandria Bombach, c’est moins le témoignage de la victime que le combat de l’activiste.

Pour se faire entendre, elle a dû répondre aux questions déplacées des journalistes occidentaux qui voulaient savoir comment et combien d’hommes l’avaient violée ; prononcer des discours devant des officiels occidentaux pleins de bons sentiments mais paralysés ; panser inlassablement les plaies des siens. En témoigne cette séquence bouleversante où, lors d’une commémoration yézidie à Berlin, elle a surmonté son émotion pour apaiser une femme en proie au désespoir.

Avec pudeur, Alexandria Bombach montre ainsi le fardeau de la mission de Nadia Murad. Trois personnes vont l’aider : l’activiste yézidi Ismael Murad ; le juriste argentin Luis Moreno Ocampo et l’avocate libano-britannique Amal Clooney. A leurs côtés, Nadia Murad découvre les arcanes onusiens en même temps que la société occidentale. Pendant ces moments où elle arrête sa course pour assister à un improbable son et lumière sur l’histoire du Canada, elle apparaît quelque peu perdue, comme si un tel spectacle la renvoyait à son Sinjar natal. Comme si elle prenait conscience que son pays ne serait plus jamais le même.

Le combat de Nadia Murad, d’Alexandria Bombach (EU, 2018, 95 min). www.arte.tv