Mouminy, à Conakry, le 19 novembre 2018. / Raphaël Krafft

Du paysage qui défile à travers les hublots, Mouminy ne voit rien. C’est pourtant Kissosso, son ancien quartier, que survole l’Airbus A330 d’Air France, en approche vers l’aéroport international Gbessia de Conakry, en Guinée, ce vendredi 19 octobre. Le garçon devine l’assemblage anarchique de bâtiments défraîchis et d’habitats aux toits de tôle reliés par des ruelles de terre et traversés par des routes défoncées. C’est là qu’il a grandi. C’est de là qu’il a décidé de fuir pour la France un jour de février 2013. Et c’est là que Paris le renvoie cinq ans après, assis dans la rangée centrale de l’avion, flanqué de deux policiers.

Deux autres policiers sont aussi présents ; renfort justifié par les 4,3 grammes de cannabis qu’il portait sur lui lors d’un contrôle de routine, le 19 septembre, dans les rues de Reims. Déjà sous le coup d’une obligation de quitter le territoire français, Mouminy est alors placé en garde à vue, puis en centre de rétention. A Metz d’abord, puis au Mesnil-Amelot (Seine-et-Marne) ; cette immense prison pour étrangers d’où l’on entend décoller les avions de l’aéroport de Paris-Charles-de-Gaulle.

Le sien est parti deux jours après son 22e anniversaire. Après un premier refus d’embarquer, cinq jours plus tôt, ce sont pas moins de dix fonctionnaires qui le menottent ce matin-là et le contraignent à quitter la France. Un mois plus tard, son corps porte encore les traces de la violence de son expulsion.

Une pétition recueille plus de 60 000 signatures

Bien que non contraignant pour les Etats, le pacte de Marrakech sur les migrations, adopté lundi 10 décembre par 164 pays, propose dans son article 21 de « coopérer en vue de faciliter le retour et la réadmission des migrants en toute sécurité et dignité ainsi que leur réintégration durable ».

Pas tout à fait le sort réservé à Mouminy. A Conakry, lorsqu’il débarque de l’avion, le garçon ne connaît personne. Son oncle lui inspire toujours de la crainte et sa seule parente, une tante maternelle, vit en Sierra Leone. C’est Vanina Eckert, une Suissesse expatriée en Guinée, qui l’accueille à l’aéroport. Elle a été prévenue le jour même par sa mère, Françoise Guglielmi-Eckert, professeure d’anglais au lycée Frédéric-Ozanam de Châlons-en-Champagne, qui a eu Mouminy pour élève.

« Nous avons été pris de court, confesse au téléphone Marie-Pierre Barrière, référente chalonnaise du Réseau éducation sans frontières. Jamais nous ne pensions qu’avec son profil et la formidable mobilisation qui l’a entouré, il serait renvoyé en Guinée. » La pétition pour empêcher son expulsion avait recueilli près de 60 000 signatures. Du jamais-vu.

Le lendemain de son arrivée, Vanina emmène Mouminy à l’anniversaire d’un membre de la communauté française de Conakry. Là, il rencontre Vincent, volontaire international dans le secteur bancaire en Guinée, sensibilisé à la question migratoire lors de ses études en sciences politiques, qui, euphorie de la fête aidant, accepte de l’accueillir.

« C’est la France qui m’expulse et ce sont ses citoyens qui m’accueillent dans mon propre pays, ironise Mouminy dans le salon de son hôte. J’ai vécu six ans en France à un âge où, d’adolescent, je suis devenu jeune homme. J’ai acquis ses codes. Je suis devenu son enfant adoptif tandis qu’ici en Guinée, je me sens comme un étranger. » Fataliste, il dit pourtant respecter cette décision de la justice française et ne s’en prend qu’à lui-même d’avoir eu une barrette de cannabis dans sa poche au moment de ce contrôle de routine.

Un nouveau départ pour poursuivre ses études

Dans la Marne comme à Conakry, on se démène pour trouver des solutions. Caroline Matuszewski, la directrice de l’hôtel Ibis de Châlons-en-Champagne, ancienne maître de stage de Mouminy, a contacté les directeurs de cinq ou six grands hôtels de Conakry pour qu’ils le reçoivent en entretien d’embauche. Un autre expatrié français, employé chez Guinée Games, une société de paris sportifs en ligne détenue par le magnat guinéen Mamadou Antonio Souaré, l’a également reçu, sensible à sa connaissance encyclopédique du football européen.

Mouminy veut travailler pour ne plus tourner en rond et, surtout, financer un nouveau départ afin de poursuivre ses études : « J’avais prévu de rentrer en Guinée une fois formé, pour me rendre utile à mon pays. Il me manque deux ans à faire pour obtenir un master en ressources humaines. » Par respect pour sa petite amie française et toutes les personnes qui l’ont soutenu, il écarte la perspective d’un nouveau voyage clandestin. Outre sa situation judiciaire vis-à-vis de la France, il sait que les conditions d’obtention d’un visa Schengen se sont durcies depuis quelques mois. Et la récente annonce par le gouvernement français d’augmenter les tarifs d’inscription à l’université pour les étudiants étrangers, qui a pour conséquence de défavoriser les Africains moins argentés, hypothèque un peu plus l’avenir de Mouminy. Pourtant, il rêve d’un avenir plus rose que son passé.

Mouminy est orphelin. Il avait 3 ans à la mort de son père. Comme le veut la tradition, il a été placé sous la tutelle de son oncle paternel et séparé de sa mère, qui déménage alors dans l’intérieur du pays. Il ne la verra pour ainsi dire jamais avant qu’elle ne meure elle aussi, sept ans plus tard, préférant renoncer à une opération coûteuse pour laisser un petit pécule à son fils.

Mouminy porte un prénom de mauvais augure, hérité du meilleur ami de son père, qui est aussi celui que l’on donne à un enfant né après la mort de son géniteur. Un argument de plus pour les marabouts et féticheurs qui entourent l’oncle et lui conseillent de se méfier de cet enfant qui serait la source de tous ses problèmes, financiers notamment. Il commence par le retirer de l’école privée, puis le force aux travaux ménagers aux côtés des domestiques, le bat, le torture même, avec le concours d’amis militaires. Par désespoir et pour trouver un environnement protecteur, Mouminy choisit la rue, ses bandes, ses larcins qui lui permettent de se payer l’école publique, à laquelle il ne renoncerait pour rien au monde. Des journées de dix-huit heures pendant lesquelles il ne néglige jamais le football, sa passion.

Environnement familial défaillant voire violent

En prenant seul la décision de partir et sans prévenir ses proches, Mouminy n’est pas un cas isolé, si l’on en croit les rares études réalisées sur les mineurs non accompagnés originaires d’Afrique de l’Ouest. Pour beaucoup d’entre eux, en Guinée, en Gambie, en Côte d’Ivoire ou au Nigeria, c’est un environnement familial défaillant voire violent qui motive leur fuite. Ces enfants ont pour principal objectif de poursuivre ou commencer des études dans un pays voisin, au Maghreb ou en Europe.

Mouminy a 16 ans à son arrivée à Châlons-en-Champagne. Il y décroche son bac et un BTS assistant de manager avec mentions, alors même qu’il ne bénéficie pas du contrat jeune majeur pour subvenir au minimum de ses besoins. Tant pis, il saute la cantine à midi, travaille au noir après l’école ou la manque pour faire les vendanges. Des sacrifices qui ne l’ont pas conduit au diplôme universitaire qu’il convoitait. A Conakry, il va lui falloir trouver un plan B, écrire une page de sa vie qu’il n’avait pas anticipée.