Isabelle Kocher, directrice générale du groupe Engie (ex-GDF Suez), à Paris, le 1er octobre. / ERIC PIERMONT / AFP

Le conseil d’administration d’Engie, réuni mardi 11 décembre, devait décider d’un statu quo sur sa participation de 32 % dans le groupe d’environnement Suez. Pressé par le gouvernement et l’Agence des participations de l’Etat (APE), le groupe d’énergie a indiqué que, pour l’heure, il ne vendrait pas cette part du capital et qu’il ne lancerait pas non plus d’offre publique d’achat (OPA) sur Suez.

Ce statu quo mettra en sourdine les rumeurs qui circulent depuis plusieurs mois sur une absorption de Suez par Engie, qui pèse quatre fois plus lourd en Bourse (29,7 milliards d’euros). Une opération improbable qui donnerait naissance à un géant mondial de l’énergie et des services à l’environnement.

En 2008, à l’occasion de l’éclatement des activités de Suez entre GDF Suez devenu Engie (production d’électricité, fourniture de gaz, vente de solutions d’économies d’énergie) et Suez Environnement (adduction-traitement de l’eau et collecte-valorisation des déchets ménagers et industriels), Engie devient l’actionnaire de référence de Suez. Il a souscrit pour un tiers à l’augmentation de capital de l’entreprise, au printemps 2017, dans le cadre du rachat de GE Water. Pas plus.

Absence de synergies fortes

Engie et Suez travaillent ponctuellement ensemble, comme au Moyen-Orient, mais ces coopérations restent marginales

Depuis 2013, on évoque davantage un départ d’Engie que son OPA sur Suez. En dix ans de cohabitation, les deux groupes n’ont pas créé de synergies fortes, malgré la présence tutélaire de Gérard Mestrallet, PDG d’Engie jusqu’en 2016 et président de Suez jusqu’en mai 2019. C’est peu dire que le courant passe mal entre la directrice générale d’Engie, Isabelle Kocher, et le patron de Suez, Jean-Louis Chaussade. Surtout, de nombreux analystes ne voient guère de sens industriel dans une telle fusion.

Engie et Suez coopèrent néanmoins ponctuellement : au Moyen-Orient, dans les complexes de dessalement d’eau de mer, très gourmands en énergie ; dans la production de biogaz à base de déchets (agricoles, ménagers, boues d’épuration...). En mars, ils ont annoncé un partenariat pour développer des parcs photovoltaïques sur une centaine de sites de stockage de déchets de Suez en France, pour un potentiel de 1 000 mégawatts.

Ces initiatives, cependant, restent marginales. Le meilleur exemple de ce manque d’enthousiasme des deux groupes à coopérer sur des projets d’avenir est celui de Dijon (Côte-d’Or). En 2017, Suez s’est associé à EDF, et non à Engie, pour décrocher le contrat de pilotage des équipements urbains de la métropole bourguignonne (avec Bouygues et Capgemini).

La situation capitalistique de Suez devrait toutefois évoluer en 2019. Après avoir mené à bien un plan stratégique 2016-2018, qui s’est notamment traduit par la vente de 15 milliards d’actifs (centrales au charbon, usines de gaz naturel liquéfié, exploration-production d’hydrocarbures...), le président d’Engie, Jean-Pierre Clamadieu, et Isabelle Kocher doivent présenter une nouvelle feuille de route en février, lors de la publication des résultats 2018.

Mme Kocher a toujours dit qu’une participation de 32 % dans Suez (valorisée 2,4 milliards d’euros au cours actuel), « [c’était] trop ou pas assez ». Ces capitaux immobilisés pourraient sans doute être mieux utilisés ailleurs. Suez est un actif qui peut attirer les fonds d’investissement. Ou de nouveau son grand rival Veolia, avec lequel il avait négocié un mariage en 2012. L’Etat surveillera de près l’évolution du capital d’une société qui entretient des liens historiques avec de nombreuses collectivités locales.

Compétence et continuité

Enfin, un problème d’hommes (et de femmes) bloque toute évolution capitalistique. En mai, M. Mestrallet avait fait savoir que le conseil d’administration de Suez prendrait des décisions sur le plan de succession avant fin 2018. Il quittera sa présidence en mai, alors que M. Chaussade est, lui aussi, atteint par la limite d’âge statutaire pour la direction générale.

Suez a confié le plan de succession à son comité des nominations, présidé par Anne Lauvergeon, l’ancienne patronne d’Areva. Le choix de leurs successeurs fait déjà l’objet de divergences : le nom de Marie-Ange Debon revient avec insistance pour succéder à M. Chaussade, mais aussi celui de plusieurs de ses adjoints. Le groupe a également mandaté des cabinets pour évaluer des candidats externes.

De son côté, Pierre Mongin, secrétaire général d’Engie et administrateur de Suez, fait campagne pour remplacer M. Mestrallet... qui lui préfère visiblement M. Chaussade. Au nom de la compétence et de la continuité.