Le directeur général de l’Etoile rouge de Belgrade, Zvezdan Terzic, dans les gradins du stade "Rajko Mitic" (anciennement Marakana), à Belgrade, le 9 décembre. / Vladimir Zivojinovic pour " Le Monde"

Zvezdan Terzic a le bureau d’un chef d’Etat. Le drapeau de la Serbie est posé dans le coin droit, celui de l’Etoile rouge de Belgrade de l’autre côté. Il dirige le plus grand club serbe au nez de Vladimir Poutine – une biographie exposée sur sa bibliothèque – et à la barbe du défunt patriarche Pavle, ancien primat de l’Eglise orthodoxe serbe. Dans cette pièce aux fauteuils rouges, les dirigeants passent et les icônes religieuses et sportives s’accumulent. M. Terzic réajuste sa cravate et explique : « L’Etoile rouge de Belgrade n’est pas qu’une équipe de football, c’est une idéologie, une philosophie et un symbole national. L’Etoile rouge est le gardien de l’identité serbe et de la religion orthodoxe. » L’entrée principale du stade, avec ses armoiries serbes et ses slogans hostiles au Kosovo tagués par les supporteurs, condense les attributs du nationalisme local.

Dès lors, la classe politique a bien du mal à se tenir à l’écart de cet élément du patrimoine : si M. Terzic a atterri dans ce bureau en 2014, il le doit à Aleksandar Vucic, désormais président de la République serbe et ultra de l’Etoile rouge dans sa jeunesse.

En Serbie, on s’amuse de ce que l’Etoile rouge règne désormais sur le football local quand, sous le président Boris Tadic, c’est son club favori, le Partizan Belgrade, qui était invincible. A vrai dire, personne ne sait totalement qui dirige les deux grands clubs du pays, ni sous quel statut ils opèrent. Une seule chose est sûre : il n’est pas de gouvernement qui s’en désintéresse.

« Ça se transforme en quelque chose de sale »

Lorsque, le 12 octobre, L’Equipe a révélé les soupçons de l’UEFA et de la justice française sur le déroulement du match aller entre le Paris-Saint-Germain et l’Etoile rouge de Belgrade (6-1), le club s’est contenté de deux communiqués. Zvezdan Terzic s’est effacé derrière Aleksandar Vucic en personne, le chef de l’Etat volant au secours de l’Etoile rouge : « Je pense que tout est faux. Mais nous examinerons toutes les possibilités pour savoir si quelqu’un a sali le nom du club et de notre pays. » Depuis, une plainte contre X pour dénonciation calomnieuse a été déposée en France. Et L’Equipe a rejoint le Kosovo en haut de la liste des obsessions de Zvezdan Terzic.

Il faut dire que l’affaire a considérablement gâché l’opération rédemption des Rouge et blanc, qui retrouvaient la Ligue des champions pour la première fois depuis 1992, et quatre ans après leur exclusion des compétitions européennes pour infraction au fair-play financier. Mardi 11 décembre, l’Etoile rouge doit recevoir le Paris-Saint-Germain pour la dernière levée d’une campagne sportivement réussie – victoire contre Liverpool et match nul contre Naples – mais mitigée quant à sa perception en Europe.

M. Terzic, navré : « Ce retour, c’était l’occasion de faire la promotion du club mais aussi du pays, de changer son image. Et ça se transforme en quelque chose de sale. » Pour l’opinion publique serbe, cette enquête est une preuve supplémentaire du délit de sale gueule dont serait victime son football.

Ce sentiment remonte au début de la guerre de Yougoslavie, lorsque l’Etoile rouge était forcé de disputer ses rencontres de Coupe d’Europe à l’étranger alors que le conflit ne touchait pas Belgrade ; et qui perdure aujourd’hui avec les sanctions de l’UEFA, plus prompte, estime-t-on, à frapper l’Etoile rouge et ses supporteurs que les clubs d’Europe occidentale.

En l’espèce, le club se considère comme la victime collatérale d’un complot visant à nuire au Paris-Saint-Germain, et particulièrement à son président, Nasser Al-Khelaïfi. « L’UEFA devra bien, à un moment, donner le nom du fou qui a monté cette histoire et allumé un incendie, qui salit les deux clubs et la Ligue des champions, s’agace Zvezdan Terzic. Comment L’Equipe a-t-il a pu faire six pages sur quelque chose qui ne tenait pas la route ? Un enfant de 6 ans n’y croirait pas ! »

« Nous connaissons bien les trucages de match et cette affaire ne semblait pas logique, donc personne n’y a vraiment cru, relève Vladimir Novakovic, journaliste pour la chaîne spécialisée SportKlub et l’un des rares à oser critiquer les deux clubs belgradois. Mais d’un autre côté, ici, toutes les compétitions sont truquées, depuis la quatrième division jusqu’au sommet, y compris des matchs de Coupe d’Europe. On a vu tellement de choses… »

« Si besoin, les petits clubs savent rendre service aux gros »

« Objectivement, il y a beaucoup de penaltys en faveur de l’Etoile rouge et du Partizan. Disons que si besoin, les petits clubs savent rendre service aux gros », observe Dusan Ozegovic, avocat de 33 ans et fan des Rouge et blanc. En championnat, les affluences sont ridicules, notamment pour cette raison. « Une saison sur deux, on sait qu’il est truqué », estime Vladimir Novakovic.

« Le football serbe n’est ni pire ni meilleur que le football français, assure Zvezdan Terzic. Il n’y a pas du tout de corruption. C’est une question de perception. On amplifie beaucoup tout ce qui se passe en Serbie. Notre mauvaise image vient de ce que beaucoup de personnes sont traînées dans la boue sans raison, car de hauts responsables utilisent leur position pour en salir d’autres, par intérêt personnel. Mais en Serbie, quand quelqu’un est en prison, on ne le regarde pas du tout comme on regarderait un prisonnier en France. » Et Zvezdan Terzic sait de quoi il parle.

Auprès des suiveurs du football serbe, l’évocation du patron au costume rayé suscite un sourire amusé : tous les clubs n’ont pas la chance d’être dirigés par un homme qui a été sous mandat d’arrêt international, en fuite deux ans au Monténégro voisin et incarcéré sept mois (2010-2011) pour détournement de fonds et manipulation de matchs.

Une cabale politique, plaide l’intéressé, qui souligne qu’il n’a jamais été condamné. Et pour cause : le procès n’a jamais eu lieu. « Tu vas voir Zvezdan Terzic ? Waouh ! Ne crois pas un mot de ce qu’il te dira », rit Relja Pekic, fan du Partizan et anthropologue spécialiste des supporteurs de football. « Quand il a été nommé, tout le monde s’est dit : comment peut-il se retrouver là ? Tout le monde sait qui il est, tout le monde sait ce qu’il a fait. »

« C’est un beau parleur, il présente bien et c’est un manageur brillant, mais c’est un peu écœurant de le voir à la tête du club, reprend Dusan Ozegovic. Je ne pense pas que quiconque soit vraiment fier du football serbe, et cela, depuis des décennies. C’est globalement une longue succession d’échecs. Et cette histoire de match truqué, même si elle ne tient pas debout, c’est juste un épisode de plus dans l’histoire hors du commun de l’Etoile rouge. »

Comme si, derrière le sentiment d’humiliation, se cachait un fond de fierté : celle d’être le vilain petit canard du football européen.

« L’Etoile rouge de Belgrade est le gardien de la Serbie »