Theresa May, à Maidenhead, le 9 décembre 2018. / DANIEL LEAL-OLIVAS / AFP

Effrayée, désespérée, lâche… De gauche à droite, du camp du Brexit aux partisans d’une Grande-Bretagne européenne, des tabloïds aux titres les plus criards jusqu’aux quotidiens de référence les plus respectés, la première ministre conservatrice, Theresa May, était la cible mardi 11 décembre d’une volée de critiques venues de la presse nationale après sa décision de reporter le vote du Parlement sur le Brexit.

Pour éviter un rejet humiliant de l’accord qu’elle a négocié avec Bruxelles sur le retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne, la cheffe du gouvernement britannique a repoussé l’échéance, à la dernière minute, afin d’obtenir de l’Union européenne les concessions qui lui permettront de faire voter un texte par une majorité rebelle et, ainsi, de se maintenir au pouvoir. Pour cela, elle a fait l’unanimité contre elle.

« Lâche et vain »

Dans son éditorial, le tabloïd de gauche The Daily Mirror critique une décision de report « lâche et vaine » qui placerait l’intérêt général de la nation britannique derrière la volonté de Mme May de « sauver sa peau ». The Guardian, quotidien de référence classé à gauche, qualifie la première ministre britannique de « désespérée ». Dans son éditorial, le quotidien dénonce le manque de respect de la première ministre pour le Parlement et estime qu’elle « dévalue son autorité jusqu’au point de la nullité ».

Sa chroniqueuse Polly Toynbee insiste à son tour sur la « lâcheté » de la première ministre : le report du vote est qualifié de « nouvelle erreur désastreuse » marquant une direction politique « pitoyable et maladroite ».

Quant au tabloïd conservateur The Sun, il accuse la cheffe du gouvernement britannique davoir condamné le pays à « un chaos et à une crise continue jusqu’à Noël et au Nouvel An ».

La première à reporter un vote sur un traité international depuis 1945

De son côté, le journal de centre droit The Times rappelle, dans une tribune du chercheur en sciences politiques de l’université de Nottingham Mark Stuart, le côté historique de la décision de Theresa May : elle est le premier chef du gouvernement britannique à reporter un vote sur un traité international depuis 1945.

Pour le Daily Mail, tabloïd conservateur, dont les positions sont considérées comme plutôt favorables à la première ministre, la perspective d’une « défaite humiliante » au Parlement a contraint Theresa May a « à une reculade spectaculaire » et à une « tournée européenne de la dernière chance ».

Tournée qui ressemble davantage à une « mission impossible à remplir », selon le quotidien populaire de gauche The Independent, qui rappelle que les Vingt-Sept ont exclu de renégocier l’accord sur le Brexit une nouvelle fois.

L’Europe comme le Royaume-Uni ont en effet indiqué que le « filet de sécurité » sur la frontière irlandaise ne pourrait être reformulé pour répondre à leurs revendications. Cet aspect de l’accord est au centre du débat : pour éviter le retour d’une frontière physique entre la République d’Irlande et l’Irlande du Nord britannique, Theresa May a accepté que l’ensemble du Royaume-Uni demeure dans l’union douanière européenne et que l’Irlande du Nord reste dans le marché unique européen. Cette disposition, censée être temporaire, est considérée comme inacceptable pour les brexiters les plus durs, puisqu’elle ferait du Royaume-Uni un « Etat vassal » de l’Union.

« Sauver le parti »

Satisfaire ces députés conservateurs est impossible, puisque aucun recul de l’Union n’est envisageable sur cette garantie irlandaise. Alors pourquoi Mme May s’entête-t-elle ? Elle pourrait, selon The Daily Telegraph, le grand quotidien conservateur, être mue par une volonté de « s’accrocher au pouvoir du bout de ses doigts après que ses propres parlementaires ont affirmé qu’ils ne pouvaient lui accorder leur confiance et qu’elle les menait au massacre ». Dans sa chronique du Telegraph, la journaliste Allison Pearson a comparé la première ministre britannique à une « mule fouettant un cheval mort » et va jusqu’à clamer sa « honte d’être conservatrice » face à un tel spectacle, celui d’une responsable politique qui refuse de céder sa place alors même qu’aucun espoir n’est permis.

« La dame fait demi-tour »

L’attitude de la première ministre est dénoncée à la « une » du quotidien, qui détourne une célèbre citation de Margaret Thatcher, figure tutélaire des conservateurs britanniques : « La dame fait demi-tour », titre le quotidien, faisant allusion à un discours de 1980 de la Dame de fer resté fameux, durant lequel elle avait assuré qu’elle « ne ferait pas demi-tour » sur la libéralisation de l’économie britannique. En reportant le vote au Parlement, Mme May a, elle, fait demi-tour.

Dans les colonnes du Telegraph, Mme Pearson invite d’ailleurs les parlementaires conservateurs à obtenir un vote de défiance pour « sauver leur parti », ajoutant que Mme May doit « partir avant qu’il ne soit trop tard ».

La possibilité que Theresa May perde son poste de première ministre est également évoquée par le Financial Times, qui estime que le mandat de Mme May « ne tient plus qu’à un fil », un constat partagé plus à gauche de l’échiquier politique par l’éditorialiste du Guardian, qui résume son analyse de la situation politique de la première ministre en une conclusion lapidaire :

« Mme May peut prétendre qu’elle ne vit que pour continuer le combat. Mais étant donné que sa légitimité est en fuite du fait des brexiters les plus radicaux, elle ne survit qu’à la manière d’un zombie politique. Prise au piège de ses propres convictions, elle a eu recours à des tactiques dilatoires car elle a pris conscience tardivement du poids réel du fardeau qu’elle porte. »

Pour la presse britannique, l’heure n’est plus aux considérations sur l’abnégation ou la résilience de Mme May. Elle est à l’exaspération devant un acharnement qui ne semble plus d’aucune utilité.

Brexit : pourquoi l’accord est encore loin d’être appliqué
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