L’écovillage des Noés, dans la commune de Val de Reuil, en Normandie, a été réalisé par l’architecte Philippe Madec avec le bureau d’étude Tribu d’Alain Bornarel. Bâtiments passifs, pas de climatisation, ventilation naturelle, agriculture bio et jardins partagés... Le quartier vient de recevoir un prix de l’Equerre d’argent par « Le Moniteur ». / PIERRE-YVES BRUNAUD

Ingénieur centralien et fondateur du bureau d’études Tribu, Alain Bornarel est le cofondateur de l’Institut pour la conception écoresponsable du bâti et l’un des animateurs du « Manifeste pour une frugalité heureuse », qui rencontre depuis le mois de janvier un fort écho dans les milieux de l’architecture et de l’urbanisme. Ce manifeste appelle les acteurs de la construction à sortir « des visions technicistes et productivistes, gaspilleuses en énergie et en ressources de toutes sortes ». Explications.

Vous défendez l’idée d’une architecture frugale ; en quoi cela consiste ?

C’est la recherche d’une économie de ressources et d’une maîtrise des émissions polluantes, des gaz à effet de serre. Cela induit un certain choix de matériaux et d’architectures. Il faut être frugal en énergie, en matériaux, en technique…

Par ailleurs, la frugalité est aussi dans le rapport au territoire dans lequel le bâtiment est inséré. Il ne faut pas construire hors-sol. On va aller piocher dans le territoire des ressources liées au climat, aux matériaux, au savoir-faire. On va aussi lui apporter quelque chose : revivifier une filière économique en désuétude par le choix d’un matériau, recréer du lien social par de l’habitat participatif.

Quels types de matériaux préconisez-vous ?

On va se tourner vers des matériaux biosourcés – le bois, la paille, le chanvre, etc. –, dont la ressource se reproduit à l’échelle, au pire, d’une génération. Voire une ressource quasiment inépuisable et qui, à la fin de vie du bâtiment, retourne dans le sol, comme la terre crue. L’approche économique et sociale, qui repose sur la notion de circuit court, va nous faire privilégier les ressources locales, ce qui pousse sur place.

Aujourd’hui, la construction utilise une multitude de matériaux dérivés du pétrole et des agrégats, qu’on va chercher de plus en plus loin. Il faut trouver des alternatives, comme des plastiques réalisés à partir de déchets agricoles, et sortir du tout béton. Construire en terre, avec une matière issue des chantiers du métro par exemple, c’est mettre en œuvre un principe d’économie circulaire.

En matière d’énergie, quel est le problème ?

Depuis 2000, les réglementations techniques reposent sur la notion de bâtiment basse consommation. En théorie, on laisse les concepteurs libres de choisir comment parvenir à réduire la consommation d’énergie. Mais c’est faux : en réalité, il n’y a aucune liberté. Le calcul réglementaire induit des solutions qui reposent sur des systèmes techniques et pas sur des méthodes passives : tous les bureaux d’études savent qu’il suffit de mettre dix centimètres d’isolant intérieur, une chaudière à condensation et une ventilation hygroréglable pour satisfaire la réglementation.

Le défaut de ces dispositifs techniques, c’est qu’ils consomment eux-mêmes de l’énergie, même s’ils ont un bon rendement. Ils demandent un entretien qui bien souvent n’est pas fait, en raison de quoi ils n’atteignent jamais les performances promises. Et ils ont une durée de vie limitée : il faut changer une ventilation mécanique tous les dix ans et une chaudière, au bout de sept ou huit ans.

Quelle est l’alternative ?

Le Grenelle de l’environnement a débouché sur deux normes : bâtiment à énergie passive (Bépas) et bâtiment à énergie positive (Bépos). La première est tombée dans les oubliettes alors que la deuxième se développe, pour des raisons essentiellement industrielles : elle incite à poser des panneaux photovoltaïques sur les bâtiments pour compenser des performances thermiques par ailleurs moyennes. On est toujours sur des solutions reposant sur des systèmes techniques.

Nous préconisons des solutions passives, un travail sur l’enveloppe et la forme du bâtiment, dont les performances vont durer cinquante ans. Par une conception bioclimatique, on peut réduire les besoins en énergie ; il faut travailler sur l’orientation, l’isolation, les surfaces vitrées qui permettent de maximiser l’éclairage naturel et les apports solaires, la ventilation naturelle sans moteur, etc.

L’écoquartier des Noés à Val de Reuil, dans l’Eure (Normandie). / PIERRE-YVES BRUNAUD

On pourrait donc se passer de chauffage et de climatisation ?

Il y a une pression des lobbys de la climatisation pour en mettre partout, même dans les logements. Or c’est parfaitement inutile. Sauf rares exceptions, on peut atteindre le confort d’été dans le résidentiel par des solutions passives. Même dans les immeubles de bureaux, avec une bonne conception, on peut réussir à se passer de climatisation : aucune école n’est climatisée.

Pour le chauffage, c’est plus délicat, même s’il y a quelques expériences d’immeubles de logements non chauffés. La maison passive, de son côté, reste largement soumise à des dispositifs techniques, comme la ventilation double flux. C’est plus facile de s’en passer dans le tertiaire, grâce aux apports de chaleur des ordinateurs, de l’éclairage, etc. En tout cas c’est un modèle à atteindre.

Est-ce que ça implique de renoncer à un peu de confort ?

On ne peut pas décréter que les gens vont avoir un comportement économe. Certains sont frileux, d’autres moins. Le concepteur d’un bâtiment n’a pas prise là-dessus, donc notre travail c’est de mettre à disposition des habitants un bâtiment possible à utiliser de manière économe. Les comportements évolueront au fil des prises de conscience et sous la pression économique. Mais des logements ventilés naturellement, ça ne demande aucune précaution d’usage. La seule différence, c’est que vous n’avez pas le bruit du moteur.

Côté immeubles anciens, est-ce que le plan de rénovation thermique des bâtiments va dans la bonne direction ?

Non, pas du tout. Il faudrait réussir la rénovation efficace de 750 000 logements par an pour tenir les objectifs, or on a une ambition de 500 000 et un budget pour 250 000. Une rénovation efficace, cela veut dire, entre autres, isoler les façades, changer les fenêtres. Je ne comprends pas que le gouvernement supprime l’aide au remplacement des fenêtres, qui est souvent le principal moyen de faire baisser les consommations d’énergie. Mais encore une fois, on préfère financer des dispositifs techniques – pompes à chaleur, chaudières – plutôt que des travaux sur l’enveloppe du bâtiment, pour le rendre plus passif.

Comment expliquer la prédominance des solutions technologiques ?

Tous les lobbys industriels interviennent dans l’élaboration des normes et des règles. Mais il y a une explication plus fondamentale : c’est la culture d’origine des décideurs. La plupart des ingénieurs, dans les bureaux d’études comme au Centre scientifique et technique du bâtiment, ont une culture qui les porte à juxtaposer des systèmes techniques plus qu’à s’intéresser à la morphologie du bâtiment, à sa relation avec son environnement. La frugalité ne signifie pas zéro technique, mais incite au « low-tech », quand notre culture d’ingénierie est tournée vers le « high-tech ».

Comment la clim a changé la face du monde
Durée : 07:10

Comment agir pour le climat ? « Le Monde » se mobilise pendant une semaine

Que faire face au défi du changement climatique ? Comment agir, concrètement, à l’échelle individuelle ou collective ? Les initiatives citoyennes ont-elles un sens alors que c’est tout le système qu’il faudrait faire évoluer pour espérer limiter les effets du dérèglement ? Alors que la COP24 sur le climat s’est ouverte, dimanche 2 décembre, en Pologne, la rédaction du Monde se mobilise autour de ces questions. Au-delà du constat de l’urgence, nous avons voulu nous interroger sur les solutions existantes ou à explorer.

Chaque jour, pendant une semaine, des personnalités, expertes de leur domaine et engagées au quotidien, répondront en direct aux questions des internautes :