A l’occasion de la COP24 qui se tient en Pologne, Le Monde s’interroge toute la semaine sur les manières de lutter contre le dérèglement climatique. Ce mercredi : peut-on se chauffer autrement ? Jean-Baptiste Lebrun, directeur du CLER réseau pour la transition énergétique

Marc : Où en est la France avec les énergies renouvelables ?

Jean-Baptiste Lebrun : Commençons par un état des lieux, globalement la France est en retard sur le développement des énergies renouvelables. En retard par rapport à ses objectifs, par rapport à ses voisins (Allemagne, Espagne, Suisse…), et surtout par rapport à son potentiel.

Il faut distinguer les différents types d’énergies renouvelables en fonction de leurs usages possibles. Les filières électriques (éolien, solaire, photovoltaïque, etc.) connaissent depuis quelques années un essor important même s’il est freiné par un système énergétique encore trop centralisé. On peut aussi verdir le gaz, comme l’ont montré de récentes études par l’Ademe et GRDF (méthanisation et demain « Power to gas »).

En revanche, ce qu’il faut vraiment accélérer c’est la production de chaleurs renouvelables à partir de ressources locales : bois, géothermie, solaire thermique, récupération de chaleur fatale…

Arthur : Existe-t-il une étude sur la « meilleure » façon de se chauffer ? (pompe à chaleur, cheminée traditionnelle ou aux copeaux de bois, chauffage au sol, etc.)

La meilleure solution de chauffage, c’est d’abord de réduire ses consommations. Aujourd’hui, on sait techniquement isoler, optimiser les ventilations pour diviser la consommation et la facture. Ensuite, on peut, bien sûr, recourir aux énergies renouvelables. Ça dépend de chaque situation, c’est à traiter au cas par cas, en fonction du lieu à chauffer, des ressources disponibles localement.

Un enjeu essentiel est de pouvoir fournir un conseil et un accompagnement à chaque citoyen curieux ou engagé dans un projet pour son habitation. C’est le rôle aujourd’hui notamment des espaces info-énergies (environ 450 conseillers en France) et du réseau FAIRE. Des spécialistes indépendants peuvent répondre à vos questions particulières.

Il faut, désormais, renforcer ce service. Depuis 2015, la loi prévoit la mise en place d’un service public de la performance énergétique pour l’habitat. Faute de financement, il n’est toujours pas mis en œuvre et, malheureusement, les annonces récentes du gouvernement restent très insuffisantes sur ce point.

Pascal : Pouvez-vous définir clairement ce que l’on appelle aujourd’hui une énergie dite « renouvelable » ?

On peut définir simplement ce qu’est une énergie renouvelable. C’est une manière de répondre à nos besoins énergétiques qui ne consomme pas de ressources finies ou épuisables comme le pétrole ou l’uranium par exemple.

Elles ont généralement l’avantage de ne pas polluer, ni de produire d’émissions de gaz à effet de serre. Et elles sont souvent disponibles localement, ce qui permet de développer les filières et les territoires.

Fouilla : Si l’urgence absolue est bien le changement climatique, pourquoi le chauffage électrique, pauvre en carbone chez nous, est-il diabolisé ?

Le chauffage électrique pose plusieurs problèmes. Son rendement global est très médiocre surtout quand il est produit à partir d’une source de chaleur comme les centrales thermiques ou nucléaires aujourd’hui (environ 30 % seulement), c’est-à-dire qu’il est à peu près trois fois plus efficace d’utiliser directement la chaleur disponible pour se chauffer plutôt que de la transformer en électricité et d’utiliser un chauffage électrique.

Deuxièmement, le chauffage électrique est la principale cause du problème de la pointe hivernale. Les jours de grand froid, le système électrique français peut être sollicité trois fois plus qu’en temps normal. Outre les risques d’approvisionnement, dont on a pu avoir des exemples l’hiver dernier, cela suppose de dimensionner tout le système (réseau, production…) pour répondre à cette pointe saisonnière. Cela a évidemment un coût et l’électricité est aujourd’hui le mode de chauffage le plus cher.

Jean : La question du chauffage et de l’état assez mauvais des logements en général en France semble susciter une attention mitigée des pouvoirs publics ? Pourquoi, alors que c’est une question qui concerne tous les Français et qui impacte considérablement leur vie quotidienne ?

La transition énergétique consiste à passer d’un modèle où l’enjeu était principalement d’adapter un système de production à une consommation que l’on imagine augmenter sans cesse à un modèle où l’on doit, au contraire, adapter nos consommations aux ressources finies de la planète et à l’urgence de ralentir le réchauffement climatique.

Le système industriel existant (grandes entreprises, modèle économique et parfois, malheureusement aussi, les pouvoirs publics) résiste à cette transformation, car cela peut aller contre des intérêts de court terme. On l’a vu récemment avec la publication de la programmation pluriannuelle de l’énergie qui ne parle quasiment pas de rénovation ou ne propose, en tout cas, aucune mesure nouvelle alors que le rythme est cinq fois trop lent par rapport à l’objectif de 500 000 rénovations annuelles fixé depuis 2012.

Les gouvernements successifs observent cette situation en se contentant d’ajustement à la marge alors qu’un tel chantier nécessite des mesures structurantes. Il faut revoir le système d’aides financières pour les rendre plus efficaces et plus accessibles. Il faut introduire un mécanisme de contraintes et d’obligations progressives de rénovation, en particulier, pour protéger les locataires en situation de précarité énergétique. Et il faut un dispositif d’accompagnement indépendant couvrant l’ensemble du territoire pour conseiller les particuliers et aider à la structuration des filières professionnelles. C’est pourquoi le CLER demande qu’un service public de la performance énergétique ambitieux et territorialisé soit mis en œuvre le plus rapidement possible.

Jean : Comment la réduction de la consommation est-elle compatible avec les personnes qui sont en précarité énergétique toujours plus nombreuses en France ?

Quand on gagne 900 euros par mois et qu’on n’arrive pas à payer sa facture une rénovation ambitieuse ou un changement de chaudière peut sembler inaccessible. C’est d’autant plus regrettable que les économies d’énergie sont le seul moyen de diviser sa facture de manière importante et sur le long terme.

Il existe pourtant des solutions y compris dans les cas de grande précarité. Le réseau éco-habitat comme de nombreux autres adhérents du CLER ou professionnels locaux déploient des dispositifs d’accompagnement de ces ménages jusqu’à réaliser des travaux importants. On constate souvent que ces travaux, en plus de faire baisser les factures, sont souvent l’occasion pour les ménages concernés de reprendre confiance dans leurs droits et leurs capacités à bénéficier de conditions de vie décentes, de se réinsérer socialement, de résoudre des problèmes de santé, etc.

Il faut maintenant que les pouvoirs publics et, au premier rang desquels l’Etat, soutiennent et permettent à ces initiatives de se développer massivement. Là encore, aides financières et accompagnements adaptés sont la clé.

Toto : Selon le potentiel énergétique renouvelable en France, quelles sont les sources mobilisables (géothermie, solaire, éolien, marées, hydro-électrique…) et dans quelles proportions ?

La France dispose d’un potentiel exceptionnel en matière d’énergies renouvelables. On a une grande façade maritime avec des vents réguliers, des montagnes avec des cours d’eau puissants, un ensoleillement qui devrait permettre d’utiliser l’énergie solaire partout, des forêts en croissance et une production agricole importante. Grâce à tous ces facteurs, la France peut disposer d’un mix énergétique 100 % renouvelable, s’appuyant sur des filières diversifiées pour l’ensemble de nos besoins énergétiques.

De nombreuses études ont montré que cet objectif était atteignable, réaliste, souhaitable. C’est le cas du scénario Negawatt, bien sûr, mais également de l’Ademe ou d’acteurs comme GRDF, pour qui un objectif 100 % gaz renouvelable en 2050 est devenu central. Ces scénarios sont d’ailleurs les seuls compatibles avec l’objectif de neutralité carbone pour l’ensemble des secteurs et de contenir le réchauffement climatique en dessous de 1,5 °C. Ces scénarios reposent, évidemment, sur des efforts considérables de réduction des consommations.

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Ils sont bien connus depuis de nombreuses années. Il est regrettable que le gouvernement actuel ne s’en soit pas saisi à l’occasion de la programmation pluriannuelle de l’énergie et de nouveau privilégié une forme de statu quo incohérent sur les plans économiques et écologiques.

Baptiste : Les énergies renouvelables sont-elles réellement plus écologiques ? Qu’en est-il de la consommation des ressources et matières premières nécessaires à la production des énergies renouvelables (infrastructures, matériels, etc.) ?

Comme tout système de production, les énergies renouvelables ont besoin de matériaux pour se développer. On entend beaucoup de critiques sur l’utilisation de terres rares, par exemple. Il est vrai que certaines technologies peuvent y recourir. Néanmoins dans des proportions bien moindres que l’ensemble du reste de notre économie.

Notre consommation de produits électroniques (téléphones portables, ordinateurs) pose un défi autrement plus important que le développement des énergies renouvelables. Ces dernières s’inscrivent, au contraire, dans une logique plus globale d’économie circulaire ou la baisse des besoins, l’écoconception, le recyclage deviennent les principes fondamentaux du modèle de production et de consommation.

Comment agir pour le climat ? « Le Monde » se mobilise pendant une semaine

Que faire face au défi du changement climatique ? Comment agir, concrètement, à l’échelle individuelle ou collective ? Les initiatives citoyennes ont-elles un sens alors que c’est tout le système qu’il faudrait faire évoluer pour espérer limiter les effets du dérèglement ? Alors que la COP24 sur le climat s’est ouverte, dimanche 2 décembre, en Pologne, la rédaction du Monde se mobilise autour de ces questions. Au-delà du constat de l’urgence, nous avons voulu nous interroger sur les solutions existantes ou à explorer.

Chaque jour, pendant une semaine, des personnalités, expertes de leur domaine et engagées au quotidien, répondront en direct aux questions des internautes :