Les rives asséchées du lac Chilwa, au Malawi, en octobre 2018. / AMOS GUMULIRA / AFP

Arona Diedhiou a participé en tant qu’auteur principal à la rédaction du rapport spécial du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) sur les implications d’un réchauffement planétaire de 1,5 °C, publié début octobre.

Alors que se tient la 24e conférence des Nations unies sur le changement climatique (COP24) à Katowice, en Pologne, le climatologue franco-sénégalais, directeur de recherche à l’Institut de recherche pour le développement (IRD), revient sur les principaux enseignements de ce rapport, qui confirment que l’Afrique va devoir s’adapter à des changements de grande ampleur, mais aussi qu’un effort significatif pourrait venir du continent.

Quelles sont les données qui permettent d’affirmer que l’Afrique est l’une des régions où l’impact du changement climatique est d’ores et déjà le plus important ?

Arona Diedhiou Les réseaux d’observation de terrain sont malheureusement défaillants sur le continent. Toutefois, les données disponibles nous apprennent qu’après une période humide dans les années 1950-1960, de longs épisodes de sécheresse ont été enregistrés dans le Sahel pendant les trente années suivantes. Ils sont la manifestation d’un dérèglement climatique d’une force qui n’a pas d’équivalent ailleurs dans le monde. Une baisse de 180 à 200 mm en moyenne de pluie annuelle a pu être observée dans certaines régions arides. C’est le signal d’un changement majeur au niveau régional.

Les données plus récentes issues du service national d’observation AMMA-Catch installé en Afrique de l’Ouest et celles des services météorologiques et hydrologiques nationaux montrent que la sécheresse s’est progressivement atténuée. Mais les événements climatiques extrêmes se multiplient.

« En Afrique du Sud, Le Cap voit son littoral modifié sous l’effet de l’érosion, de la montée des eaux et des tempêtes. »

Les satellites montrent par ailleurs clairement une tendance à une augmentation du niveau de la mer sur toute la façade africaine de l’Atlantique, d’environ 1 mm à 6 mm par an sur certains endroits, avec des maxima sur la côte d’Afrique de l’Ouest, mais aussi le long des côtes marocaines et sur la pointe sud-africaine. L’érosion côtière qui affecte l’Afrique de l’Ouest est ainsi aggravée par la montée du niveau de la mer.

De Nouakchott à Lagos, la mer grignote les côtes à raison de 1 mètre à 5 mètres par an et fragilise des villes qui représentent 42 % de l’économie de l’Afrique de l’Ouest et où vit le tiers de sa population. En Afrique du Sud, Le Cap voit son littoral modifié sous l’effet combiné de l’érosion côtière, de la montée des eaux et des ondes de tempêtes.

Les 580 km de côtes de la région du KwaZulu-Natal, où se concentre une forte activité économique, sont aussi transformées. En Afrique du Nord, Tunis et Alexandrie (Egypte), avec leurs vastes étendues de plages sableuses, sont exposées à l’érosion et à la submersion marine, aggravant les risques d’inondations.

La hausse des températures des eaux océaniques commence par ailleurs à avoir un impact visible sur la pêche. Une étude récente du Climate Change Institute de l’université du Maine, aux Etats-Unis, indique que les eaux de surface n’ont jamais été aussi chaudes. En Afrique, les maxima sont observés dans le bassin méditerranéen et dans l’Atlantique Sud-Est. Cela entraîne une diminution de la remontée des eaux si riches en nutriments et en phytoplanctons profitables aux poissons.

Cette tendance va-t-elle se confirmer dans les prochaines décennies ?

La situation géographique de l’Afrique a une grande importance : 75 % de sa superficie se trouve dans la bande tropicale, avec des régions semi-arides en zones subtropicales. Le cinquième rapport d’évaluation du GIEC estime qu’il est probable que les températures terrestres en Afrique vont augmenter plus vite que la moyenne mondiale, surtout dans les régions plus arides. En plus d’être affectée par de multiples événements climatiques, l’Afrique demeure l’un des continents les plus vulnérables au changement climatique à cause de sa faible capacité d’adaptation.

Le changement climatique ne se produit pas de façon uniforme sur le continent. Quelles sont les grandes différences régionales ?

La majorité des modèles climatiques indiquent qu’un réchauffement de 2 °C au niveau mondial se traduirait par des augmentations de température localement plus élevées en Afrique. Cela ne fait aucun doute pour l’Afrique du Nord et pour l’Afrique australe.

Les grandes différences régionales tiennent pour l’essentiel à la diversité du couvert végétal. Dans le bassin du Congo et tout le long de la ceinture tropicale, la présence d’une végétation plus dense pourrait moduler l’impact du réchauffement, contrairement à ce qui se produit dans les zones sèches ou désertiques.

Mais même au niveau de la bande sahélienne, les impacts ne sont pas uniformes. Nous la divisons en trois grands ensembles : un premier autour du Sénégal, où une baisse significative des précipitations devrait se produire. Le rendement des céréales dans ce pays pourrait ainsi être presque divisé par deux d’ici à la fin du siècle. Les systèmes agricoles seront perturbés, avec des problèmes accrus de sécurité alimentaire.

« Le rendement des céréales au Sénégal pourrait être presque divisé par deux d’ici à la fin du siècle. »

Dans la zone du Sahel central, c’est-à-dire au niveau du Mali oriental, du Niger et du Tchad, et sur la côte guinéenne d’Afrique de l’Ouest, les résultats que nous fournissent les modèles sont moins unanimes, bien que la plupart anticipent des épisodes pluvieux plus courts et plus violents. Ces phénomènes s’accentuent selon que le réchauffement est contenu à 2 °C ou à 1,5 °C. Les risques d’inondation augmentent également.

L’année 2017 nous donne un avant-goût des conséquences que cela pourrait avoir, avec les importants glissements de terrains qu’a connus la Sierra Leone. Les pluies diluviennes ont causé la mort de près 400 personnes.

L’Afrique de l’Est doit aussi s’attendre à une augmentation des épisodes secs, avec des pluies plus courtes mais plus intenses. Par contre, il est probable que certaines régions autour de la Somalie connaissent des conditions plus humides.

Une inondation près de la ville de Lokoja, au Nigeria, en septembre 2018. / SODIQ ADELAKUN / AFP

Ne faut-il pas se réjouir pour la Somalie de pluies plus abondantes ?

Il ne s’agit pas seulement d’analyser la quantité de pluie, mais la façon dont elle est distribuée. Or tout indique que les épisodes de pluies violentes, concentrées sur de courtes durées, se multiplient et seront encore plus fréquents à 2 °C qu’à 1,5 °C.

Le problème est que ce ne sont pas des pluies utiles pour les cultures et dans les villes, elles provoquent des inondations dévastatrices que les pays qui n’y sont pas habitués ou qui n’y sont pas préparés n’ont pas les moyens de gérer.

Des pluies plus fortes ajoutées à des vagues de chaleur plus intenses posent déjà le problème de la vulnérabilité de la ville africaine de demain, en matière de santé, de mobilité des populations et aussi de production et de distribution de l’énergie.

Vous insistez sur la déstabilisation potentielle des systèmes agricoles et de la répartition des ressources en eau. A quelle situation pensez-vous en particulier ?

Le changement climatique va remettre en question de nombreux équilibres. Mais celui du partage des eaux du Nil me semble le mieux donner la dimension des enjeux. Ce partage donne lieu à de fortes tensions entre l’Egypte et l’Ethiopie. Or il est facile d’imaginer que le compromis actuel va voler en éclats avec le changement climatique et ses incidences sur le fleuve. Plusieurs études ont démontré que le réchauffement du Pacifique, associé aux épisodes El Nino, a un impact négatif sur les pluies de la région et indirectement sur l’écoulement du Nil. Les études sur le changement climatique suggérant des épisodes El Nino plus extrêmes dans les années à venir renforcent ainsi l’idée d’un Nil plus variable.

Le rapport du GIEC rappelle que le manque de données climatiques de terrain pour l’Afrique réduit la fiabilité des modèles. N’est-ce pas un problème ?

Dès le sommet sur le climat de Copenhague, en 2009, la communauté scientifique a alerté sur le fait que les modèles climatiques globaux étaient insuffisants pour aider les gouvernements à prendre de bonnes décisions au niveau local.

Des modèles régionaux ont été utilisés pour travailler à une échelle plus petite. La communauté scientifique africaine a pris part à ce travail en participant au programme Cordex de l’Organisation météorologique mondiale. Adapter ces modèles régionaux revient à y intégrer des données propres à l’Afrique. La prise en compte des informations concernant l’état de la végétation, des sols, les tests faits depuis l’Afrique pour choisir les schémas de nuages les plus appropriés, sont une grande avancée et sont autant de données qui nous permettent de consolider les projections.

« La faible contribution de l’Afrique à l’évaluation du GIEC est en partie due à des connexions Internet défaillantes. »

L’Afrique commence à disposer d’une bonne expertise et d’une masse critique de chercheurs, mais il ne faut pas oublier que ces modèles demandent d’énormes moyens de calcul et de stockage de données, que la plupart des pays ne possèdent pas. La qualité des connexions à Internet reste aussi un problème.

La faible contribution de l’Afrique à l’évaluation du GIEC est en partie due au fait que d’énormes quantités de données climatiques et de connaissances sont difficilement accessibles depuis le continent du fait de connexions Internet défaillantes. Il faut donc saluer l’effort fourni par certains pays comme l’Afrique du Sud, le Maroc, l’Algérie, la Côte d’Ivoire, le Sénégal et le Bénin pour se doter de centres de calcul de haute performance.

Les verrous technologiques sont en train d’être levés et il faut aussi reconnaître le travail remarquable fait par les instances dirigeantes du GIEC pour augmenter le nombre d’experts africains pour l’élaboration du prochain rapport, attendu en 2023. Je lance donc un appel pour que le groupe de négociateurs africains travaille avec le groupe d’experts africains du GIEC pour mieux prendre en compte les nouveaux résultats de recherche, étayer les argumentaires et mieux rendre visibles les préoccupations africaines.

Dans les négociations climatiques, l’Afrique s’est jusqu’à présent présentée en victime du changement climatique et non pas en acteur. Cette vision n’est plus exacte selon vous. Pourquoi ?

De récentes études, souvent menées par des chercheurs africains dans le cadre du projet européen Dacciwa, montrent que les émissions de gaz à effet de serre produites sur le continent contribuent à la modification du climat régional. Des villes en pleine croissance polluent avec leurs vieilles voitures, leurs motos, leurs déchets croissants. Tout comme les industries pétrolières, les feux de brousse ou la déforestation liée à l’utilisation de charbon de bois participent à la croissance des émissions.

Des chercheurs de Côte d’Ivoire, du Bénin, du Sénégal et du Cameroun, en collaboration avec des laboratoires européens comme celui d’aérologie de l’université de Toulouse, notent que que les problèmes respiratoires liés au rejet de certaines particules sont devenus des problèmes de santé publique.

L’Afrique doit prendre sa part de responsabilité dans les effets néfastes ou aggravants du changement climatique. La lutte contre le changement climatique doit impliquer tout le monde. Et pour l’Afrique, cela peut être rentable sur le plan économique et bénéfique pour les populations.

Une plage de la baie de Hann, à Dakar, au Sénégal, en juin 2018. / SEYLLOU / AFP

L’Afrique ne peut plus se contenter d’un discours de victime ?

Il faut que l’Union africaine prenne en compte ces nouveaux résultats de recherche pour faire évoluer son discours. Les pays africains sont signataires de l’accord de Paris sur le climat : ils doivent prendre des engagements fermes pour réduire leurs émissions.

Les contributions déterminées au niveau national sont au cœur de l’accord de Paris. Les pays sont maintenant supposés fixer leurs objectifs climatiques au niveau national et les communiquer à la conférence des parties à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques.

Des normes doivent être définies pour permettre d’évaluer les efforts de chaque pays. Ce sont ces règles qui sont actuellement discutées en Pologne. Malheureusement, très peu de pays africains ont soumis leurs contributions pour qu’elles puissent servir ou contribuer à l’établissement de ces règles. Il sera difficile de reprocher demain que les critères retenus soient inadaptés à l’Afrique.