Des éoliennes sur les quais du port commercial de Liverpool, au Royaume-Uni. / Paul Harris / John Warburton-Lee / Photononstop / Paul Harris/John Warburton-Lee / Photononstop

Une électricité produite à 100 % par les énergies renouvelables est-elle possible ? C’est ce que pense le gouvernement espagnol, qui a annoncé le 15 novembre vouloir tenir cet objectif pour l’année 2050 et viser la neutralité carbone la même année. C’est aussi ce que pensaient trois candidats à l’élection présidentielle en 2017, Philippe Poutou, Benoît Hamon et Jean-Luc Mélenchon, qui l’avaient intégré à leurs programmes.

A l’heure où les scientifiques rappellent, de travaux scientifiques en tribunes médiatiques, que la fenêtre d’action contre le changement climatique se referme, à l’heure où les marches pour le climat reçoivent le soutien d’une part grandissante de la société civile, le débat sur les sources d’énergie est devenu incontournable.

En France, les énergies renouvelables (solaire, éolien, hydroélectricité, biomasse) ont représenté ces trois dernières années en moyenne 19 % de la production électrique, un chiffre qui progresse lentement, à la faveur de l’installation de nouveaux parcs éoliens et d’une surface grandissante de panneaux solaires, la source d’énergie qui a crû le plus rapidement ces dernières années dans l’Hexagone.

Des scénarios « 100 % renouvelables » optimistes…

Lors de la signature, en 2008, du plan d’action européen dit « paquet climat-énergie 2020 », la France s’est fixé l’objectif d’atteindre une part de 23 % de sa consommation finale brute d’énergie issue des énergies renouvelables en 2020 – objectif qu’elle n’atteindra probablement pas. La loi sur la transition énergétique, votée en 2015, a fixé un second objectif de 32 % de la consommation énergétique pour 2030.

Mais, au-delà de ces échéances à moyen terme, et contrairement à certains de ses voisins, la France ne s’est pas dotée de scénario sur l’évolution de sa production d’électricité, et encore moins sur un objectif de 100 % d’énergies renouvelables. Un tel scénario est-il possible ? Théoriquement, il l’est, mais pose à la fois de sérieux défis technologiques et dépend d’évolutions économiques et matérielles importantes.

Le scénario négaWatt, conçu par l’association homonyme, est probablement le plus travaillé et le plus précis qui existe à l’heure actuelle. Celui-ci prévoit une électricité issue entièrement d’énergies d’origine renouvelable en 2050 en France. Mais une telle production est conditionnée à trois facteurs principaux : la réduction de la consommation d’électricité par une réglementation des usages énergivores et une amélioration de l’efficacité énergétique des objets du quotidien, l’augmentation significative des capacités de production des énergies renouvelables et le développement de solutions de stockage d’électricité pour pallier l’intermittence des moyens de production solaires et éoliens.

La consommation d’électricité, pour prendre le premier défi, passe dans le scénario négaWatt de 431 térawattheures (TWh) en 2015 à 272 TWh en 2050, soit une réduction de 37 % de la consommation électrique en trente-cinq ans, dans un pays qui aura gagné 6,82 millions d’habitants (selon la projection démographique centrale de l’Insee) et qui comptera très certainement un nombre accru de voitures électriques et d’équipements domestiques électroniques. Une telle réduction n’est possible qu’en prenant une panoplie complète de mesures politiques destinées à réduire la consommation d’énergie :

  • accroissement draconien du rythme de rénovation énergétique des bâtiments ;

  • gains significatifs de l’efficacité énergétique des appareils électriques ;

  • régulation des usages énergivores (éclairages nocturnes, par exemple) ;

  • développement des modes de transport doux (marche, vélo) ;

  • favorisation des circuits économiques locaux et du tourisme local ;

  • développement du recyclage (des plastiques, notamment) ;

  • lutte contre le gaspillage alimentaire.

Mais une partie des prérequis à une baisse importante de la consommation repose sur des comportements qu’il est plus difficile de régir avec la loi :

  • réduction de la part de l’alimentation carnée ;

  • dimensionnement et baisse du nombre d’équipements électriques domestiques (taille des téléviseurs, nombre de sèche-linge, type de réfrigérateurs utilisés) ;

  • sobriété des usages et de la consommation.

A rebours d’un mouvement mondialisateur qui a développé les échanges économiques internationaux et intensifié les flux de matière et d’énergie sur de longues distances, un scénario énergétique, social et économique, fondé sur l’utilisation des énergies renouvelables questionne un certain nombre de processus et d’usages.

… mais constituant un objectif atteignable

Le défi concernant la production de l’électricité en elle-même n’est pas tant les moyens de production que l’on déploie que son intermittence et son difficile stockage. En effet, si l’énergie que l’on peut obtenir du vent, des cours d’eau et du soleil est présente en grande quantité, elle se répartit bien mal dans le temps. L’hydroélectricité, par exemple, qui représente l’écrasante part de l’électricité renouvelable produite en France et dans le monde, n’est pas capable de fournir la même quantité d’électricité toute l’année. En France, celle-ci atteint son apogée entre avril et juillet, lorsque la fonte des neiges fait tourner les turbines des barrages, puis diminue en hiver, malgré la pluviométrie plus importante.

La production d’électricité d’origine éolienne connaît le même problème, puisqu’elle chute assez bas à partir du printemps, et ce jusqu’à l’automne. Quant au solaire produit à partir de panneaux photovoltaïques, sa production tombe évidemment à zéro la nuit (qui dure entre huit et seize heures par jour, en France) et reste maigre en hiver, quand l’ensoleillement est limité.

En complément d’une production de moyens intermittents, un système électrique fiable doit donc posséder des moyens de production pilotables, c’est-à-dire programmables et mobilisables rapidement pour pallier l’intermittence des autres moyens de production et assurer la sécurité d’approvisionnement, quelles que soient les conditions climatiques et météorologiques (période de grand froid, absence prolongée de vent ou d’ensoleillement, etc.). Par exemple, en 2017, la production hydraulique a décru de 16,3 % par rapport à 2016. « Ce volume annuel figure parmi les plus bas jamais enregistrés », note RTE (Réseau de transport d’électricité) dans son bilan électrique, expliquant cette baisse par une pluviométrie déficitaire, « qui a atteint respectivement - 40 % et - 50 % aux mois de janvier et avril 2017 sur l’Hexagone ».

Pour assurer un approvisionnement continu en électricité et faire face aux besoins, plusieurs technologies relativement efficaces existent :

  • la conversion d’électricité en gaz (power to gas), qui convertit l’électricité en hydrogène ou méthane de synthèse, lequel peut ensuite être utilisé dans le réseau gazier ou être reconverti en électricité (stockage longue durée) ;

  • les stations de transfert d’énergie par pompage (STEP), qui pompent de l’eau d’un bassin vers un second situé plus haut, celui-ci pouvant servir à produire de l’électricité n’importe quand lors de l’ouverture des vannes (stockage longue durée) ;

  • le stockage d’énergie par air comprimé (CAES), qui comprime de l’air dans un réservoir à très haute pression (jusqu’à 300 bars) puis l’injecte avec du gaz dans une chambre de combustion où le tout fait fonctionner une turbine et un alternateur (stockage court, quelques heures).

Contrairement aux stations de transfert d’énergie par pompage, qui sont utilisées depuis longtemps, les solutions de stockage de l’électricité par méthanation et par compression de l’air sont encore peu employées, du fait de la maturité naissante de ces technologies. Mais l’appétit grandissant pour les solutions de stockage de l’énergie devrait permettre d’en améliorer les rendements et les coûts si elles étaient amenées à être déployées sur des systèmes électriques à grande échelle.

Et pourquoi pas, à terme, d’ouvrir la voie à une électricité entièrement issue des énergies renouvelables.

Comment agir pour le climat ? « Le Monde » se mobilise pendant une semaine

Que faire face au défi du changement climatique ? Comment agir, concrètement, à l’échelle individuelle ou collective ? Les initiatives citoyennes ont-elles un sens alors que c’est tout le système qu’il faudrait faire évoluer pour espérer limiter les effets du dérèglement ? Alors que la COP24 sur le climat s’est ouverte, dimanche 2 décembre, en Pologne, la rédaction du Monde se mobilise autour de ces questions. Au-delà du constat de l’urgence, nous avons voulu nous interroger sur les solutions existantes ou à explorer.

Chaque jour, pendant une semaine, des personnalités, expertes de leur domaine et engagées au quotidien, répondront en direct aux questions des internautes :