Aux alentours de 2019, Microsoft remisera au garage le moteur de son navigateur Internet Edge, pour lui greffer Chromium, la mécanique de son navigateur concurrent Google Chrome. Beaucoup de pièces de Chromium ont été créées par les ingénieurs de Google, qui gardent une forte influence sur le devenir de ce moteur. Il équipe déjà plusieurs navigateurs concurrents de Google, comme Opera. Mais Chromium n’est pas entièrement la propriété de Google, puisqu’il comporte quelques pièces empruntées, et que n’importe qui est libre de l’utiliser, grâce à sa licence libre BSD.

Pour les utilisateurs d’Edge, le passage à Chromium sera quasiment invisible : l’interface et les menus du navigateur de Microsoft ne seront modifiés qu’à la marge. En revanche, ils pourront enrichir ses fonctionnalités grâce à des extensions conçues pour Google Chrome. La compatibilité avec les milliers d’extensions Chrome fait partie des objectifs de développement de Microsoft, selon Kyle Adams, un ingénieur maison.

Un rendu des pages plus fidèles

Chromium devrait surtout améliorer l’affichage des sites Web. « Au final, nous voulons optimiser l’expérience Internet pour beaucoup de publics différents », a déclaré Joe Belfiore, vice-président du groupe Microsoft, responsable des systèmes d’exploitation, dans un article posté sur le site de Microsoft le 6 décembre. Cet espoir ne paraît pas déraisonnable à moyen terme, car le choix de Microsoft facilitera le travail des concepteurs de sites et d’applications Internet.

Il existe aujourd’hui plusieurs moteurs Internet concurrents, et chacun a des particularismes qui l’empêchent d’afficher les pages Web exactement comme les autres, à moins de recourir à de laborieuses ruses de conception. En adoptant le même moteur que Google Chrome, Edge rejoint un standard solide, puisque Chrome est utilisé par la majorité des internautes dans le monde. Microsoft est déterminé à accélérer la transition vers la nouvelle version d’Edge à moteur Chromium, en rendant ce navigateur compatible avec d’anciennes versions de Windows (les systèmes d’exploitation Windows 7, sorti en 2009, et Windows 8, commercialisé en 2012, pourront en bénéficier).

Le moteur Chromium ne régnera toutefois pas sans partage sur le paysage des navigateurs. Edge, le navigateur de Microsoft, n’a pas encore complètement supplanté ses nombreux ancêtres, qui portent le nom d’Internet Explorer, et qu’on croise encore sur une minorité d’ordinateurs dans leurs versions 9, 10 et 11. Les concepteurs de sites Web les plus consciencieux continueront de prendre en compte les spécificités de ces vieux navigateurs. Deux autres poids lourds de la navigation perdurent également : si Safari d’Apple embarque un moteur assez proche de Chromium, Firefox dispose, lui, de sa propre mécanique.

Une menace pour la diversité d’offres ?

Le passage de Microsoft à Chromium a d’ailleurs fait vivement réagir Mozilla, la fondation à l’origine de Firefox. Son PDG Chris Beard craint l’uniformisation des moteurs Internet. Il déclare dans un billet posté sur son site Internet :

« Nous n’allons pas accepter que la mécanique conçue par Google pour Internet devienne le seul choix disponible pour les consommateurs. C’est précisément la raison pour laquelle nous avons décidé de bâtir Firefox au départ. Nous continuerons de nous battre pour un Internet vraiment ouvert. (…) Rendre Google plus puissant présente de nombreux risques. (…) Céder le contrôle de l’infrastructure fondamentale d’Internet à une seule entreprise est épouvantable, d’un point de vue social et civique, ainsi que sur le plan de l’autonomie des individus. »

De manière générale, le choix du géant du logiciel a fait grand bruit dans la communauté des développeurs Internet. Historiquement, la concurrence a produit une saine émulation, qui a apporté des progrès aux navigateurs Internet, en termes d’ergonomie et de rapidité d’affichage. A long terme, les effets du passage de Microsoft à Chromium pourraient donc être négatifs.

Pour étayer la décision de Microsoft, Joe Belfiore a insisté sur d’autres qualités du moteur Chromium, qui préserve mieux la batterie des appareils nomades, et fonctionne sur toutes sortes de tablettes et de smartphones.

En outre, une vaste communauté de développeurs libres travaille à étoffer le moteur Chromium. Le succès du navigateur Chrome y est probablement pour beaucoup. Le logiciel de Google a connu une croissance spectaculaire et continue depuis son apparition, il y a dix ans. Dans le même temps, les navigateurs de Microsoft, autrefois dominants, ont connu une longue chute que Microsoft n’a jamais réussi à endiguer.