« Entreprises de la tech, je vous en implore : si vous êtes assez intelligentes pour vous rendre compte que je suis enceinte et que j’ai accouché, alors vous êtes sans doute assez intelligentes pour réaliser que mon bébé est mort, et m’envoyer des publicités qui en tiennent compte, ou bien, peut-être, pas de publicité du tout. »

Le message, publié mardi 11 décembre sur Twitter, est poignant. Gillian Brockell, chroniqueuse au Washington Post, y interpelle les grandes plates-formes du numérique, tout particulièrement Facebook, Instagram, Twitter et Experian (spécialiste du marketing fondé sur les données).

« Je sais que vous saviez que j’étais enceinte. C’est de ma faute, j’ai n’a pas pu résister à ces mots-clés sur Instagram – #30weekspregnant [enceinte de trente semaines] #BabyBump. Et, que je suis bête ! J’ai même cliqué une ou deux fois sur des publicités d’habits pour femmes enceintes que m’affichait Facebook. »

Elle énumère toutes les autres traces de sa grossesse qu’elle a pu laisser en ligne : ses remerciements à ses amies venues à sa fête prénatale, ses recherches Google, ou encore la liste de naissance qu’elle a créée sur Amazon, avec la date prévue du terme. Résultat logique, les publicités qu’elle voyait alors s’afficher sur Internet étaient liées à cette grossesse et à l’arrivée prochaine d’un enfant.

Seulement voilà, le bébé est finalement mort-né. Dans un message publié le 30 novembre sur Twitter, elle annonce la triste nouvelle. « Nous sommes dévastés », écrivait-elle alors. Une information que les grandes plates-formes du numérique ne semblent pas avoir prise en compte.

« Laissez-moi vous dire à quoi ressemblent les réseaux sociaux quand vous rentrez enfin de l’hôpital avec les bras les plus vides du monde, après avoir passé des jours à pleurer au lit, et que vous attrapez votre téléphone pour quelques minutes de distraction avant la prochaine crise de larmes. C’est exactement, dramatiquement, la même chose que si votre enfant était encore en vie. Pea in the Pod. Motherhood Maternity. Latched Mama [des marques pour femmes enceintes]. »

« L’algorithme décide que vous avez accouché »

Mais il y a pire. Sur certaines de ces plates-formes, il est possible d’indiquer « je ne veux pas voir cette publicité » ou « masquer cette publicité », afin d’aider l’algorithme à mieux cibler les messages publicitaires, ce que dit avoir fait Gillian Brockell, en cochant les cases précisant que ce contenu n’était « pas pertinent » pour elle. Avec un résultat encore pire, déplore-t-elle.

« Savez-vous ce que décide alors votre algorithme, entreprises de la tech ? Il décide que vous avez accouché, il part du principe que tout s’est bien passé, et vous inonde de publicités pour les meilleurs soutiens-gorge d’allaitement (…), des astuces pour réussir à endormir le bébé (…), et les meilleures poussettes qui évolueront avec la croissance de votre bébé. »

Un rappel systématique de ce drame, qui lui paraît incompréhensible. « Vous ne m’avez pas vu googler “contraction de Braxton Hicks” et “bébé ne bouge pas” ? Vous n’avez pas remarqué mes trois jours de silence, inhabituels pour une utilisatrice compulsive comme moi ? Et l’annonce, avec des mots-clés comme “cœur brisé”, “problème”, “mort-né” et les deux cents émoticônes larmoyantes de mes amis ? Ça, c’est quelque chose que vous ne pouvez pas pister ? »

Le témoignage de Gillian Brockell illustre bien les limites et l’un des problèmes de la publicité ciblée. Fondée sur des données potentiellement erronées ou datées, qui génèrent un portrait-robot plus ou moins faussé des internautes, elle leur impose des contenus choisis par un algorithme – en fonction de ce qui, selon ses calculs, devrait intéresser la personne. Avec bon nombre d’erreurs, parfois plus discrètes, et surtout moins dramatiques, que celles que dénonce Gillian Brockell.

Réponse de Facebook

« Je vous présente mes condoléances, et je suis désolé de cette expérience difficile vécue avec nos produits », a répondu Rob Goldman, responsable de la publicité chez Facebook (entreprise qui possède également Instagram).

« Il existe un paramètre qui peut bloquer les publicités sur certains sujets que des gens peuvent trouver douloureux – y compris relatives aux enfants. Nous devons encore l’améliorer, mais sachez que nous travaillons dessus et que vos commentaires sont bienvenus. »

Gillian Brockell a répondu avoir cherché ce type de fonctionnalité, sans succès, et propose que des mots-clés comme « mort-né » puissent « déclencher une fin de ces publicités ». « Nous allons y réfléchir, ainsi qu’à d’autres façons d’accéder à ces paramètres pour s’assurer que les personnes qui en ont besoin puissent les utiliser », a promis Rob Goldman.

Contacté par Le Monde, un porte-parole de Twitter a, de son côté, répondu : « Nous ne pouvons pas imaginer la souffrance de ceux qui ont traversé une telle épreuve. Nous travaillons continuellement pour améliorer nos produits, afin de nous assurer que nous proposons des contenus appropriés pour les personnes qui utilisent nos services. » Experian n’a, pour l’instant, apporté aucun commentaire.