KIM BASCHET / LE MONDE

Toute la semaine, Le Monde s’interroge sur les manières de lutter contre le dérèglement climatique. Ce jeudi : peut-on consommer moins ? Quatre citoyens racontent comment ils ont adopté un autre mode de vie. Et pourquoi ils ont décidé de prendre un logement plus petit, d’arrêter le shampooing ou encore de changer de métier....

Camille Grandjean, 34 ans, est puéricultrice au CHU de Nice.

« Mes enfants n’adhèrent pas du tout au dentifrice écolo ! »

« J’ai toujours été sensible à l’écologie, mais mon cheminement vers la décroissance s’est fait très progressivement. Il y a dix-huit mois environ, une amie m’a inscrite au groupe Facebook Gestion, entraide et minimalisme. Au début, le minimalisme [mode de vie rejetant la société de consommation et prônant la possession des biens matériels au strict minimum], je ne comprenais pas vraiment ce que c’était, mais aujourd’hui j’essaie de me demander régulièrement, avant d’acheter un produit, ai-je besoin de cela ?, ai-je déjà quelque chose qui y ressemble ?

J’ai une vie davantage en cohérence avec mes idéaux, même si je suis toujours pleine de contradictions

Concrètement, je fabrique moi-même une grande partie de mes cosmétiques et de mes produits ménagers. J’essaie aussi de pratiquer le “zéro déchet”, même si ce n’est pas évident. Je consomme le plus possible bio et local – le bio international ne m’intéresse pas. J’essaie d’acheter d’occasion et je vends sur des sites de produits d’occasion. J’ai une vie davantage en cohérence avec mes idéaux, même si je suis toujours pleine de contradictions.

La société nous crée des envies, mais mon cœur me dit de m’en éloigner, alors parfois c’est compliqué ! J’essaie de boycotter certaines marques, comme Amazon ou Primark, et les grosses multinationales qui polluent, qui exploitent des travailleurs pauvres et les enfants et qui fraudent les impôts. Mais j’ai quand même un iPhone, un Mac, je vais sur Google… J’envisage de ne pas reprendre un smartphone quand le mien va lâcher, mais on est vite accro à ce genre d’appareil.

Il ne faut pas trop culpabiliser. On fait ce qu’on peut, à notre rythme. En revanche, je ne suis pas végétarienne. Même si je mange beaucoup moins de viande qu’il y a quelques années, je ne suis pas prête à ce sacrifice pour le moment. La condition animale est pourtant importante pour moi, mais je mets des œillères sur ce sujet.

Ma mère et ma sœur sont également sensibles au mouvement de la décroissance, ainsi que certaines de mes amies proches. Mon mari me suit dans mes lubies ; il n’est pas vraiment moteur mais essaie de respecter mes choix. Même si des fois il trouve que je vais un peu loin : je viens par exemple de mettre en place un seau d’une dizaine de litres dans la douche pour récupérer l’eau froide. Lorsque nous ouvrons le robinet, il y a un laps de temps avant que ce soit de l’eau chaude qui coule – surtout pour le premier –, donc on laisse le pommeau couler dans le seau pour ne pas gaspiller toute cette eau froide (qui en plus est potable). Cette eau nous sert ensuite pour les WC ou à arroser les fleurs. Grâce à ce système, nous récupérons environs dix litres d’eau par jour.

Mes enfants sont assez partants, ils ont plein de réflexes écologiques, même s’ils ont aussi beaucoup d’attentes liées à leur âge. J’essaie de les faire réfléchir à leurs envies et, si possible, de trouver une alternative. Par exemple, ils n’adhèrent pas du tout au dentifrice écolo que je réalise en mélangeant de l’huile de coco, du bicarbonate de sodium, de l’argile blanche et des huiles essentielles. Donc ils en ont un du commerce, si possible bio, mais je les laisse faire leur chemin. J’espère qu’ils poursuivront cette démarche une fois adultes. Je pense que ce mode de vie va se généraliser et que leur génération et les suivantes seront davantage habituées à tout cela. »

KIM BASCHET / LE MONDE

Patricia Mignone, 60 ans, est formatrice et cadre dans le marketing numérique à Charleroi, en Belgique.

« L’empêchement principal à la décroissance ? Les habitudes »

« Je fais partie de la première vague des décroissants, celle des années 1970. A 16 ans, en 1974, j’ai été touchée par le mouvement écologique naissant : j’ai adopté la frugalité et le minimalisme. Puis dans les années 1980, alors que j’étais jeune mère, nous avons vécu dans le Brabant, une région de Belgique qui constituait un véritable vivier en matière d’écologie. Nous avions un maraîcher bio, un boulanger bio, un boucher bio et, au village, un précurseur avait organisé un système de tri et de recyclage des déchets ménagers.

J’ai toujours été perçue comme une personne originale et austère. Il est clair que je détonnais par rapport aux autres adolescentes. Quand j’étais à l’université, il est arrivé que l’on me dise que j’étais radine parce que je n’étais pas aussi coquette que les autres filles de ma promo. J’ai élevé mes enfants dans cet esprit-là. Arrivés à l’âge adulte, ils m’en ont remerciée, ce qui ne les a pas empêchés de faire d’autres choix de consommation.

Chez moi, on trouve un pain de savon de Marseille et une bouteille d’eau vinaigrée pour le rinçage des cheveux !

Concrètement, je consomme ce dont j’ai besoin, en m’efforçant d’observer des comportements résilients : j’évite les produits non éthiques et les déchets ; je tends vers l’autonomie. De passage à Paris ces jours-ci, j’ai loué un appartement sur la plate-forme Airbnb et j’ai découvert dans la cabine de douche un nombre de flacons en plastique inutiles… Chez moi, on trouve un pain de savon de Marseille et une bouteille d’eau vinaigrée pour le rinçage des cheveux ! C’est économique et sain : la publicité fait croire qu’on a besoin d’un produit pour chaque fonction alors que des produits de base suffisent.

Je me passe de télévision depuis une vingtaine d’années, je suis végane et j’ai mon propre jardin. Je n’en suis pas pour autant exemplaire : il m’arrive encore d’acheter des produits emballés dans du plastique.

Comment arriver à convaincre davantage de personnes d’adopter ce mode de vie ? L’empêchement principal, ce sont les habitudes. En matière d’alimentation, les gens commencent cependant à admettre que nous devons réduire notre consommation de chair animale. Afin d’aider mes amis omnivores à évoluer en ce sens sans changer d’habitudes gustatives, j’adapte régulièrement des recettes de cuisine dites « traditionnelles ».

Selon moi, il faut être pédagogue, pas moralisateur : non culpabiliser, mais aider ceux qui le souhaitent à évoluer sur ce chemin. A une échelle un peu plus grande, la publication de livres, l’animation d’ateliers, les conférences permettent aux “éclaireurs” de sensibiliser ceux qui ont besoin d’aide.

Je pense que nous assistons aujourd’hui à la réplique d’un mouvement qui a eu lieu il y a cinquante ans, après Mai 68. Si dans les années 1970 ce mouvement était une lame de fond, là ça devient une véritable tendance : les médias s’intéressent au sujet ; l’Europe a légiféré quant à la responsabilité sociétale des entreprises ; les enseignes de la grande distribution vont désormais au-delà du bio en intégrant les concepts de la transition – local, de saison, en vrac… C’est souvent du greenwashing [marketing écologique], elles font ça pour se donner une bonne image, mais cela permet au moins de sensibiliser le grand public. Le mode de vie de la transition semble également séduire de plus en plus de jeunes, notamment ceux qui sont éduqués : ils ont une conscience aiguë de l’état du monde.

En 1972, le rapport Meadows [la première étude significative à alerter sur l’impact pour la planète de la croissance économique et démographique, intitulé “Les Limites de la croissance”] nous invitait à changer de cap. A l’époque, il était encore temps. Rien n’a été fait depuis, notamment parce que le monde politique manque de courage. Et nous le payons aujourd’hui. »

Olivia Cunéo, 19 ans, est étudiante en langues étrangères à Papeete.

« J’ai totalement arrêté le shampooing, le savon, le dentifrice industriel, le papier toilette… »

« Tout a commencé avec le déodorant. Je me souviendrai toujours de ce jour où mon père m’a dit de ne plus en mettre parce que cela pouvait provoquer un cancer. Cela m’a frappée, et j’ai cherché par quoi je pourrais le remplacer. J’ai testé le bicarbonate de soude, puis je me suis rendu compte qu’il pouvait servir à d’autres choses, comme fabriquer son dentifrice ou des produits nettoyants. Et de fil en aiguille, j’ai tout remplacé. J’ai voulu être cohérente avec mes convictions écologiques, je suis donc devenue une partisane du zéro déchet et de tout ce qui va avec : le minimalisme, la décroissance…

Honnêtement, ce n’est pas très compliqué pour une jeune adulte qui n’a pas de revenu fixe et qui vit chez ses parents. Malgré tout, mes seuls achats neufs récents sont des sous-vêtements et une paire de chaussures pour le scooter. Autrement, j’achète toujours des vêtements d’occasion. Bien sûr, il est très difficile de résister à certaines tentations du quotidien. J’adore le chocolat et les biscuits industriels, et quand j’ai un peu d’argent j’en achète encore. C’est difficile de ne pas succomber, avec toutes ces publicités qui nous incitent à consommer ! Même si l’on sait que c’est mauvais pour la santé et loin d’être écolo.

Mes proches m’ont totalement suivie. Ma mère est même allée plus loin : terminé la lessive industrielle, les produits ménagers industriels… et même, depuis cette année, le papier toilette ! C’est notre grande réussite. Pour les selles, nous utilisons l’eau de la douche. Et pour le reste, nous utilisons des serviettes que l’on garde après usage dans une petite poubelle, où ma mère a mis du bicarbonate pour éviter les odeurs, puis qu’elle lave régulièrement.

La plupart de mes amis comprennent mes décisions, mais cela ne va pas plus loin

Est-ce qu’on fait des économies ? Oui, oui et re-oui. A tel point qu’on s’en veut de ne pas avoir pratiqué le zéro déchet et le minimalisme plus tôt ! Du côté de mes amis, c’est beaucoup plus mitigé. L’un d’entre eux trouve “dégoûtant” que je n’utilise pas de shampooing. La plupart des autres comprennent mes décisions, mais cela ne va pas plus loin. Pour eux, cette prise de conscience est inutile et mon idéal impossible à atteindre. Je pense notamment à mes amies parties en métropole qui y ont découvert les « vrais » magasins de vêtements : pour elles, il n’est pas question de ne rien acheter de neuf, et je peux les comprendre. Ici, les vêtements coûtent affreusement cher. Heureusement, j’ai quand même deux ou trois amies qui essaient elles aussi d’être décroissantes. Donc on peut en parler et essayer de convaincre les autres.

Pour moi, un retour en arrière est impensable. Impossible de racheter un jour du shampooing par exemple. On me dit souvent au cas par cas, ça ne sert à rien. J’adopterai ce mode de vie quand les politiques auront changé”. Je trouve ça assez facile.

Si on ne change rien soi-même, les responsables politiques ou les industriels n’ont aucune raison de le faire. Je pense, au contraire, que l’on doit tous agir au plan individuel, parce que ce sont les actions du peuple qui modifieront les façons de penser à plus grande échelle. Au bout d’un moment, si on arrête d’engraisser les industriels, ils finiront bien par cesser leurs activités. Et c’est eux qu’il faut viser. Ce sont eux les vrais pollueurs. »

KIM BASCHET / LE MONDE

Guy Renard, 45 ans, est informaticien en Suisse.

« Ouvrez un tiroir et demandez-vous “qu’est-ce que j’utilise régulièrement ?” »

« Le déclic n’est pas vraiment venu à un moment précis. C’est un processus qui s’est étiré sur plus de quinze ans. Au fil des années, j’ai pris de plus en plus de recul sur la société de consommation, vu les choses empirer : on ne peut pas continuer avec un tel mode de vie, un tel gaspillage des ressources.

A l’échelle de la planète, ce n’est plus soutenable ; il faut que ce soit plus équilibré. C’est pour cela que, progressivement, je suis devenu décroissant. Cela m’a permis de ralentir, de changer de mode de vie. De prendre davantage le train, de prendre le temps de cuisiner et de servir moins de plats préparés. Je passe aussi moins de temps dans les magasins.

Je dirais que 60 % des choses que l’on possède ne sont jamais utilisées

Après avoir découvert le mouvement minimaliste, j’ai décidé de changer d’appartement pour en prendre un plus petit. Faites l’expérience chez vous, ouvrez un tiroir dans votre salle de bains ou dans votre cuisine et demandez-vous “qu’est-ce que j’utilise régulièrement ?”. Je dirais que 60 % des choses que l’on possède ne sont jamais utilisées. Il est donc facile de s’en débarrasser : vêtements, matériel de cuisine, de bricolage… Je me suis rendu compte que je n’avais pas besoin d’un appartement si grand : je suis passé d’un 80 m² à un 60 m² et c’est encore trop grand. Je pense que je m’en sortirais très bien avec un 45 m².

J’ai aussi arrêté de prendre l’avion, je ne prends plus ma voiture tous les jours. J’utilise davantage le vélo ou le bus. Mais on a une énorme chance en Suisse, on a plusieurs alternatives à la voiture. Il y a beaucoup de lignes régionales pour se rendre dans les petites villes. Ce n’est pas forcément le cas en France. Je fais également plus de tourisme local et je visite des pays frontaliers. Economiquement, j’y gagne à tous les niveaux ; mon loyer a par exemple baissé de 20 % à 30 %. Je n’ai pas l’impression de vivre moins bien et j’ai redonné du sens à ma vie.

Cela a été assez facile avec mes proches, je n’ai pas vraiment eu de réactions posant problème, même si pour certaines personnes je suis excessif. Mais elles hésitent à me le reprocher car cela les renvoie à leurs propres contradictions.

Mon objectif, c’est d’en débattre dans une démarche pédagogique. Mais c’est vrai que nous sommes confrontés à une pression sociale de toujours consommer et cela crée de la frustration. Tout décroissant peut, à un moment donné, se sentir isolé socialement. Je mange par exemple moins de viande, mais je n’ai pas arrêté complètement : je sais que l’élevage pose beaucoup de problèmes à l’environnement, mais, socialement, la diminution de la viande, plutôt que l’arrêt complet, est plus facile à faire accepter à ses proches.

Je suis convaincu que les changements individuels, on ne peut pas y couper. Nous sommes les clients des multinationales. Dans l’idéal, il faudrait que les individus évoluent en parallèle des politiques, mais il y a une résistance au changement. Beaucoup sont convaincus par ce mode de vie décroissant, mais il est vrai que cela demande beaucoup d’efforts dans la vie de tous les jours. »

Comment agir pour le climat ? « Le Monde » se mobilise pendant une semaine

Que faire face au défi du changement climatique ? Comment agir, concrètement, à l’échelle individuelle ou collective ? Les initiatives citoyennes ont-elles un sens alors que c’est tout le système qu’il faudrait faire évoluer pour espérer limiter les effets du dérèglement ? Alors que la COP24 sur le climat s’est ouverte, dimanche 2 décembre, en Pologne, la rédaction du Monde se mobilise autour de ces questions. Au-delà du constat de l’urgence, nous avons voulu nous interroger sur les solutions existantes ou à explorer.

Chaque jour, pendant une semaine, des personnalités, expertes de leur domaine et engagées au quotidien, répondront en direct aux questions des internautes :