Des impacts de balles sont visibles dans l’entrée du batiment où a été tué Cherif Chekatt, rue Lazaret, dans le quartier Neudorf, à Strasbourg, le 14 décembre. / RONALD WITTEK / EPA

Cherif Chekatt, l’auteur de l’attaque du marché de Noël de Strasbourg, qui a coûté la vie à au moins trois personnes et blessé treize autres, dont cinq gravement, a finalement été tué, jeudi 13 décembre au soir, au terme de quarante-huit heures de traque. L’épilogue d’une incertitude pesante pour les services de sécurité, alors que l’homme s’était volatilisé, armé, et qu’il était fortement suspecté d’être resté dans le périmètre où il a été retrouvé : le quartier populaire de Neudorf. Peu de temps après l’annonce de sa mort, jeudi soir, son attentat a été revendiqué par l’organisation Etat islamique (EI).

C’est peu avant 21 heures que tout a basculé, au niveau du 74, rue du Lazaret, à deux pas du stade de la Meinau et d’une zone d’entrepôts logistiques proche d’une gare de marchandises de la SNCF. Une brigade spécialisée de terrain (BST), une patrouille de police de proximité, fait alors sa ronde lorsqu’elle voit déambuler un homme emmitouflé dans une doudoune noire rehaussée d’une capuche à fourrure. Une allure qui correspond au signalement de Cherif Chekatt. Intrigués, les policiers tentent de l’interpeller. Mais l’individu se réfugie sous un porche. Et, alors qu’ils s’approchent en voiture, celui-ci se retourne brutalement pour tirer. Les forces de l’ordre répliquent et l’atteignent mortellement.

Depuis le début de la traque, le quartier de Neudorf faisait partie des zones de recherches particulièrement ciblées par les enquêteurs. C’est en effet là que le chauffeur de taxi ayant transporté le suspect après l’attentat, mardi soir, l’avait laissé. C’est aussi dans ce quartier composé principalement de maisons de ville, parfois entourées de jardins, qu’un des frères de Cherif Chekatt était domicilié. « Beaucoup d’éléments nous ramenaient vers ce quartier », confirme une source proche du dossier.

« Conviction qu’il était là »

Dès le début des investigations, les quelque 280 enquêteurs de police judiciaire mobilisés sur ce dossier avaient en effet l’intuition forte que, vu son profil de délinquant multirécividiste instable, souvent condamné, Cherif Chekatt n’avait pas l’envergure ni les moyens financiers et logistiques d’un voyou affilié au grand banditisme. Il y avait donc de très fortes chances pour qu’il soit demeuré dans une zone lui étant familière, à l’instar d’un Salah Abdeslam, seul membre survivant du commando du 13 novembre 2015, qui s’était terré dans son fief natal de Molenbeek, en Belgique.

Le 12 décembre, selon nos informations, un signalement a bien un temps détourné le regard des enquêteurs vers l’Allemagne. Selon ce témoignage, Cherif Chekatt a été aperçu claudiquant dans un tramway en direction de l’Allemagne. L’exploitation de la vidéoprotection était incertaine. C’est notamment pour cette raison que des contrôles aux frontières ont été rétablis dans le cadre du rehaussement du niveau de vigilance de Vigipirate. Mais le travail classique d’environnement, d’écoutes et de perquisitions à différentes adresses situées à Strasbourg et à Paris – notamment chez une des sœurs du suspect vite mise hors de cause – a rapidement ramené à nouveau vers le Neudorf.

La diffusion d’un appel à témoins, par la police, mercredi, a achevé d’accentuer la pression sur le suspect

La diffusion d’un appel à témoins, par la police nationale, mercredi, a achevé d’accentuer la pression sur le tueur du marché de Strasbourg. Un total de 795 appels a été recensé par la police au numéro qui était indiqué. Parmi eux, deux ont fait la différence, selon nos informations. Un premier, dans la journée de jeudi, qui a signalé la présence d’un homme suspect au Neudorf. Puis celui d’une femme le même jour, qui a précisé avoir croisé un individu blessé au bras. Soit exactement le cas de Cherif Chekatt, atteint par un tir de riposte de l’opération « Sentinelle » lors de sa fuite, le 11 décembre.

Des « dispositifs » techniques avaient déjà été installés au Neudorf. Mais ces signalements ont conduit à resserrer encore l’étau. Jeudi après-midi, un important dispositif policier a ainsi été déployé, avec notamment l’appui du Raid et d’un hélicoptère équipé de caméras thermiques. Mais, faute de résultats, le cordon de sécurité bouclant le quartier a été relâché en fin de journée. « On gardait toutefois la conviction que Cherif Chekatt était là », raconte un acteur de la traque. Tout le dispositif n’avait donc pas été remballé et de nouvelles opérations devaient avoir lieu dans la nuit. Le coup de chance de la BST et l’identification formelle du corps de Cherif Chekatt vers 23 heures ont mis fin à l’incertitude.

Doutes sur l’arme

Sa mort ne met toutefois pas un terme aux investigations, même si jusqu’à présent les enquêteurs privilégient l’hypothèse d’un délinquant radicalisé qui décompense après un coup de filet contre son équipe. Le 11 décembre au matin, Cherif Chekatt aurait en effet dû être interpellé en même temps que plusieurs complices présumés dans le cadre d’une affaire pour tentative d’homicide sur fond d’extorsion de fonds. Mais il n’était pas présent à son domicile.

La sous-direction antiterroriste de la police judiciaire (SDAT), la direction interrégionale de la police judiciaire de Strasbourg, et la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), co-saisies sur cette affaire, n’excluent pas encore, à ce stade, que Cherif Chekatt ait pu bénéficier de complicités en amont ou en aval de son passage à l’acte. « Nous refermons les portes une à une », confirme une source proche du dossier. Sept personnes, dont quatre membres de sa famille – ses parents et deux de ses frères – étaient toujours en garde à vue vendredi matin, a précisé, lors d’une conférence de presse, Rémy Heitz, procureur de la République de Paris.

Un autre frère de Cherif Chekatt, Sami, considéré comme très radicalisé, est visé par un mandat de recherche en Algérie

Un volet des investigations mène aussi actuellement en Algérie. Un autre frère de Cherif Chekatt, Sami, considéré comme très radicalisé, y est visé par un mandat de recherche. Selon le témoignage de son père, celui-ci est parti s’installer là-bas à l’automne pour y rénover une maison. A-t-il pu être au courant des velléités de son petit frère ? Des questions demeurent aussi sur l’arme avec laquelle Cherif Chekatt est passé à l’acte. L’avait-il sur lui dès la veille de l’attentat ? Ou l’a-t-il récupérée peu avant, et auprès de qui ? A côté de son cadavre, les enquêteurs ont retrouvé un vieux revolver datant de la fin du XIXe siècle.

Jeudi soir, le ministre de l’intérieur était sur place, à Strasbourg, pour féliciter les forces de l’ordre. « Je pense aux victimes, aux blessés, aux familles, je pense à la France meurtrie, je suis fier d’eux », a-t-il notamment déclaré. Dès le dénouement annoncé, le président de la République, Emmanuel Macron, a de son côté remercié par Tweet « l’ensemble des services mobilisés, policiers, gendarmes et forces de l’ordre », tout en rappelant que « l’engagement contre le terrorisme est total ».

La revendication de l’attentat de Strasbourg par l’EI posait toutefois toujours question, vendredi matin, et apparaissait plus comme une récupération d’opportunité, comme cela est arrivé régulièrement ces derniers temps. Le communiqué de l’agence Amaq, le média de propagande de l’organisation terroriste, « ne mentionne aucune kunya » (nom de guerre), faisait remarquer, prudente, une source proche du dossier.

Attentat de Strasbourg : pourquoi la photo du suspect n’a pas été diffusée immédiatement ?
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