Jerome Powell, président de la Réserve fédérale américaine / Cliff Owen / AP

Chronique. Il y a une dizaine d’années, la plupart des gouvernements occidentaux tentaient de sauver leurs secteurs bancaires en proie aux affres de la grande crise financière en assumant leurs dettes et, alourdis par leur charge, confiaient aux banques centrales la mission de remettre l’économie sur pieds.

Ces dernières firent ce qu’elles savent faire : fournir des liquidités au système financier, pour au moins éviter que celui-ci ne se grippe complètement et précipite l’économie dans sa chute. Mais un autre espoir les animait : que ces liquidités inondant les marchés fassent monter le prix des actifs financiers, des emprunts d’Etat aux actions, des obligations d’entreprises à l’immobilier, afin de provoquer un « effet richesse ». Cet effet, bien connu des économistes, consiste à favoriser la hausse de la valeur du patrimoine des particuliers afin qu’il encourage la confiance et la propension à consommer, et ainsi réamorce la dynamique de demande dans l’économie.

Effet richesse

Cet effet richesse a eu des résultats inégaux. En Europe, l’effet a été très faible. L’ampleur du sous-emploi et la faible part des actions dans l’épargne financière des Européens a réduit à peu de chose l’effet richesse. Aux Etats-Unis, où les particuliers détiennent souvent une part importante de leur épargne en actifs financiers, la hausse des indices boursiers a contribué de façon non négligeable au redressement de la consommation.

Mais dans les deux cas s’est creusé un écart, bientôt transformé en fossé, entre d’une part les détenteurs d’actifs financiers qui profitaient de l’effet richesse, et d’autre part les salariés sans épargne financière qui voyaient leurs revenus stagner sous la contrainte d’économies atones, et de politiques budgétaires restrictives.

Cette divergence de fortunes a nourri un mécontentement croissant des classes sociales laissées sur le bord du chemin par le traitement monétaire de la crise née en 2008, et dans le même temps discrédité les gouvernements successifs, incapables d’apporter des solutions budgétaires au problème faute de marges de manœuvre.

Sentiment de frustration économique

Dix ans plus tard, les conséquences politiques profondes de cette dissonance sont apparues : des stratégies de ruptures alternatives ont été proposées dans les grandes démocraties occidentales, qui ont rencontré un succès électoral à la mesure du sentiment de frustration économique d’une partie de la population.

Même si les angles sociologiques et strictement politiques offrent l’essentiel du corpus des grilles d’analyse de la situation actuelle, comment ne pas voir que l’élection de Donald Trump, le référendum en faveur du Brexit ou l’arrivée au pouvoir de Matteo Salvini en Italie sont en grande partie les effets secondaires d’une gestion de la grande crise par inflation du prix des actifs financiers, sur fond d’austérité budgétaire ? On notera au passage que l’élection d’Emmanuel Macron en France s’était également jouée sur une posture de rupture, fût-elle réformiste, d’avec les stratégies économiques précédentes.

Par conséquent, au seuil de 2019, les marchés financiers sont en droit de montrer quelques sérieux signes d’inquiétude : les politiques monétaires qui leur ont tant réussi sont en voie de normalisation partout. Et dans le même temps, la croissance demeure précaire et la visibilité des politiques économiques incertaine.

Décélération

La situation peut s’analyser comme une collision entre les cycles monétaires, économiques et politiques. Le coup d’accélérateur de la politique budgétaire de Donald Trump a pu donner l’apparence d’une solution au problème par une politique fiscale de croissance. D’autant plus que, bien que financée à crédit (le déficit budgétaire américain devrait atteindre 6 % du PIB cette année !), elle n’a pour l’instant produit son propre antidote, une hausse des taux d’intérêt, que de façon modérée.

Mais les Etats-Unis bénéficient d’un statut unique et privilégié sur les marchés et, même dans leur cas, la survenance des effets secondaires n’est qu’une question de temps. Le surendettement condamne à la croissance à perpétuité, autrement dit à l’impossible, car il aggrave les ralentissements, et rend toute récession dévastatrice. Or l’économie américaine a commencé à décélérer. Quant à l’Italie ou la France, on voit mal comment elles pourraient s’affranchir de cette loi d’airain de l’endettement.

En 2019, le risque pour les marchés est d’abord celui de la poursuite d’une déflation du prix des actifs financiers. Mais cette dernière pourrait alors favoriser un effet retour préoccupant pour l’économie réelle en produisant une inversion de l’effet richesse : une baisse des marchés ajouterait son poids à une baisse de la confiance et de la consommation, sans que des politiques de relance suffisantes puissent être engagées. Les banques centrales devront-elles de nouveau être appelées à la rescousse ?

Didier Saint-Georges est membre du comité d’investissement chez Carmignac.