Le premier ministre tchèque, Andrej Babis, le 13 décembre à Bruxelles. / ARIS OIKONOMOU / AFP

Il aura finalement préféré s’exécuter. Andrej Babis, le premier ministre tchèque qui dénonçait un « théâtre » de l’opposition « abusant » l’Europe pour lutter politiquement contre lui, a donné l’ordre à son gouvernement de suivre les conseils de l’Union européenne (UE). Jeudi 13 décembre, l’exécutif tchèque a annoncé la suspension des demandes de fonds liées au groupe Agrofert, le conglomérat agroalimentaire géant fondé par M. Babis. La veille, le Parlement européen avait adopté à une très large majorité (434 voix pour, 64 contre et 47 abstentions) une résolution demandant à la Commission européenne de remédier à la situation.

Le 30 novembre, Le Monde avait révélé qu’Andrej Babis se trouvait, malgré ses dénégations répétées, dans une situation de conflit d’intérêts au regard de la loi européenne, selon une note du service juridique de la Commission de Bruxelles datée du 19 novembre. Ce service estimait qu’il était urgent de mettre un terme au mélange des genres orchestré par ce milliardaire né en 1954, accusé de lier ses affaires personnelles à la politique de son pays, membre de l’Union européenne depuis 2004.

Les juristes de la Commission estimaient que M. Babis, qui dirige le gouvernement tchèque depuis juin, « apparaissait comme le seul bénéficiaire » de deux trusts dans lesquels ont été placées ses parts des entreprises Agrofert et Group Agrofert. Le ministère des finances tchèque a affirmé avoir reçu, la semaine dernière, une lettre émanant du commissaire européen au budget. Ce dernier recommandait à Prague de retirer Agrofert de la liste des entreprises susceptibles d’être éligibles à des remboursements de fonds européens. La Commission a effectivement envoyé une lettre au ministre tchèque, mais il y a au moins deux semaines, assure une source européenne. Cette lettre a été aussi communiquée aux élus du Parlement européen.

« La Commission va geler les fonds qu’elle verse à son empire »

Lors d’un entretien accordé au site Internet Seznam TV, la ministre des finances tchèque a précisé avoir déjà soustrait une demande à hauteur de 116 000 euros, ce dont s’est réjoui le directeur de Transparency International en République tchèque, David Ondracka, qui avait envoyé une lettre de signalement à Bruxelles le 19 septembre.

« Le premier ministre nous avait traités de menteurs après nos révélations, a-t-il réagi, mais la Commission va bel et bien geler les fonds qu’elle verse à son empire, jusqu’à la fin de son enquête sur un potentiel conflit d’intérêts. » En effet, des auditeurs doivent arriver à Prague début janvier pour examiner la manière dont la République tchèque distribue les subventions européennes. La législation européenne impose la mise en place de contrôles pour les systèmes nationaux d’allocation des fonds européens, notamment dans le but d’éviter tous conflits d’intérêts. Se priver de tout argent européen pourrait mettre en danger Agrofert face à la concurrence.

D’origine slovaque, Andrej Babis est devenu la deuxième fortune de la République tchèque en moins de trente ans, grâce à des investissements fructueux dans de nombreux domaines. En République tchèque comme en Slovaquie, il est le leader incontesté du secteur alimentaire et agricole. Il n’est entré en politique qu’en 2011, créant de toutes pièces une formation populiste, Action des citoyens mécontents (ANO) d’inclination libérale et anti-système, vouée à lutter contre la corruption des élites politiques alors en place.

Dès sa première participation à un scrutin, ANO a obtenu 47 députés, M. Babis siégeant lui-même à partir d’octobre 2013, avant d’être nommé ministre des finances en janvier 2014 puis de devenir chef du gouvernement en juin 2018, après un premier mandat de seulement un mois en décembre 2017. M. Babis fait l’objet d’une mise en examen dans une affaire de détournement supposé de fonds européens.