Des soldats israéliens lors d’une opération de recherche d’un Palestinien suspecté d’être l’auteur d’une fusillade, à Ramallah (Cisjordanie), le 10 décembre. / MAJDI MOHAMMED / AP

Israël avait détourné le regard de la Cisjordanie. Depuis la fin mars et le lancement de la « marche du retour » dans la bande de Gaza, c’est ce territoire sous blocus, en détresse humanitaire, qui avait concentré l’attention générale.

Mais en quelques jours, la Cisjordanie vient de revenir au premier plan, en raison de plusieurs attaques meurtrières commises par des Palestiniens contre des civils et des soldats. La gestion purement sécuritaire du conflit, privilégiée de longue date par les autorités israéliennes, est ainsi mise à l’épreuve.

Le 7 octobre, Ashraf Naalowa, 23 ans, avait tué par balles deux collègues israéliens travaillant comme lui dans une usine de la zone industrielle de Barkan. Après plus de deux mois de traque, le fugitif a été éliminé dans la nuit de jeudi 13 décembre, dans le camp de réfugiés d’Askar, à Naplouse. Selon les enquêteurs, il était armé et voulait commettre un autre crime.

Quelques heures plus tôt, mercredi soir, les forces israéliennes ont abattu Salih Omar Barghouti. Celui-ci était soupçonné d’avoir perpétré une attaque à un arrêt de bus devant la colonie d’Ofra le 9 décembre, le long de la route 60 qui serpente à travers la Cisjordanie. L’auteur avait grièvement blessé une jeune Israélienne enceinte, ainsi que six autres personnes. Le bébé était décédé après un accouchement prématuré. Salih Omar Barghouti a été tué près de Ramallah.

Détermination des forces israéliennes

Ces derniers jours, l’armée a effectué plusieurs raids au cœur même de cette ville, « capitale » de la Cisjordanie, dont le contrôle revient soi-disant à l’Autorité palestinienne (zone A). Ces opérations devaient illustrer la détermination des forces israéliennes et leur capacité à intervenir partout. « Le principe qui nous guide est que celui qui nous attaque ou tente de le faire paiera de sa vie », a résumé le chef du gouvernement, Benyamin Nétanyahou.

Dès jeudi matin, plusieurs attaques palestiniennes ont eu lieu en réponse à ces opérations. Un homme a tenté de poignarder deux policiers dans la vieille ville de Jérusalem, les touchant légèrement. Il a été abattu. En Cisjordanie, deux soldats israéliens ont été tués par balles et deux autres personnes blessées lors d’une fusillade à une station de bus près de l’avant-poste de Givat Assaf, non loin d’Ofra. De nouveau, l’auteur a pu s’enfuir en voiture.

Funérailles le 12 décembre d’un bébé décédé après un accouchement prématuré de sa mère, victime de l’attaque à un arrêt de bus devant la colonie d’Ofra le 9 décembre / MENAHEM KAHANA / AFP

La traque a été déclenchée sur-le-champ. L’armée a bouclé toutes les artères de sortie de Ramallah, entraînant de gigantesques bouchons. Des colons extrémistes ont jeté des pierres sur des voitures palestiniennes, du haut des collines, à proximité de la route 60.

La mécanique tellement éprouvée de la violence s’est enclenchée. A la sortie est de Ramallah, au rond-point faisant face à la colonie de Beit El, de jeunes émeutiers ont donné de la fronde contre les soldats déployés sur les hauteurs, inatteignables. Enfin, un Palestinien de 58 ans a été tué près d’un arrêt de bus à Al-Bireh. Il aurait simplement perdu le contrôle de son véhicule. Les médias israéliens ne lui ont consacré que quelques mots.

Volatilité de la situation

Benyamin Nétanyahou n’a pas voulu laisser le moindre espace de manœuvre à la droite nationale religieuse de Naftali Bennett. Dans la soirée, il a adressé des promesses aux colons, sans détails sur les modalités juridiques. Il se dit notamment prêt à légaliser « des milliers de maisons » bâties « de bonne foi » dans les colonies et les avant-postes.

Les colons réclament la fermeture totale de la route 60 aux Palestiniens, soit une ségrégation par le bitume

Les colons, de leur côté, réclament la fermeture totale de la route 60 aux Palestiniens, soit une ségrégation par le bitume. Plusieurs centaines d’entre eux ont manifesté devant la résidence du premier ministre, jeudi soir, bien conscients que ce dernier aura besoin de leur soutien lors des élections en 2019.

Le chef du gouvernement, également ministre de la défense depuis la démission d’Avigdor Lieberman le 14 novembre, cherche à rétablir son image d’homme fort, écornée par le cessez-le-feu tacite conclu avec le Hamas dans la bande de Gaza. Un nouveau cycle de violences dans les territoires occupés tomberait mal, au moment où la destruction des tunnels du Hezbollah à la frontière libanaise est accompagnée d’une spectaculaire opération de communication.

La Cisjordanie vit par cycles. Les périodes de soumission à l’occupation israélienne font croire que les Palestiniens, en pleine dépression collective, se replient sur leurs préoccupations quotidiennes. Elles sont parfois interrompues par des accès de violences. Il est alors difficile d’en préciser la nature : campagne orchestrée par les groupes armés ou bien phénomène classique de mimétisme, flagrant au moment de la vague d’attaques au couteau de la fin 2015. Mais au fond, la difficulté même à se prononcer donne une idée de la volatilité de la situation.

« Nous sommes face à une escalade très sérieuse »

« La lutte ne s’est jamais arrêtée, même si elle connaît des hauts et des bas, explique Hassan Youssef, l’un des leaders du Hamas en Cisjordanie, qui a déjà passé vingt et un ans dans les prisons israéliennes. Le message adressé aux Israéliens par ces attaques, spontanées ou organisées, c’est qu’on est là. Les démolitions, les agressions, leurs vols, leurs atteintes aux lieux saints ne resteront pas sans réponse. »

Selon les services de sécurité israéliens, près de 530 attaques auraient été déjouées depuis le début de l’année, contre 400 environ en 2017. Ce chiffre en forte hausse recouvre des intentions très diverses, de l’agression au couteau à l’opération avec armes à feu. Il témoigne de l’intensité de la lutte préventive contre la violence palestinienne, qui est une coproduction entre les services palestiniens et israéliens. C’est un angle d’attaque majeur pour le Hamas contre l’Autorité palestinienne, accusée de collaboration avec l’ennemi. Le mouvement islamiste armé a salué, jeudi, les deux « martyrs » palestiniens de Barkan et Ofra, sans suggérer pour autant qu’ils avaient agi sur ordre. Dans la nuit de vendredi, l’armée a pénétré de nouveau dans Ramallah pour arrêter 40 personnes soupçonnées d’activités violentes et de terrorisme, dont 37 appartiennent au Hamas.

« Nous sommes face à une escalade très sérieuse, souligne Hanan Ashrawi, membre du comité exécutif de l’Organisation de libération de la Palestine. Les Israéliens jouissent d’une impunité totale, ils ont provoqué les gens au-delà du soutenable, en leur faisant clairement comprendre qu’ils comptaient pour rien. Il ne faut pas se demander qui a commencé dans ce cycle. Le cœur du sujet, c’est l’occupation. »

Dans un communiqué, l’Autorité palestinienne a condamné, sans plus de précisions, la « série inacceptable de violences », tout en dénonçant le « climat » créé par les Israéliens, en l’absence de toute perspective de paix. L’entourage du président Mahmoud Abbas évoque notamment les affiches collées par des colons appelant à en finir avec le « raïs ».