Lucas Pouille, lors du premier tour de Bercy, perdu face à son compatriote Gilles Simon, le 30 octobre. / ANNE-CHRISTINE POUJOULAT / AFP

Seulement onze matchs gagnés sur le circuit en neuf mois, une relégation du Top 10 au Top 30, un divorce avec son entraîneur historique : au sortir du tournoi de Bercy, début novembre, Lucas Pouille ne minimisait pas le bilan de sa saison, « la pire année de [sa] vie ».

Jeudi 13 décembre, lors d’un point presse en petit comité au Centre national d’entraînement (CNE), le Français s’est prêté à un exercice d’introspection, mettant des mots sur ses maux : « Parfois, le plaisir n’était pas là, l’envie non plus et les résultats n’ont pas suivi. Même si j’essayais de donner le maximum, il n’y avait plus la petite étincelle. C’est revenu petit à petit à partir de septembre. Le coup de pied aux fesses, j’avais besoin de me le mettre, j’avais besoin de changer des choses sur le plan personnel et professionnel pour me sentir heureux. Une carrière c’est long, je n’en suis peut-être même pas à la moitié… »

A 24 ans, le Nordiste a encore une dizaine d’années devant lui, s’il est épargné par les blessures. Mais qu’il semble loin l’exploit de l’US Open 2016 quand le rookie écœurait Rafael Nadal en huitième de finale. L’affront, regard exorbité, langue tirée, s’étale en mondovision et les commentateurs anglo-saxons prédisent un avenir radieux au jeune « Pwouyyi ». L’intéressé, lui, joue la prudence : « Peut-être que ça sera un tournant dans ma carrière, mais on verra. »

« Un homme ou une femme, ça m’est égal »

Depuis, la confirmation n’a pas eu lieu. L’an dernier, son point décisif en finale de Coupe Davis et la victoire face à la Belgique étaient venus sauver a minima une saison en pointillé. « Le plus beau moment de [sa] carrière », dira-t-il. Beaucoup, lui le premier, voulaient croire à un effet tremplin pour se relancer.

Le début de la saison 2018 en donna l’illusion : titre à Montpellier, finale à Marseille, une autre à Dubaï, le Nordiste accède pour la première fois au Top 10 mondial à la fin du mois de mars. Mais s’ensuit une traversée du désert : défaites d’entrée à Monte-Carlo, Budapest et Madrid, et au 3e tour à Roland-Garros. Ni la tournée sur gazon ni les tournées américaine et asiatique n’inverseront la tendance.

Le 4 septembre 2016, le visage de Pouille, regard exorbité, langue tirée, fait le tour de la presse, après sa victoire face à Nadal au tie-break du 5e set, en huitième de finale de l’US Open. / Adam Hunger / AP

Alors, au sortir de Bercy, son dernier rendez-vous en simple, Lucas Pouille a décidé, d’un commun accord avec son entraîneur, Emmanuel Planque, de mettre un terme à six ans de collaboration. Le 6 décembre, il annonçait s’être attaché les services d’Amélie Mauresmo. L’ex-numéro un mondiale renonçait par ricochet à sa casquette de capitaine de l’équipe de France de Coupe Davis.

« C’est un joueur qui a touché du doigt le Top 10 et qui a eu du mal à concrétiser derrière. J’ai eu le sentiment qu’il avait une grosse envie et une grosse détermination à mettre toutes les chances de son côté pour reprendre cette ascension », expliquait-elle au lendemain de cette officialisation.

Pouille avait déjà pensé à solliciter Mauresmo il y a deux ans, mais celle-ci s’apprêtait à donner naissance à son deuxième enfant. Ce qui l’a incité à retenter sa chance ? « C’est une championne, elle a gagné dans les plus gros tournois. Elle a réussi en tant que coach et capitaine de Fed Cup [finale en 2016] et a fait un travail remarquable avec Murray. Elle a toutes les compétences et l’expérience pour m’amener encore plus haut. Pour moi, le fait que ce soit un homme ou une femme, ça m’est égal. C’est le discours et l’état d’esprit qui comptent. Le fait qu’elle ait gagné de grandes choses met Amélie au même niveau que Yannick [Noah]. »

Mauresmo compte bien s’appuyer sur son expérience avec Andy Murray : « Andy m’a beaucoup appris, je connaissais l’exigence du très haut niveau en tant que joueuse, j’ai pu l’observer aussi différemment auprès d’un top joueur pendant deux ans [2014-2016] », résumait-elle la semaine dernière.

« Le resto trois fois par jour, ça devient une corvée »

Le binôme a démarré la préparation de la saison 2019 cette semaine à Paris au CNE, à deux pas de Roland-Garros. Ils passeront le réveillon de Noël dans l’avion, s’envolant le 24 décembre pour Perth (Australie), où se déroule la Hopman Cup, exhibition par équipes mixtes. Puis ce sera le tournoi de Sydney (6-12 janvier), rampe de lancement pour l’Open d’Australie (14-27 janvier).

Mauresmo accompagnera Pouille pour les tournois une trentaine de semaines par an. S’il conserve ses deux kinés et son préparateur mental, il a décidé d’étoffer son équipe en engageant une préparatrice mentale, lui qui s’y est longtemps refusé. « Avant je n’étais pas prêt à me livrer. L’idée, c’est qu’elle puisse venir sur certains tournois », et pas seulement converser au téléphone. Cette année, le Nordiste a frôlé le burn-out, expliquant avoir songé à faire une longue pause au sortir de l’US Open.

« Je n’étais pas heureux en dehors du tennis. Quand on fait plus de 300 jours par an à l’hôtel et le resto trois fois par jour, à la fin, ça devient une corvée. » Cette routine est inhérente au métier de joueur de tennis professionnel, « mais le but, c’est d’essayer de mieux s’organiser. Il y a de fortes chances qu’on rentre en France [il vit avec sa compagne à Dubaï] mais on n’allait pas tout changer d’un coup. On verra vers la fin de l’année ».

Quant aux objectifs, il préfère botter en touche. « Il n’y en a pas en termes de résultat. Le seul, c’est de ne pas avoir de regrets en fin d’année 2019 comme j’ai pu en avoir cette année. D’être impliqué, de progresser, de prendre du plaisir. » En somme, retrouver ses esprits tennistiques et pourquoi pas l’impudence du langage du corps sur le terrain.

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