Depuis vingt ans, Olivier Krumbholz dirige l’orchestre des Bleues. / LOIC VENANCE / AFP

« Je suis mort une fois, et on ne peut pas mourir deux fois. » Les mains jointes, installé dans un confortable fauteuil de l’hôtel devenu le camp de base des Bleues à Nantes, Olivier Krumbholz est bien vivant. Bon vivant aussi, lui qui promettait de s’enfiler « une entrecôte grosse comme ça » si d’aventure l’équipe de France féminine de handball se qualifiait pour les demi-finales du championnat d’Europe, avant même d’avoir à disputer sa rencontre décisive contre la Serbie, mercredi.

Si ce menu a été reporté – la défaite des Russes face aux Suédoises mercredi obligeant à une victoire –, les Françaises ont scrupuleusement suivi les instructions de leur entraîneur : « Une qualification, ça va se chercher. » Et même plus encore. Puisqu’en s’imposant (27-21) face aux Pays-Bas, le 14 décembre, dans un Palais omnisports de Paris-Bercy acquis à leur cause, les Bleues se sont hissées pour la première fois de leur histoire en finale de l’Euro.

L’équipe de France est à une marche du sacre, qu’elle convoitera dimanche 16 décembre face à la Russie, un an après avoir décroché un second titre mondial. Elle se situe aussi à un pas d’un doublé Mondial-Euro que seule la Norvège a déjà réalisé chez les femmes. Un tel résultat consacrerait le travail accompli par Olivier Krumbholz à la tête des Bleues, lui que l’on pensait enterré il y a cinq ans.

L’entraîneur qui « optimise » ses collectifs

Placé en 1998 à la tête des Bleues, l’entraîneur messin a fait sortir l’équipe de France féminine de la pénombre. Sous ses ordres, dès 1999, elle remporte sa première médaille (l’argent mondial), suivie de quatre podiums, dont un titre mondial en 2003. Mais en 2013, à la suite de deux campagnes ratées, Olivier Krumbholz est remercié par la Fédération française de handball (FFHB).

« Olivier a souvent transformé le sable en or, parfois en argent ou en bronze, quand on était moins bien dotés en termes de joueuses, rappelle son adjoint Eric Baradat, qui, avant de prendre en main l’équipe féminine junior, a assisté Krumbholz treize années durant. Olivier optimise ses collectifs. Pendant des années, il a obtenu des résultats extraordinaires avec peu de chose, et on ne s’en est rendu compte qu’une fois qu’il n’était plus aux affaires. »

C’est à la demande des « taulières » des Bleues, alors que l’équipe enchaîne de mauvais résultats et que les relations se sont dégradées avec le nouvel entraîneur, Alain Portes, qu’Olivier Krumbholz a été rappelé, deux ans après son éviction. Il a alors changé d’approche. « Pour Olivier, ces deux années en dehors de l’équipe ont été une souffrance, évoque son ami Philippe Bana, directeur technique national du handball français. Mais elles lui ont appris que son ancienne méthode était obsolète. Et quand il est revenu, il avait compris beaucoup de choses, notamment sur la nécessité de collaborer avec les joueuses, devenues des athlètes de haut niveau. »

Une forme de démocratie participative

Krumbholz confirme être revenu aux affaires « assagi », « philosophe » même. « Je me sens complètement de passage dans cette aventure. » Fini le soliste. « Avant je pensais que j’étais un peu le propriétaire de l’équipe, concède l’entraîneur. Désormais, je ne me sens plus l’épicentre de cette aventure. Je suis venu mettre les choses en ordre et aider les filles. C’est d’elles que vient la performance. »

Désormais pleinement professionnelles, les joueuses n’ont plus grand-chose à voir avec celles que Krumbholz entraînait à ses débuts chez les Bleues. « On ne peut plus coacher comme il y a vingt ans, face à des joueuses tout juste amatrices, novices au niveau du jeu, sourit le Messin. Aujourd’hui, elles prennent leur destin en main et veulent structurer le jeu par rapport à leurs compétences, leurs connaissances et leurs qualités. »

Corollaire de cette évolution, les Françaises sont désormais « copropriétaires de l’équipe » dans une forme de démocratie participative. Pilier de la défense française, Béatrice Edwige apprécie le Krumbholz nouveau. Et souligne ses remises en question. « On n’a pas eu besoin de lui faire remonter qu’il n’avait pas fait tourner l’équipe sur le premier match [perdu contre la Russie]. Il l’a remarqué tout seul. » Plutôt conservateur en matière d’effectif lors de son premier passage sur le banc bleu, Krumbholz implique davantage l’ensemble de son groupe. Avec succès, car la profondeur du banc permet aux Françaises de dominer physiquement la plupart des adversaires.

L’adaptation, la clé

Pour autant, l’homme n’a pas changé. « Il paraît moins volcanique qu’il a pu l’être à une époque », admet Eric Baradat. Un jour, en match, l’éruptif Lorrain était tombé à la renverse, au propre comme au figuré, mécontent d’une décision de l’arbitre. « Il a réfléchi et évolué pendant son temps sur la touche, mais dire qu’Olivier Krumbholz a changé est une légende urbaine, assène l’ancien adjoint. Son management s’adapte à l’époque, aux situations et aux joueuses dont il dispose. Et il n’a jamais eu une équipe avec autant de talents sous ses ordres. Forcément, ça amène une forme de sérénité. » Le jeu des Bleues reste frappé du sceau de Krumbholz. Sa patte ? Une défense aussi collante que les caramels mous qu’il pioche à pleines mains sur le bar de l’hôtel des Bleues. « C’est ma drogue », glisse le coach aux réceptionnistes.

Mais moins peut-être que son autre obsession : le futur des Bleues. Fringant sexagénaire (il a passé le cap en juillet), « Coach K. » ne cesse de « penser à l’avenir », se projetant vers les prochaines échéances, notamment olympiques, à Tokyo (2020) et Paris (2024). « Quand on peut avoir des joueuses capables d’apporter de suite, mais que l’on peut imaginer en Bleues dans six ans, il ne faut pas se gêner », assume ce formateur dans l’âme, prenant Orlane Kanor pour exemple. En 2017, la Messine – tout juste professionnelle – avait surgi en finale du Mondial, inscrivant deux buts décisifs dans l’obtention du titre. « Mais il faut être vigilant à ne pas faire de jeunisme, prévient Krumbholz. Car trop préparer l’avenir risque de nous handicaper en termes de maturité. »

Pour Philippe Bana, Krumbholz est un de ces « passe-murailles qui prennent du corps en prenant de l’âge et ont traversé le temps, les équipes et les époques ». Dans son Roman du hand tricolore (Marabout, 272 p., 18,90 euros), le DTN inscrit le Lorrain dans la lignée des grands entraîneurs du handball hexagonal, avec Claude Onesta, Patrice Canayer ou Thierry Anti. « Ils ont su s’adapter à chaque changement que réclamait l’évolution du handball. »

Longtemps, ce sport fut cantonné aux préaux scolaires. C’est « dans une cour d’école, à Metz, en CM1 ou CM2 », qu’Olivier Krumbholz a découvert son sport. « On jouait alors dehors la plupart du temps », se remémore le sélectionneur. Dimanche, c’est en intérieur, devant près de 15 000 supporteurs rassemblés dans l’enceinte de Paris-Bercy, que l’entraîneur des Bleues tentera de mener ses troupes au titre européen. Face aux Russes de son opposé Evgeni Trefilov – aussi austère et autoritaire que Krumbholz peut être ouvert –, celui qui est « mort une fois » aspire à vivre une nouvelle consécration.